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Trois cents, reprit le prsident, dont chacun reprsente dix mille associs; trois cents pes qui valent trois millions de poignards.

Puis se retournant vers le voyageur.

Que dsires-tu? lui demanda-t-il.

Voir la lumire, rpondit celui-ci.

Les sentiers qui mnent la montagne de feu sont pres et durs; ne crains-tu pas de ty engager?

Je ne crains rien.

Une fois que tu auras fait encore un pas en avant, il ne te sera plus permis de retourner en arrire. Songes-y.

Je ne marrterai quen touchant le but.

Es-tu prt jurer?

Dictez-moi le serment et je le rpterai.

Le prsident leva la main, et dune voix lente et solennelle pronona les paroles suivantes:

Au nom du Fils crucifi, jurez de briser les liens charnels qui vous attachent encore pre, mre, frres, surs, femme, parents, amis, matresses, rois, bienfaiteurs, et tout tre quelconque qui vous auriez promis foi, obissance ou service.

Le voyageur, dune voix ferme, rpta les paroles qui venaient de lui tre dictes par le prsident qui, passant au deuxime paragraphe du serment, reprit avec la mme lenteur et la mme solennit:

De ce moment vous tes affranchi du prtendu serment fait la patrie et aux lois: jurez donc de rvler au nouveau chef que vous reconnaissez ce que vous avez vu ou fait, lu ou entendu, appris ou devin, et mme de rechercher et dpier ce qui ne soffrirait pas vos yeux.

Le prsident se tut, et linconnu rpta les paroles quil venait dentendre.

Honorez et respectez laqua tofana, reprit le prsident sans changer de ton, comme un moyen prompt, sur et ncessaire de purger le globe par la mort ou lhbtation de ceux qui cherchent avilir la vrit ou larracher de nos mains.

Un cho net pas plus fidlement reproduit ces paroles que ne le fit linconnu; le prsident reprit:

Fuyez lEspagne, fuyez Naples, fuyez toute terre maudite, fuyez la tentation de rien rvler de ce que vous allez voir et entendre, car le tonnerre nest pas plus prompt frapper que ne le sera vous atteindre, en quelque lieu que vous soyez, le couteau invisible et invitable.

Vivez au nom du Pre, du Fils et du Saint-Esprit.

Il fut impossible, malgr la menace que contenaient ces dernires lignes, de surprendre aucune motion sur le visage de linconnu, qui pronona la fin du serment et linvocation qui le suivit avec un accent aussi calme quil en avait prononc le commencement.

Et maintenant, continua le prsident, ceignez le front du rcipiendaire avec la bandelette sacre.

Deux fantmes sapprochrent de linconnu, qui inclina la tte: lun deux lui appliqua sur le front un ruban aurore charg de caractres argents, entremls de la figure de Notre Dame de Lorette, lautre en noua derrire lui les deux bouts la naissance du col.

Puis ils scartrent, en laissant de nouveau linconnu seul.

Que demandes-tu? lui dit le prsident.

Trois choses, rpondit le rcipiendaire.

Lesquelles?

La main de fer, le glaive de feu, les balances de diamant.

Pourquoi dsires-tu la main de fer?

Pour touffer la tyrannie.

Pourquoi dsires-tu le glaive de feu?

Pour chasser limpur de la terre.

Pourquoi dsires-tu les balances de diamant?

Pour peser les destins de lhumanit.

Es-tu prpar pour les preuves?

Le fort est prpar tout.

Les preuves! les preuves! scrirent plusieurs voix.

Retourne-toi, dit le prsident.

Linconnu obit et se trouva en face dun homme ple comme la mort, garrott et billonn.

Que vois-tu? demanda le prsident.

Un criminel ou une victime.

Cest un tratre qui, aprs avoir fait le serment que tu as fait, a rvl le secret de lordre.

Cest un criminel alors.

Oui. Quel chtiment a-t-il encouru?

La mort.

Les trois cents fantmes rptrent:

La mort!

