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Ce qui suit, bien que ça soit proprement indescriptible, je vas, grâce à mon immense talent de narrateur, te le descripter tout de même. Je devrais pas, vu que déjà ce polar est beaucoup plus long que les autres et que je vas acculer le Fleuve Noir à la faillite, mais comme disait un producteur de cinéma : en matière de faillites, y a que la première qui fait de l’effet, les autres, on n’y prend plus garde…

Suis bien le déroulement, ignare. Et recule si tu ne veux pas prendre des taches sur ton complet de bellâtre.

Zoé, en apprenant qu’elle a en face d’elle Le Cerveau, a un coup de sang, consécutif, je présume, à la qualité de son sang mêlé.

T’as déjà vu des tigresses, au cirque, pendant leur numéro, lorsqu’elles sautent d’un plaud sur l’autre par-dessus le dompteur ? Cette souplesse coulée, cette félinerie majestueuse.

Eh ben c’est ça, mon trognon.

Une détente. La v’là sur Monte-Carlo qu’elle démonte et décarlise. Elle saisit aux oreilles. Faut préciser (j’avais omis, excuse) qu’il a des étiquettes presque gaulliennes, le big chief. Tu sais : des tiroirs à mensonges grands comme ceux de Babar. Des radars pour tour de contrôle, mon neveu. De vrais pavillons de banlieue. Splendides ! Very exceptionnels. Donc, Zoé les cramponne, une à chaque main, et la voilà qui agite la tête du faux comte en lui criant des vengeries à propos de son frère et à propos de son honneur à elle, comme quoi elle a enduré un vrai martyre, ces derniers temps.

Elle le tire en avant. Il a beau regimber, elle est si pétrie de rage qu’elle le promène comme on promène un bouvillon en le tenant par les cornes. Et elle pleure en criant. Sa figure est inondée de larmes, on dirait, attends, il me vient une image que les critiqueurs vont en rester sur le dos… On dirait qu’il a plu sur une rose ocre. Et allez, roulez ! C’est pas du travail artistique, ça ? Fignolé Colette ? Des sémaphores pareils dans un roman policier, ça secoue, non ? On s’y attend pas. On n’a pas l’habitude, pour le prix.

Eh ben, c’est fait. Empoche, mec. Découpe. Mets sous verre, je t’offre. Je suis un abondant. J’abonde de partout, y compris dans ton sens, ce qui t’indique ma modestie foncière.

Oui : elle sanglote convulsivement, Zoé. Elle pousse des cris plaintifs. Elle a fini de vitupérer. Elle donne une secousse plus vive, lâche tout, et Monte-Carlo descend à l’orchestre. C’est sa fête. Il choit sur un tabouret garni de tapisserie. Se fait mal au dos. Beugle de douleur…

Pour le coup, je saisis la petite tigresse à pleins bras avides (marrant, hein ?) et lui chuchote à l’oreille :

— Maintenant, retournez m’attendre dans votre chambre.

Elle halète. Ses cheveux blonds sont collés sur son front en sueur. On dirait qu’elle n’a pas entendu ce que je lui ai dit.

Me fixe, indécise.

— Filez dans votre chambre, je vous y rejoins !

Cette fois, elle a pigé. Elle s’en va après une dernière invective au comte.

Monte-Carlo se redresse péniblement. Il grimace et se masse. Il souffre. Ses portugaises sont en feu. L’une d’elles est même décollée du haut et saigne.

— Qu’est-ce qui lui a pris, à cette saleté ? m’apostrophe-t-il.

Je lui réponds d’une tarte qui le fait pencher comme la tête d’un cyprès dans le déchaînement du mistral.

— Soyez poli, vieux. Sinon c’est moi qui vous entreprends.

— Mais pourquoi…

— Elle n’aime pas ce que vous avez fait à son frangin.

Il hoche la tête et détourne les yeux, d’où je conclus que le dénommé Céleste-Donato n’a pas dû l’avoir chouette.

Tu connais mes inspirations ?

Pas bien ?

Alors, mords la démontrance :

— Monte-Carlo, fais-je, Zoé a mis la main sur le petit matériel que vous guignez uniquement pour disposer d’une monnaie d’échange. Elle voulait la liberté de son frangin en contrepartie. Mais maintenant qu’il est mort…

Hein, t’entends ce que je lui bonnis ? Au pif, je te dis. Une assurance noire. Ce culot, Fifine ! Ce fil d’aplomb !

