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— Écoutez, Barron. Nous ne nous aimons guère, et je vais vous dire pourquoi. Parce que nous nous ressemblons trop. Nous sommes très forts tous les deux, et nous n’avons pas l’habitude de céder le pas à quelqu’un. Nous voulons tout pour nous, et c’est normal. Mais puisque nous ne pouvons pas commander tous les deux, à quoi bon continuer à nous disputer ? C’est idiot, c’est complètement idiot. À longue échéance, ne voyez-vous pas que nos intérêts sont strictement les mêmes ? Considérez les choses de très haut, Barron, du haut d’un million d’années, et vous comprendrez que nous avons exactement la même chose à perdre.

« Laissez-moi vous le prouver, venez avec votre femme au Colorado et je vous rendrai immortels comme moi. Vous verrez alors, chaque fois que vous respirerez, combien nous avons à perdre. Vous serez un autre homme, Barron, vous serez bien plus qu’un homme, croyez-en le seul être qui puisse vous en parler en connaissance de cause. Jack Barron immortel comprendrait tout de suite qu’il est du côté de Benedict Howards immortel – nous contre tous les autres, la vie éternelle contre le cercle noir qui s’estompe, et croyez-moi, c’est la seule chose qui compte, le reste c’est de la merde pour les petits oiseaux.

Il ne plaisante pas, se dit Barron, et peut-être qu’il n’a pas tort. Mais une chose est sûre, il est persuadé, pour une raison à lui, de sortir victorieux d’un tel arrangement… et Ted Hennering a été tué parce qu’il avait découvert le secret du traitement d’immortalité. Il savait qu’il avait le choix : ou se vendre à Bennie et devenir peut-être Président des États-Unis, ou risquer sa peau en disant à Howards d’aller se faire foutre. Et pour qu’un minable comme Hennering ait choisi la deuxième solution… Quoi qu’il en soit, Howards l’a liquidé, et maintenant il veut que je prenne sa place et il pense que le meilleur moyen de m’y amener c’est de me rendre immortel…

— Je préfère attendre encore un peu. Je n’ai pas confiance en vous, Howards. (Il sentit la montée d’adrénaline correspondant à l’odeur du danger, tira une autre bouffée de came, excité à l’idée qu’il jouait à nouveau en première division pour un enjeu mortel, et ajouta tranquillement :) Et je sais en outre une ou deux petites choses que vous ne me soupçonnez pas de savoir. Je ne vous dirai pas lesquelles, je vous laisse deviner tout seul, c’est très bon pour entretenir les méninges.

Il vit la colère et la peur lutter dans le regard de Howards, et sut que le coup avait porté. Il se tourna vers Sara, vit qu’elle le buvait des yeux, mon homme, mon héros, soupentes de Berkeley, rues de Meridian embrasées, se sentit de dix ans plus jeune que le lamentable fiasco de ce soir, se sentit plein d’ardeur et de bonne came et se remémora un passage d’un livre de son enfance (La Terre qui meurt, ou quelque chose comme ça ?) qui résonnait en lui comme un roulement de tambour : « Où que je sois le danger suit mes pas. »

— Je n’ai qu’une chose à vous dire, Barron, répondit Howards dont les yeux avaient maintenant la froideur d’un reptile. Faites passer à nouveau sur les ondes ce cinglé de Franklin, et vous êtes fini. Fini pour de bon. Benedict Howards n’a pas l’habitude de plaisanter.

Franklin ? Cette espèce d’ahuri ? C’est cela qui le travaillait ? Ça n’a aucun sens, qu’est-ce que ce pauvre type a à voir avec Benedict Howards ?

— Vous n’avez pas à me dire ce que je dois mettre ou pas dans mon émission. Je ferai peut-être une autre séquence avec Franklin, cela dépendra du prochain indice d’écoute (si j’ai le courage de regarder après le ratage de tout à l’heure).

— Pour la dernière fois je vous avertis, ne faites plus passer ce Franklin ! hurla Howards.

