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Sur quoi, mademoiselle Sylvie, l’intendant et le tailleur partirent, en laissant Gilbert en tête à tête avec le négrillon, qui continuait de grignoter ses pralines et de rouler ses yeux blancs.

Que d’énigmes pour le pauvre provincial! Que de craintes, que d’angoisses surtout pour le philosophe qui voyait ou croyait voir sa dignité d’homme plus clairement compromise encore à Luciennes qu’à Taverney!

Cependant il essaya de parler à Zamore; il lui était venu à l’idée que c’était peut-être quelque prince indien, comme il en avait vu dans les romans de M. Crébillon fils.

Mais le prince indien, au lieu de lui répondre, s’en alla devant chaque glace mirer son magnifique costume, comme fait une fiancée de son habit de noces; puis, se mettant à califourchon sur une chaise à roulettes, à laquelle il donna l’impulsion avec ses pieds, il fit une dizaine de fois le tour de l’antichambre avec une vélocité qui prouvait l’étude approfondie qu’il avait faite de cet ingénieux exercice.

Tout à coup, une sonnette retentit. Zamore quitta sa chaise, qu’il laissa à l’endroit où il la quittait, et s’élança par une des portes de l’antichambre dans la direction du bruit de cette sonnette.

Cette promptitude à obéir au timbre argentin acheva de convaincre Gilbert que Zamore n’était point un prince.

Gilbert eut un instant l’envie de sortir par la même porte que Zamore; mais, en arrivant au bout du couloir, qui donnait dans un salon, il aperçut tant de cordons bleus et tant de cordons rouges, le tout gardé par des laquais si effrontés, si insolents et si tapageurs, qu’il sentit un frisson courir par ses veines, et que, la sueur au front, il rentra dans son antichambre.

Une heure s’écoula ainsi; Zamore ne revenait pas, mademoiselle Sylvie était toujours absente; Gilbert appelait de tous ses désirs un visage humain quelconque, fût-ce celui de l’affreux tailleur qui allait instrumenter la mystification inconnue dont il était menacé.

Au bout de cette heure, la porte par laquelle il était entré se rouvrit, et un laquais parut qui lui dit:

– Venez!

Chapitre XLI Le médecin malgré lui

Gilbert se sentait désagréablement affecté d’avoir à obéir à un laquais; néanmoins, comme il s’agissait sans doute d’un changement dans son état, et qu’il lui semblait que tout changement lui devait être avantageux, il se hâta.

Mademoiselle Chon, libre enfin de toute négociation après avoir mis sa belle-sœur au courant de sa mission près de madame de Béarn, déjeunait fort à l’aise, dans un beau déshabillé du matin, près d’une fenêtre, à la hauteur de laquelle montaient les acacias et les marronniers du plus prochain quinconce.

Elle mangeait de fort bon appétit, et Gilbert remarqua que cet appétit était justifié par un salmis de faisans et par une galantine aux truffes.

Le philosophe Gilbert, introduit auprès de mademoiselle Chon, chercha des yeux sur le guéridon la place de son couvert: il s’attendait à une invitation.

Mais Chon ne lui offrit pas même un siège.

Elle se contenta de jeter un coup d’œil sur Gilbert; puis ayant avalé un petit verre de vin couleur de topaze:

– Voyons, mon cher médecin, où en êtes-vous avec Zamore? dit-elle.

– Où j’en suis? demanda Gilbert.

– Sans doute; j’espère que vous avez fait connaissance.

– Comment voulez-vous que je fasse connaissance avec une espèce d’animal qui ne parle pas, et qui, lorsqu’on lui parle, se contente de rouler les yeux et de montrer les dents?

– Vous m’effrayez, répondit Chon sans discontinuer son repas et sans que l’air de son visage correspondît aucunement à ses paroles; vous êtes donc bien revêche en amitié?

– L’amitié suppose l’égalité, mademoiselle.

– Belle maxime! dit Chon. Alors vous ne vous êtes pas cru l’égal de Zamore?

– C’est-à-dire, reprit Gilbert, que je n’ai pas cru qu’il fût le mien.

– En vérité, dit Chon comme se parlant à elle-même, il est ravissant!

Puis, se retournant vers Gilbert, dont elle remarqua l’air rogue:

– Vous disiez donc, cher docteur, ajouta-t-elle, que vous donnez difficilement votre cour?

– Très difficilement, madame.

– Alors, je me trompais quand je me flattais d’être de vos amies, et des bonnes?

– J’ai beaucoup de penchant pour vous personnellement, madame, dit Gilbert avec raideur. Mais…

– Ah! grand merci pour cet effort; vous me comblez! Et combien de temps faut-il, mon beau dédaigneux, pour qu’on obtienne vos bonnes grâces?

– Beaucoup de temps, madame; il y a même des gens qui, quelque chose qu’ils fassent, ne les obtiendront jamais.

– Ah! cela m’explique comment, après être resté dix-huit ans dans la maison du baron de Taverney, vous l’avez quittée tout d’un coup. Les Taverney n’avaient pas eu la chance de se mettre dans vos bonnes grâces. C’est cela, n’est-ce pas?

Gilbert rougit.

– Eh bien! vous ne répondez pas? continua Chon.

– Que voulez-vous que je vous réponde, madame, si ce n’est que toute amitié et toute confiance doivent se mériter.

– Peste! il paraîtrait, en ce cas, que les hôtes de Taverney n’auraient mérité ni cette amitié, ni cette confiance?

– Tous? Non, madame.

– Et que vous avaient fait ceux qui ont eu le malheur de vous déplaire?

– Je ne me plains point, madame, dit fièrement Gilbert.

– Allons, allons, dit Chon, je vois que, moi aussi, je suis exclue de la confiance de M. Gilbert. Ce n’est cependant pas l’envie de la conquérir qui me manque; c’est l’ignorance où je suis des moyens que l’on doit employer.

Gilbert se pinça les lèvres.

– Bref, ces Taverney n’ont pas su vous contenter, ajouta Chon avec une curiosité dont Gilbert sentit la tendance. Dites-moi donc un peu ce que vous faisiez chez eux?

Gilbert fut assez embarrassé, car il ne savait pas lui-même ce qu’il faisait à Taverney.

– Madame, dit-il, j’étais…, j’étais homme de confiance.

À ces mots, prononcés avec le flegme philosophique qui caractérisait Gilbert, Chon fut prise d’un tel accès de rire, qu’elle se renversa sur sa chaise en éclatant.

– Vous en doutez? dit Gilbert en fronçant le sourcil.

– Dieu m’en garde! Savez-vous, mon cher ami, que vous êtes féroce et que l’on ne peut vous rien dire. Je vous demandais quels gens étaient ces Taverney. Ce n’est point pour vous désobliger, mais bien plutôt pour vous servir en vous vengeant.

– Je ne me venge pas, ou je me venge moi-même, madame.

– Très bien; mais nous avons nous-mêmes un grief contre les Taverney; puisque de votre côté vous en avez un, et même peut-être plusieurs, nous sommes donc naturellement alliés.

– Vous vous trompez, madame; ma façon de me venger ne peut avoir aucun rapport avec la vôtre, car vous parlez des Taverney en général, et moi j’admets différentes nuances dans les divers sentiments que je leur porte.

– Et M. Philippe de Taverney, par exemple, est-il dans les nuances sombres ou dans les nuances tendres?

– Je n’ai rien contre M. Philippe. M. Philippe ne m’a jamais fait ni bien ni mal. Je ne l’aime ni le déteste; il m’est tout à fait indifférent.