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L’un des deux bourreaux s’approcha alors du récipiendaire et lui présenta une liqueur rouge et tiède dans un crâne humain monté sur un pied de bronze.

L’inconnu prit la coupe des mains du bourreau, et la levant au-dessus de sa tête:

– Je bois, dit-il, à la mort de tout homme qui trahira les secrets de l’association sainte.

Puis abaissant la coupe à la hauteur de ses lèvres, il la vida jusqu’à la dernière goutte et la rendit froidement à celui qui la lui avait présentée.

Un murmure d’étonnement courut par l’assemblée, et les fantômes semblèrent se regarder entre eux à travers leurs linceuls.

– C’est bien, dit le président. Le pistolet!

Un fantôme s’approcha du président, tenant d’une main un pistolet et de l’autre une balle de plomb et une charge de poudre.

À peine le récipiendaire daigna-t-il tourner les yeux de son côté.

– Tu promets donc obéissance passive à l’association sainte? demanda le président.

– Oui.

– Même si cette obéissance devait s’exercer sur toi-même?

– Celui qui entre ici n’est pas à lui, il est à tous.

– Ainsi, quelque ordre qu’il te soit donné par moi, tu obéiras?

– J’obéirai.

– À l’instant même?

– À l’instant même.

– Sans hésitation?

– Sans hésitation.

– Prends ce pistolet et charge-le.

L’inconnu prit le pistolet, fit glisser la poudre dans le canon, l’assujettit avec une bourre, puis laissa tomber la balle, qu’il assura avec une seconde bourre, après quoi il amorça l’arme.

Tous les sombres habitants de l’étrange demeure le regardaient avec un morne silence, qui n’était interrompu que par le bruit du vent se brisant aux angles des arceaux rompus.

– Le pistolet est chargé, dit froidement l’inconnu.

– En es-tu sûr? demanda le président.

Un sourire passa sur les lèvres du récipiendaire qui tira la baguette et la laissa couler dans le canon de l’arme qu’elle dépassa de deux pouces.

Le président s’inclina en signe qu’il était convaincu.

– Oui, dit-il, il est en effet chargé et bien chargé.

– Que dois-je en faire? demanda l’inconnu.

– Arme-le.

L’inconnu arma le pistolet, et l’on entendit au milieu du profond silence qui accompagnait les intervalles du dialogue le craquement du chien.

– Maintenant, reprit le président, appuie la bouche du pistolet contre ton front.

Le récipiendaire obéit sans hésiter.

Le silence s’étendit sur l’assemblée, plus profond que jamais; les lampes semblèrent pâlir, ces fantômes étaient bien véritablement des fantômes, car pas un n’avait d’haleine.

– Feu, dit le président.

La détente partit, la pierre étincela sur la batterie; mais la poudre du bassinet seule prit feu, et aucun bruit n’accompagna sa flamme éphémère.

Un cri d’admiration s’échappa de presque toutes les poitrines, et le président, par un mouvement instinctif, étendit la main vers l’inconnu.

Mais deux épreuves ne suffisaient point aux plus difficiles, et quelques voix crièrent:

– Le poignard! le poignard!

– Vous l’exigez? demanda le président.

– Oui, le poignard! le poignard! reprirent les mêmes voix.

– Apportez donc le poignard, dit le président.

– C’est inutile, fit l’inconnu, en secouant la tête d’un air de dédain.

– Comment, inutile? s’écria l’assemblée.

– Oui, inutile, reprit le récipiendaire d’une voix qui couvrait toutes les voix; inutile, je vous le répète, car vous perdez un temps précieux.

– Que dites-vous là? s’écria le président.

– Je dis que je sais tous vos secrets, que ces épreuves que vous me faites subir sont des jeux d’enfant, indignes d’occuper un instant des être sérieux. Je dis que cet homme assassiné n’est point mort; je dis que ce sang que j’ai bu était du vin renfermé dans une outre aplatie sur sa poitrine et caché sous ses vêtements; je dis que la poudre et les balles de ce pistolet sont tombées dans la crosse au moment où, en armant le chien, j’ai fait jouer la bascule qui les engloutit. Reprenez donc votre arme impuissante, bonne à effrayer les lâches. Relève-toi donc, cadavre menteur: tu n’épouvanteras pas les forts.

Un cri terrible fit retentir les voûtes.

– Tu connais nos mystères! s’écria le président; tu es donc un voyant ou un traître?

– Qui es-tu? demandèrent ensemble trois cents voix, en même temps que vingt épées étincelaient aux mains des fantômes les plus proches, et par un mouvement régulier, comme eût été celui d’une phalange exercée, venaient s’abaisser et se réunir sur la poitrine de l’inconnu.

Mais lui, souriant, calme, relevant la tête en secouant sa chevelure sans poudre, et retenue par le seul ruban qu’on avait noué autour de son front:

– Ego sum qui sum, dit-il, je suis celui qui est.

Puis il promena ses regards sur la muraille humaine qui l’entourait étroitement. À son regard dominateur les épées s’abaissèrent par mouvements inégaux, selon que ceux que l’inconnu écrasait de ce regard cédaient instantanément à son influence ou essayaient de la combattre.

– Tu viens de prononcer une imprudente parole, dit le président, et sans doute tu ne l’as prononcée que parce que tu n’en connais point la portée.

L’étranger secoua la tête en souriant.

– J’ai répondu ce que je dois répondre, dit-il.

– D’où viens-tu donc alors? demanda le président.

– Je viens du pays d’où vient la lumière.

– Nos instructions annoncent cependant que tu viens de Suède.

– Qui vient de Suède peut venir d’orient, reprit l’étranger.

– Une seconde fois, nous ne te connaissons pas. Qui es-tu?

– Qui je suis!… Soit, reprit l’inconnu; je vous le dirai tout à l’heure, puisque vous feignez de ne me point comprendre; mais auparavant je veux vous dire qui vous êtes vous-mêmes.

Les fantômes tressaillirent, et leurs glaives s’entrechoquèrent en passant de leur main gauche dans leur main droite et en se relevant à la hauteur de la poitrine de l’inconnu.

– D’abord, reprit l’étranger en étendant la main vers le président, toi qui te crois un dieu et qui n’es qu’un précurseur, toi le représentant des cercles suédois, je te dirai ton nom, pour n’avoir point besoin de te dire celui des autres. Swedenborg, les anges qui causent familièrement avec toi ne t’ont-ils pas révélé que celui que tu attendais s’était mis en chemin?

– C’est vrai, répondit le président en relevant son linceul pour mieux voir celui qui lui parlait; ils me l’ont dit.

Et celui qui relevait son linceul, contre toutes les habitudes des rites de la société, montrait en le relevant le visage vénérable et la barbe blanchie d’un vieillard de quatre-vingts ans.

– Bien, reprit l’étranger, maintenant à ta gauche est le représentant du cercle anglais, qui préside la loge de la Calédonie. Salut, milord. Si le sang de votre aïeule revit en vous, l’Angleterre peut espérer que la lumière éteinte se rallumera.