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— Et son aspect ? Est-elle jolie ? demanda Strange.

La question sembla embarrasser Henry.

— Miss Watkins n’est pas généralement considérée comme une beauté, non. Mais elle gagne beaucoup à être connue. Des personnes des deux sexes, dont le physique est quelconque au premier abord, peuvent paraître presque beaux quand on les connaît mieux. Un esprit instruit, de bonnes manières et une nature aimable, toutes ces qualités ont beaucoup plus de chances à concourir au bonheur d’un époux qu’une simple grâce éphémère.

Strange et Arabella furent un peu surpris par ce discours. Il y eut un silence. Enfin Strange s’enquit :

— Et la dot ?

Henry afficha un triomphe discret.

— Dix mille livres, répondit-il.

— Mon cher Henry ! s’écria Strange.

Plus tard, quand ils furent de nouveau seuls, Strange dit à Arabella :

— À mon avis, Henry doit être félicité pour son discernement. Il semble qu’il ait découvert cette demoiselle avant tout le monde. Je suppose qu’elle ne croule pas sous les propositions. Il doit y avoir sur son visage ou dans son allure quelque chose qui la préserve d’une admiration universelle !

— Je ne puis croire qu’il s’agisse seulement de sa dot, objecta Arabella, encline à défendre son frère. Je pense qu’une certaine affection doit jouer aussi, sinon Henry n’y aurait jamais songé.

— Oh, sans doute ! Henry est un très bon garçon. D’ailleurs, je ne me mêle jamais des affaires des autres, comme vous le savez.

— Vous souriez, or vous n’en avez pas le droit. J’ai montré tout autant de discernement que mon frère en mon temps. Je ne crois pas que quiconque eût songé à vous épouser, avec votre long nez et votre naturel peu aimable, avant que je ne me fusse mis en tête de le faire !

— Cela est vrai, concéda pensivement Strange. Je l’avais oublié. C’est un défaut de famille.

Le lendemain, Strange s’enferma dans sa bibliothèque pendant qu’Arabella et Henry allaient en voiture rendre visite à Jenny et Alwen. Toutefois, le plaisir des premiers jours ne dura pas longtemps. Arabella s’aperçut vite qu’elle n’avait plus grand-chose en commun avec son frère. Henry avait passé les sept dernières années dans un petit village campagnard. De son côté, elle avait habité Londres, où elle avait pu observer de près certains des plus importants événements de ces récentes années. Elle avait l’amitié de plus d’un ministre. Elle connaissait le Premier ministre et avait dansé plusieurs fois avec le duc de Wellington. Elle avait été présentée aux ducs de Sa Majesté, avait fait la révérence aux princesses, et pouvait toujours compter sur un sourire et un mot du prince régent chaque fois qu’elle se trouvait à Carlton House. Quant à ses bonnes relations avec tous ceux qui étaient liés avec le glorieux renouveau de la magie anglaise, elles allaient sans dire.

Mais, alors que toutes les nouvelles de son frère l’intéressaient grandement, lui ne montrait quasiment aucun intérêt pour les siennes. Ses descriptions de la vie londonienne ne suscitaient de sa part qu’un « Oh, vraiment ? ». Une fois qu’elle parlait d’un mot que le duc de Wellington lui avait dit et répétait ce qu’elle lui avait répondu, Henry s’était tourné vers sa sœur et l’avait regardée avec un sourcil levé et un sourire suave, un regard et une expression qui signifiaient très clairement « Je ne te crois pas ». Un tel comportement l’avait blessée. Elle ne se vantait pas ; ce type de rencontres était le lot quotidien de sa vie londonienne. Avec un petit serrement de cœur, elle avait compris que, si ses lettres l’avaient toujours ravie, il avait dû trouver les siennes bien ennuyeuses et affectées.