C’est bien ce que je pensais, se dit Barron. Peut-être qu’après tout je me suis trompé ? Peut-être que la plus terrible de nos émissions contre la Fondation a eu lieu ce soir avec Henry George Franklin ? Cela semble être en tout cas l’avis de Bennie. Mais comment est-ce possible ?

Il sourit d’un air mauvais :

— Vous savez, plus vous me répétez de ne pas le faire et plus je pense que ça ferait une excellente émission la semaine prochaine. Qu’est-ce que vous en dites, Bennie ? Vous et moi et Franklin, et cent millions de téléspectateurs, en train de causer gentiment. (Hé, qu’est-ce qui m’arrive, pourquoi suis-je en train de faire ça ? se dit-il, se rendant compte que son subconscient avait parlé pour lui.)

— Ma patience a des limites, Barron ! Poussez-moi à bout, et vous avez beau être très fort, vous finirez mangé par les petits poissons ! On ne résiste pas à Benedict Howards. Même un…

— Même un sénateur ? suggéra Barron. Même un dénommé Hennering, par exemple ?

Sur l’écran du vidphone, Barron vit pâlir le visage de Howards. Dans le mille ! Quel effet ça te fait de faire guili-guili avec un meurtrier ? Un plaisir incommensurable… Il retourna l’Acapulco Gold qu’il tenait dans sa main. Qui sait ce qu’ils peuvent bien mettre là-dedans de nos jours ?

— Vous…, s’étrangla Howards. Je vous préviens que si jamais je revois ce Franklin à la télévision, vous ne serez plus en état de recevoir des avertissements de personne.

Jack Barron sentit quelque chose s’enclencher en lui. Personne n’a jamais menacé ainsi impunément Jack Barron ! Tu crois que je n’ai jamais craché à la figure de la mort, Bennie ? Tu aurais dû être à Meridian, parmi la foule aux yeux injectés de sang, Luke, Sara et moi et quelques douzaines d’autres contre un millier de Blancs du Sud prêts à nous piétiner. Ils ne me faisaient pas peur, alors, parce que je connais un secret que tu ne connais pas… L’assassinat, c’est le propre des lâches, et tout au fond d’eux-mêmes les assassins le savent. Il suffit de les regarder dans les yeux et de leur montrer qu’on le sait. J’ai lu quelque part qu’il ne fallait jamais fuir devant une bête sauvage. Baisse-froc, peut-être, joyeux fumiste, peut-être, mais Jack Barron n’a jamais fui devant personne !

— Vos menaces, dit-il, sentant les mots émerger de sa gorge comme un bouillonnement de lave fumante, vous pouvez les écrire sur une bouteille de coca-cola et vous en faire un godemiché en verre ! Continuez comme ça, et vous n’aurez plus le loisir de vous préoccuper de votre précieuse existence immortelle tellement vous regretterez le jour où vous êtes né. Savez-vous ce que j’ai l’intention de faire, Bennie ? Je vais prendre l’avion pour le Mississippi et avoir une longue conversation avec Mr Henry George Franklin, et qui sait, après ça peut-être que je ferai deux émissions ou dix ou cent avec lui – et il n’y a pas une seule foutue chose que vous puissiez faire pour m’en empêcher ! J’en ai marre de vous écouter, Howards ! J’en ai marre de vous voir jouer au caïd, parce que vous n’êtes pas un caïd, vous appartenez à l’espèce des créatures qui rampent sous les pierres pourries, vous êtes un lâche et rien de plus, le genre de lâche que je pourrais me payer chaque matin au petit déjeuner, et vous pisserez dans votre froc jusqu’au jour de votre mort même si vous devez vivre un million d’années. Vous me faites suer, Howards. Vous comprenez ce que ça veut dire ? Vous me faites suer, et vous n’avez même pas encore un avant-goût de ce qui vous attend si vous continuez à faire suer Jack Barron.

— Je vous tuerai…

— Allez faire peur aux petits oiseaux, Howards ! Vous aurez peut-être plus de chance avec eux parce que moi, vos menaces ne m’en touchent pas une ! Et j’en ai marre de voir votre sale trogne !