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— Laquelle ?

— Celle-ci : on dit le prince atteint d’une grave maladie. Cet « on dit » laisse supposer que vous ne l’avez pas vu ?

— Rien n’est plus exact. Je n’ai vu de lui, Sire, qu’une main gantée qui, à travers un rideau de velours noir, s’est tendue vers la mienne durant la cérémonie du mariage religieux.

— Vous n’avez jamais vu le prince Sant’Anna ? s’écria Napoléon incrédule.

— Jamais ! assura Marianne avec, de nouveau, la conscience d’être en train de mentir.

Mais elle ne voulait, à aucun prix, qu’il sût ce qui s’était passé à la villa. A quoi bon lui parler du cavalier fantôme... et surtout de son étrange réveil, à la fin de la nuit ensorcelée, dans un lit jonché de fleurs de jasmin ?... Elle fut d’ailleurs immédiatement payée de ce mensonge car, enfin, Napoléon sourit. Lentement, il vint vers elle, s’approcha presque à la toucher et plongea ses yeux dans ceux de la jeune femme.

— Alors, fit-il d’une voix basse, intime, il ne t’a pas touchée ?

— Non, Sire... Il ne m’a pas touchée.

Le cœur de Marianne trembla. Le regard impérial s’était soudain chargé de douceur comme, tout à l’heure, d’une implacable froideur. Elle y retrouvait, enfin, l’expression qu’il avait, au temps de Trianon, et qu’elle avait tant souhaité y retrouver, ce charme qu’il savait si bien déployer quand il le voulait, cette façon de caresser du regard qui préludait si bien à l’amour. Il y avait des jours... et des nuits qu’elle rêvait de ce regard-là ! D’où venait donc-que, à cette minute, elle n’en éprouvât pas plus de joie ? Tout à coup, Napoléon se mit à rire :

— Ne me regarde pas ainsi ! On jurerait, ma parole, que je te fais peur ! Rassure-toi, tu n’as plus rien à craindre. C’est, toute réflexion faite, une excellente chose que ce mariage et tu as réussi un coup de maître ! Pardieu ! Je n’aurais pas fait mieux ! Un mariage superbe... et surtout un mariage blanc ! Sais-tu que tu m’as fait souffrir ?

— Souffrir ? Vous ?

— Moi ! Ne suis-je pas jaloux de ce que j’aime ? J’ai imaginé, alors, tant de choses...

« Et moi ? songea Marianne en évoquant avec rancune sa nuit infernale de Compiègne, moi qui ai cru devenir folle en apprenant qu’il n’avait pas su attendre quelques heures avant de mettre l’Autrichienne dans son lit, je n’ai rien imaginé sans doute ? »

Cette brusque bouffée de rancune était si violente qu’elle ne réalisa pas tout de suite qu’il l’avait prise clans ses bras et que c’était, maintenant, de tout près qu’il murmurait, de plus en plus bas, de plus en plus ardemment :

— Toi, ma sorcière aux yeux verts, ma belle sirène, aux mains d’un autre ! Ton corps livré à d’autres caresses, à d’autres baisers... Je te détestais presque de m’infliger cela et, tout à l’heure, quand je t’ai retrouvée... si belle ! Plus belle que mes souvenirs... J’ai eu envie de...

Un baiser étouffa le mot. C’était un baiser avide, impérieux, presque brutal, tout plein d’une ardeur égoïste, la caresse d’un maître à l’esclave soumise, mais il n’en bouleversa pas moins la jeune femme. Le seul contact de cet homme dont elle avait fait le centre de toutes ses pensées, de tous ses désirs, agissait toujours sur ses sens avec l’implacable exigence d’un tyran. Entre les bras de Napoléon, Marianne fondit aussi totalement que dans la nuit complice du Butard...

Pourtant, il se détachait déjà d’elle, s’éloignait, appelait :

— Roustan !

Le superbe Géorgien enturbanné apparut, impassible et rutilant, le temps de recevoir un ordre bref.

— Personne ici avant que je ne t’appelle ! Sur ta vie !

Le mameluk fit signe qu’il avait compris et disparut. Napoléon, alors, saisit la main de Marianne.