— Mais maintenant qu’il est mort, reprends-je, voyant que l’autre endoffé ne proteste pas, moi je vais vous les échanger contre de la monnaie normale. Vu ?

Il fait « vu » avec la tête.

C’est pas dur, je t’apprendrai.

Bien, bon, on discutaille un moment. Après quoi je le laisse pour aller récupérer Zoé et ses valoches. Je cigle sa note aux deux mégères que Béru lutine et qui, déjà, se font la gueule au point qu’un « décousinage » me semble inévitable.

Et je recommande au trio de ne pas souffler mot au comte de Monte-Carlo de ma qualité (mais en est-ce une ?) de flic sous peine de représailles épouvantables. Après quoi, tu ne sais pas ?

— Zoé !

— …

— Je vous aime !

CHAPITRE « K »

L’officier de police Magnin est un colosse rose et blond, avec un regard d’azur qui noircit quand il se file en pétard. Il porte toujours de beaux complets marron à rayures et des chemises dans les tons saumon (fumé). Avec ça, grande gueule et tringleur d’élite. Premier prix de tir et premier trousseur de serveuses de restaurant de la Grande Taule. La serveuse, c’est son vice, son dada (et il monte souvent), son obsession, sa hantise. Il prétend que c’est la robe noire et le petit tablier blanc qui lui portent au sang. Il tringle scientifiquement, Magnin. Il investit, défriche les restaurants, rue après rue, quartier après quartier, arrondissement après arrondissement. Présentement, il écume, si l’on peut dire, le 4e. Avant d’entrer dans un établissement c’est pas le menu qu’il examine, Magnin, mais la serveuse. Si elle a moins de quatre-vingts et plus de quinze, il se pointe, la cravate bombée, les épaules à l’équerre, l’œil conquérant et la lèvre en ventouse.

Il aime à raconter.

Tiens, en ce moment, il m’explique sa dernière : une Niçoise pétaradante du réchaud. Il l’a cueillie la veille, au sortir du restaurant où elle coltine son petit-salé-aux-lentilles. Elle avait juste un manteau à col de lapin pardessus sa tenue de travail. Il l’a embarquée dans la 204. Direction une impasse, du côté de Boulogne, dont il a le monopole, ayant fait une âpre chasse à tous ceux qui s’y aventuraient pour une bagnole’s party.

Je te raconte Magnin, chemin faisant, mais tu vas voir, c’est gonflant.

Mon subordonné, ses gonzesses de bouchons, il aime les percuter en tuture. Non par ladrerie, pour faire l’économie d’une chambre, mais parce qu’il répugne à redescendre un escalier devant une fille mal rajustée qu’il vient de passer à la moulinette farceuse. Ça le déprime. Il déteste le temps mort succédant à l’acte. Attendre le réharnachement d’une nana compostée, c’est au-dessus de ses moyens. Tandis qu’en voiture, c’est l’idéal. L’inconfort favorise les positions baroques et quand c’est fini, tu démarres pendant que miss Troussée remet sa panoplie en place. Te reste plus qu’à la déposer galamment devant une station de métro en lui disant « Merci, bravo, je t’enverrai du monde ».

Donc, hier, il s’est téléguidé une Niçoise, Magnin, un sacré lot, monsieur le commissaire. La cinquantaine, très brune, avec de la barbe et du poil partout, un vrai caniche royal ! (Il a des goûts de luxe.) Le genre remuant. Elle te m’a fait une de ces séances, patron, que le dossier du siège passager en a été déglingué. Une vraie furie. De la gonzesse pour Land Rover. Je la rembarquerais encore une ou deux fois dans ma Peugeot, je serais obligé de changer de chignole… Bref, on se démène magistral. Je la crache devant chez elle — c’était sur ma route —, je rentre au logis. La bourgeoise ne dormait pas. Je lui roule la pelle du remords. Je me dessape, et puis la v’là qui me dit : « Approche voir, Loulou, t’as quéque chose d’accroché à ton slip… » Vous savez ce que c’était, patron ? Le petit cadre à ventouse que ma bonne femme avait fixé au tableau de bord. Dedans y avait sa photo et celle du môme. Et sur le cadre, en lettres d’or, y a d’écrit : « Sois prudent, papa, pense à nous ».