Pendant ce temps, le pauvre Henry connaissait lui aussi des déceptions. Petit, il avait beaucoup admiré Ashfair House. Ses dimensions, sa situation et l’éminence de son propriétaire dans les alentours de Clun, tout lui avait paru magnifique au suprême degré. Il avait toujours attendu avec impatience le jour où Jonathan Strange allait en hériter et où il pourrait visiter Ashfair dans le rôle important de l’ami du maître de maison. À présent que cela avait fini par se réaliser, il découvrit qu’il ne tirait aucun plaisir particulier de son séjour. Ashfair était inférieur à de nombreuses maisons qu’il avait vues dans les années écoulées. Le manoir comptait presque autant de pignons que de fenêtres. Ses pièces avaient des plafonds bas et des formes biscornues. Les nombreuses générations d’occupants successifs avaient percé des ouvertures dans les murs au gré de leurs désirs – sans penser aux proportions d’ensemble de la maison – et les fenêtres elles-mêmes étaient assombries par le lierre et les rosiers grimpants. C’était un vieux manoir : le type de manoir, selon la formule de Strange, où une héroïne de roman pouvait aimer être persécutée.

Plusieurs maisons des environs de Great Hitherden avaient été récemment restaurées, et d’élégants nouveaux cottages bâtis pour des ladies et des gentlemen aux goûts rustiques. Aussi, partie parce qu’il était impossible à Henry de garder pour lui ce qui était lié à sa paroisse, partie parce qu’il avait l’intention de se marier prochainement et que son esprit préférait donc disserter sans arrêt sur les aménagements domestiques, il était incapable de se retenir de donner des conseils à Strange sur le sujet. L’emplacement des écuries le choquait tout particulièrement ; il répétait à Strange : « On est obligé de les traverser pour accéder au coin sud du jardin d’agrément et du verger. On pourrait très aisément les abattre pour les reconstruire ailleurs. »

Au lieu de répondre exactement à cette critique, Strange s’adressa soudain à son épouse :

— Mon amour, j’espère que vous aimez cette maison ? J’ai bien peur de n’avoir jamais songé à vous le demander. Si ce n’est pas le cas, nous irons sur-le-champ nous installer ailleurs !

Arabella eut un rire, puis elle déclara qu’elle était très contente de la maison.

— Je suis désolée, Henry, mais je suis aussi contente des écuries que du reste.

Henry revint à la charge :

— Enfin, vous conviendrez sûrement qu’on apporterait un grand embellissement en coupant ces arbres qui étouffent tant le corps de logis et assombrissent toutes les pièces. Ils poussent au petit bonheur la chance, à l’endroit même où un gland ou une graine ont dû tomber, je présume.

— Comment ? lança Strange, dont les yeux s’étaient reportés sur son livre pendant la dernière partie de la conversation.

— Les arbres, répéta Henry.

— Quels arbres ?

— Ceux-là, répondit Henry, montrant du doigt, par la fenêtre, tout un bataillon de chênes, de frênes et de hêtres séculaires.

— En leur qualité de voisins, ces arbres sont exemplaires. Ils s’occupent de leurs affaires et ne m’ont jamais dérangé. Je crois que je peux leur rendre la politesse.

— Ils bouchent la lumière !

— Vous aussi, Henry, pourtant je ne vous ai pas encore mis la cognée.

En vérité, même si Henry trouvait à redire aux jardins et à l’état d’Ashfair, ce n’était pas sa véritable doléance. Ce qui le troublait vraiment dans le manoir, c’était l’ambiance de magie qui y régnait. Les premiers temps où Strange avait choisi la profession de magicien, Henry n’y avait pas attaché beaucoup d’importance. À cette époque, la renommée des magnifiques exploits de Mr Norrell commençait tout juste à se répandre aux quatre coins du royaume. La magie n’était alors guère plus qu’une branche ésotérique de l’histoire, un divertissement pour gentlemen riches et oisifs. Bon gré mal gré, Henry parvenait encore à la considérer sous ce jour. Il était fier de la fortune de Strange, de ses terres, de son important lignage, mais pas de sa magie. Il était toujours un brin surpris chaque fois qu’on le félicitait de ses liens de parenté avec le Second Plus Grand Magicien de notre Ère.