Au mme instant le condamn, malgr des efforts surhumains, fut entran dans les profondeurs de la salle: le voyageur le vit se dbattre et se tordre aux mains de ses bourreaux; il entendit sa voix sifflant travers lobstacle du billon. Un poignard tincela, refltant comme un clair la lueur des lampes, puis on entendit frapper un coup mat, et le bruit dun corps tombant lourdement sur le sol retentit sourd et funbre.

Justice est faite, dit linconnu en se retournant vers le cercle effrayant, dont les regards avides avaient, travers leurs suaires, dvor ce spectacle.

Ainsi, dit le prsident, tu approuves lexcution qui vient davoir lieu?

Oui, si celui qui vient dtre frapp fut vritablement coupable.

Et tu boirais la mort de tout homme qui, comme lui, trahirait les secrets de lassociation sainte?

Jy boirais.

Quelle que ft la boisson?

Quelle quelle ft.

Apportez la coupe, dit le prsident.

Lun des deux bourreaux sapprocha alors du rcipiendaire et lui prsenta une liqueur rouge et tide dans un crne humain mont sur un pied de bronze.

Linconnu prit la coupe des mains du bourreau, et la levant au-dessus de sa tte:

Je bois, dit-il, la mort de tout homme qui trahira les secrets de lassociation sainte.

Puis abaissant la coupe la hauteur de ses lvres, il la vida jusqu la dernire goutte et la rendit froidement celui qui la lui avait prsente.

Un murmure dtonnement courut par lassemble, et les fantmes semblrent se regarder entre eux travers leurs linceuls.

Cest bien, dit le prsident. Le pistolet!

Un fantme sapprocha du prsident, tenant dune main un pistolet et de lautre une balle de plomb et une charge de poudre.

peine le rcipiendaire daigna-t-il tourner les yeux de son ct.

Tu promets donc obissance passive lassociation sainte? demanda le prsident.

Oui.

Mme si cette obissance devait sexercer sur toi-mme?

Celui qui entre ici nest pas lui, il est tous.

Ainsi, quelque ordre quil te soit donn par moi, tu obiras?

Jobirai.

linstant mme?

linstant mme.

Sans hsitation?

Sans hsitation.

Prends ce pistolet et charge-le.

Linconnu prit le pistolet, fit glisser la poudre dans le canon, lassujettit avec une bourre, puis laissa tomber la balle, quil assura avec une seconde bourre, aprs quoi il amora larme.

Tous les sombres habitants de ltrange demeure le regardaient avec un morne silence, qui ntait interrompu que par le bruit du vent se brisant aux angles des arceaux rompus.

Le pistolet est charg, dit froidement linconnu.

En es-tu sr? demanda le prsident.

Un sourire passa sur les lvres du rcipiendaire qui tira la baguette et la laissa couler dans le canon de larme quelle dpassa de deux pouces.

Le prsident sinclina en signe quil tait convaincu.

Oui, dit-il, il est en effet charg et bien charg.

Que dois-je en faire? demanda linconnu.

Arme-le.

Linconnu arma le pistolet, et lon entendit au milieu du profond silence qui accompagnait les intervalles du dialogue le craquement du chien.

Maintenant, reprit le prsident, appuie la bouche du pistolet contre ton front.

Le rcipiendaire obit sans hsiter.

Le silence stendit sur lassemble, plus profond que jamais; les lampes semblrent plir, ces fantmes taient bien vritablement des fantmes, car pas un navait dhaleine.

Feu, dit le prsident.

La dtente partit, la pierre tincela sur la batterie; mais la poudre du bassinet seule prit feu, et aucun bruit naccompagna sa flamme phmre.

Un cri dadmiration schappa de presque toutes les poitrines, et le prsident, par un mouvement instinctif, tendit la main vers linconnu.

Mais deux preuves ne suffisaient point aux plus difficiles, et quelques voix crirent:

Le poignard! le poignard!

Vous lexigez? demanda le prsident.

Oui, le poignard! le poignard! reprirent les mmes voix.

Apportez donc le poignard, dit le prsident.