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– Père… embrassez-moi, s’écria Jacqueline… car je n’ai jamais été si heureuse!

Après avoir longuement serré sa fille dans ses bras… Favraut reprit… transfiguré et vraiment beau de douleur sincère et d’honneur reconquis:

– Maintenant, ma chère enfant, tu vas m’aider à accomplir la première étape de mon pèlerinage d’expiation et de repentir: conduis-moi près de Mme la comtesse de Trémeuse.

Et il ajouta… en enveloppant Jacqueline d’un regard où cette fois il n’y avait plus que l’expression de la plus fière et de la plus affectueuse paternité:

– Je veux lui parler… avant que tu ne revoies Judex!…

IV COCANTIN SAUVETEUR

– Allons, mon vieux Coco… ne fais pas la tête comme ça. On va la retrouver, quoi… Une poule qui flotte comme un bouchon, c’est pas la mer à boire.

C’est en ces termes que le môme Réglisse qui avait pris place dans le canot de l’Aiglon, s’efforçait de rassurer son grand ami sur le sort de l’intrépide Miss Daisy.

Mais le directeur de l’Agence Céléritas, à mesure que la barque gagnait le large, sentait ses inquiétudes grandir.

En effet… les yeux rivés à la lorgnette, il avait beau scruter l’horizon qu’éclairaient à présent les premiers rayons du soleil… il n’apercevait rien… absolument rien…

Pas la moindre Daisy…

Pas le plus petit sillage d’une ondine sur les eaux.

Pâle… le regard navré… tout transi d’angoisse, il exprimait:

– Pourvu qu’elle n’ait pas été entraînée vers la haute mer par quelque courant. Quelle chose atroce! Rien que d’y penser j’en suis malade. Je sens que je deviens fou!…

Puis, s’adressant aux matelots… il interrogeait avidement:

– Est-ce qu’il y a beaucoup de courants par ici?

L’homme de barre, un vieux marin à la peau basanée et à l’œil malin, surmonté d’épais sourcils qui avaient pris les allures et la teinte d’une touffe d’algues marines, répondit en mâchonnant sa chique entre les trois ou quatre vieilles dents qui lui restaient au fond de la bouche:

– Il y en a… des fois… mais on peut s’en garer.

Cocantin, l’œil rond, inquiet, demanda tout en tremblant:

– Et des poissons… des poissons dangereux… Est-ce qu’il y a des poissons dangereux… des requins par exemple?

Le vieux matelot, d’un air gouailleur, répondait:

– Des requins… dans la baie de Saint-Tropez, j’en ai jamais vu.

Et, s’adressant à un petit mousse qui maniait déjà l’aviron avec une vigueur remarquable, il fit:

– Et toi… Paulo… t’en as-t’y vu des fois des requins… sur leur côte?

– Non, jamais!

– Alors, qu’est-ce que t’as vu?

– Des rascasses.

– Des rascasses! s’écria Cocantin qui, soit qu’il eût complètement perdu la tête, soit qu’il n’eût, en pisciculture, que de très vagues connaissances, se sentit tout à coup, rien qu’à ce nom à la fois sonore et agressif, envahi par une sueur froide, accompagnée de violents frissons.

Et tout de suite il ajouta, tandis que son nez immense frémissait d’angoisse:

– C’est méchant, ça, une rascasse?

Le mousse, auquel le vieux loup de mer avait lancé un rapide coup d’œil d’intelligence, fit aussitôt:

– Si c’est mauvais!… Autant dire, mon bon monsieur, qu’il n’y a pas de plus sale bête dans toute la Méditerranée… Si c’est mauvais!

– Tant que ça?

– Bien plus encore…

– Comment est-ce fait?

– C’est pas beau à voir…, définissait le mousse. Ça vous a d’abord une grosse tête… avec des yeux qui ressortent et qui sont tout hérissés de piquants, et puis… une gueule toujours ouverte… comme si elle voulait tout avaler à la fois.

– Ah! mon Dieu! soupirait Cocantin.

Le mousse poursuivait:

– Sur le dos, elles ont un gros paquet d’arêtes pointues… qu’elles redressent… quand elles sont en colère…

– Ne m’en dites pas davantage…, interrompait Prosper, bouleversé d’horreur par cette description aussi exacte que pittoresque.

Et il ajouta:

– Ma pauvre Daisy… pourvu qu’elle n’ait pas été dévorée par une rascasse!

À ces mots, tous les matelots partirent d’un joyeux éclat de rire.

– Non, mais… qu’est-ce qui vous prend? s’indignait le détective malgré lui. Il n’y a rien de drôle à cela… au contraire.

– Dévorée par une rascasse! répétait le loup de mer qui en avait lâché la barre. Dévorée par une rascasse!… Ah! mon pauvre monsieur, vous n’avez pas cela à craindre pour votre dame… Vous pouvez être bien tranquille. C’est plutôt elle qui l’aurait dévorée, la rascasse!

– Qu’est-ce que vous me racontez là? sursautait Cocantin que la colère commençait à envahir.

Car il commençait à avoir l’impression très nette que, depuis un moment, les matelots de l’Aiglon se payaient sa tête dans les grands prix.

Alors le matelot, tout en changeant sa chique de place, questionna, tandis que son œil pétillait de malice:

– Dites-moi monsieur, avez-vous parfois mangé de la bouillabaisse?

– De la bouillabaisse?

Le loup de mer définit, avec une précision digne de l’auteur du parfait manuel de La Cuisinière bourgeoise:

– C’est un plat du pays composé de pommes cuites dans de l’eau… ou dans du vin blanc et dans lequel on met beaucoup d’ail, de persil, de safran, de poisson, de laurier…

– J’y suis… j’y suis, reconnaissait le directeur de l’Agence Céléritas qui, faisant appel à ce qu’on est convenu d’appeler des souvenirs d’estomac, formulait:

– Je me rappelle en avoir mangé à Marseille, sur le quai… C’était bon… c’était même très bon. J’en ai mangé aussi à Nice… elle était non moins exquise… Mais qu’est-ce que la rascasse peut bien avoir affaire avec la bouillabaisse?

– Hé! c’est que la bouillabaisse est faite avec la rascasse.

– C’est donc un petit poisson?

– Un tout petit petit…

– Vous m’avez fait marcher!… s’écria Cocantin qui, doué d’un très bon caractère, eût été le premier à rire de la facile plaisanterie des hommes du bord, s’il n’eût pas été si anxieux du sort de sa fiancée.

Et il allait reprendre sa jumelle au môme Réglisse qui, depuis un instant déjà, s’en était emparé, lorsque le petit s’exclama:

– Hé! Coco, là-bas… un peu à droite, je vois quelque chose qui remue… qui remue dans l’eau…