— Viens ! dit-il seulement.

Courant presque, il l’entraîna vers une porte qui se découpait dans l’un des panneaux de la pièce, découvrant un petit escalier en colimaçon qu’il lui lit gravir à toute allure. Cet escalier débouchait dans une chambre assez petite mais meublée avec le goût douillet et raffiné qui préside en général aux pièces faites pour l’amour. Les couleurs dominantes y étaient le jaune lumineux et le bleu doux, un peu éteint. Marianne, cependant, eut à peine le temps de jeter un regard à ce qui l’entourait, à peine le temps de penser à celles qui avaient dû la précéder dans cette discrète retraite. Avec l’habileté de la meilleure chambrière, Napoléon avait déjà ôté les épingles qui maintenaient la toque de satin blanc, ouvert la robe qui glissait à terre bientôt suivie du jupon et de la chemise, le tout à une incroyable vitesse. Il n’était plus question, cette fois, de lents et tendres préliminaires, de ce déshabillage savant et voluptueux qui, au soir du Butard, avait fait de Marianne la proie plus que consentante d’un affolant désir et qui, au temps de Trianon, donnait tant de charme à leurs préludes amoureux. En un rien de temps la sérénissime princesse Sant’Anna se retrouva, uniquement vêtue de ses bas et jetée en travers d’une courtepointe de satin jaune soleil, aux prises avec une sorte de soudard pressé qui la prit sans un mot, se contentant de lui dévorer les lèvres de baisers frénétiques.

Ce fut si brutal et si hâtif que, cette fois, le fameux charme n’eut même pas le temps de se manifester. En quelques minutes tout fut terminé. Et, en guise de conclusion, Sa Majesté lui posa un baiser sur le bout du nez et lui tapota la joue :

— Ma bonne petite Marianne ! fit-il avec une sorte d’attendrissement, tu es décidément la femme la plus exquise que j’aie jamais rencontrée. J’ai bien peur que tu ne me fasses faire des bêtises ma vie durant. Tu me rends fou !

Mais ces bonnes paroles étaient impuissantes à consoler la « bonne petite Marianne » qui, frustrée et furieuse en proportion, avait, au surplus, la désagréable sensation d’être un peu ridicule. Elle découvrait avec colère qu’au moment où elle avait cru retrouver vraiment son amant, renouer avec lui le fil précieux et enivrant de leurs amours d’antan, elle avait seulement assouvi le désir violent et inattendu d’un homme marié qui craignait peut-être d’être surpris par sa femme et qui, sans doute, regrettait déjà d’avoir perdu la tête. Outrée, elle arracha la courtepointe jaune pour en draper sa nudité et se leva. Sa chevelure, défaite, croula sur ses reins, l’enveloppant d’un noir manteau brillant.

— Votre Majesté me voit infiniment flattée de lui être agréable ! dit-elle froidement. Puis-je espérer qu’elle me conservera sa bienveillance ?

Il fronça les sourcils, fit la grimace et, à son tour, se leva :

— Allons, bon ! Voilà que tu boudes maintenant ? Voyons, Marianne, je sais bien que je ne t’ai pas accordé autant de temps qu’autrefois, mais tu es, je pense, assez raisonnable pour comprendre que bien des choses ont changé ici, que je ne peux plus me comporter envers toi comme...

— Comme un célibataire ! Je sais ! fit Marianne qui lui tourna carrément le dos pour aller remettre de l’ordre dans sa chevelure devant la glace de la cheminée.

Il la suivit, l’entoura de ses bras et posa un baiser sur son épaule nue puis se mit à rire :

— Tu devrais être très fière ! Tu es la seule femme capable de me faire oublier mes devoirs envers l’Impératrice, dit-il avec une maladresse qui ne fit qu’aggraver son cas.

— Mais... je suis Hère, Sire, fit-elle gravement. Je regrette seulement de ne vous les faire oublier que très peu de temps.

— Le devoir, que veux-tu...

— Et le souci d’avoir bientôt un héritier ! acheva-t-elle ironiquement, pensant le piquer.

Il n’en fut rien. Napoléon lui adressa un sourire rayonnant.