– Mademoiselle Marie…, reprenait celle-ci, que je suis heureuse de vous revoir!… Mais… comment avez-vous pu découvrir mon adresse? Seuls, M. Vallières et les Bontemps la connaissaient… et je m’étonne qu’ils se soient permis…
Diana, qui s’était déjà ressaisie, reprenait sur un ton d’hypocrisie affectueuse et déférente:
– Chère madame, je vous en prie, n’incriminez personne… Je n’ai revu ni les Bontemps… ni M. Vallières. Je suis en ce moment dame de compagnie chez de riches Américains qui viennent de se fixer à Paris. Chargée par eux de rechercher pour leurs enfants, un professeur de piano, sachant parler l’anglais… mon attention a été attirée par l’une des annonces que vous avez fait insérer dans un journal; et je me suis empressée de me rendre chez cette Mme Jeanne Bertin afin de m’entendre avec elle… Vous avez dû voir combien vives ont été ma surprise et ma joie en me trouvant en face de vous.
L’aventurière, plus décidée que jamais à mener jusqu’au bout sa besogne infâme, continua, nullement désarmée par tant de noble courage et de touchante infortune:
– Vous ne pouvez vous imaginer combien je bénis la Providence qui m’a conduite jusqu’à vous.
Et, mettant le comble à son hypocrisie, la maîtresse de Moralès dont le regard venait de se poser sur la photographie du petit Jean, s’écria:
– Ce cher ange adoré!… Excusez-moi, madame, dans mon trouble, j’avais oublié de vous demander de ses nouvelles.
– Il va très bien, je vous remercie, répondait Jacqueline, entièrement dupe des menées de l’ex-institutrice.
Celle-ci insistait, jouant avec un art infini son rôle abominable:
– Que je suis heureuse de pouvoir reconnaître enfin toutes les bontés que vous avez eues pour moi!… En effet, les Hopskings sont excessivement riches… Vous pourrez leur demander vingt francs l’heure… Mais rassurez-vous, je respecterai votre incognito… Ils ne sauront rien… je vous le promets… pas plus eux que personne… Les enfants sont fort bien élevés… très gentils… Ils seront ravis de vous connaître… Ah! tenez, chère madame, je suis tellement contente, que je vous demande la permission de vous embrasser.
– Très volontiers…, acceptait franchement Jacqueline qui, tout en rendant à la misérable son baiser de traîtrise, fit aussitôt dans l’élan spontané de son cœur généreux:
– Croyez, chère mademoiselle Marie, que je n’oublierai jamais la preuve d’affection que vous venez de me donner.
– N’est-ce pas tout naturel?
– Quand me présenterez-vous?
– Tout de suite; les Hopskings demeurent à Auteuil… Nous y serons dans quelques minutes et dans une demi-heure, tout sera réglé… Venez!
Un peu étourdie par ces paroles que l’aventurière exprimait avec une volubilité cordiale et persuasive, Jacqueline hésitait.
– Allons, chère petite madame, s’écria la Monti, décidez-vous, ou bien je vous enlève de force.
– En ce cas, je vous suis, consentait Jacqueline, pleine de gratitude envers la perfide créature qui avait imaginé le lâche guet-apens où, à force de fourberie et de ruse, elle avait si bien réussi à entraîner la pauvre jeune femme.
Moralès, en costume de sportsman de la plus correcte élégance, faisait les cent pas sur le trottoir… Aussitôt qu’il aperçut Diana et Jacqueline, il s’avança vers elles, sa casquette à la main.
– Mme Jeanne Bertin, présenta aussitôt l’aventurière, M. James Hopskings qui a bien voulu m’accompagner.
Très empressé, Moralès aida la jeune professeur à monter dans la luxueuse limousine qui stationnait devant la porte de la pension Chapuis.
Diana s’assit près de Jacqueline… Moralès s’installa en face d’elle… L’auto gagna rapidement le bois de Boulogne, traversa l’allée de Longchamp, s’engagea dans la route des Lacs… Mais presque aussitôt, au lieu de continuer sa route, le wattman bifurqua à droite, dans une allée déserte.
Alors, Diana bondit sur Jacqueline et appuya fortement contre ses lèvres et ses narines un tampon de ouate chloroformée.
La malheureuse jeune femme n’eut pas le temps de pousser un cri… Ce fut en vain qu’elle voulut se débattre… Moralès l’immobilisait de toutes ses forces, tandis que le narcotique faisait son œuvre, et bientôt ce ne fut plus qu’une pauvre petite chose inerte… que, triomphalement, sauvagement, Diana et son amant emportaient.
– Sais-tu quelle est cette femme? demanda la Monti à son amant.
– Non.
– Eh bien, c’est Jacqueline Aubry, la fille du banquier Favraux!
– Mais elle a dû te reconnaître?
– Elle m’a reconnue.
– Et tu as osé?
– Tais-toi! Maintenant que nous sommes embarqués, ricana l’aventurière, il faut que nous allions jusqu’au bout du voyage!
VII LES DEUX FIGEONS
– Dites papa Julien, quand est-ce dimanche?
– Dans quatre jours, mon enfant.
– Et avant, je ne verrai pas maman?…
– Hé, non… mon petit Jeannot.
– Pourquoi ne vient-elle pas plus tôt?
– Parce qu’elle travaille, la pauvre chère dame!
– Oui… mais vous, pourquoi ne m’emmenez-vous pas la voir?
Et le brave père Bontemps qui était en train de remplir de choux une voiture de maraîcher, expliquait avec un accent de bonhomie affectueuse:
– Nous aussi, mon mignon, nous avons beaucoup d’ouvrage… Mais ne vous tourmentez pas, quatre jours, c’est vite passé.
– Quatre jours! quatre jours! répétait le bambin, en comptant sur ses doigts.
Et il ajouta, tandis que deux grosses larmes, voilaient ses beaux yeux si doux:
– Pauv’petite maman chérie!
Tout le restant de l’après-midi, malgré les efforts répétés de Bontemps et de sa fille pour l’égayer, Jeannot demeura triste. Ce ne fut qu’au moment d’aller se coucher que sa physionomie reprit son expression de joie enfantine; et lorsque après l’avoir bordé maternellement, puis tendrement embrassé, Marianne se retira chez elle, le regard de Jeannot se remplit d’une expression de satisfaction malicieuse et presque provocante. Puis le petit, fermant les yeux, parut s’endormir presque aussitôt, au lumignon d’une veilleuse qui répandait autour d’elle une discrète et rassurante clarté.
Or, M. Jeannot était parfaitement éveillé… L’oreille aux aguets, il entendit chaque bruit de la maison s’éteindre peu à peu; et lorsque autour de lui tout devint silencieux, il se dressa sur son séant, demeura un instant immobile; puis, se glissant hors de son lit, marchant sur la pointe des pieds, il s’en fut coller son oreille à la porte qui faisait communiquer sa chambre avec celle de Marianne.
Rassuré sans doute, il s’habilla entièrement, évitant avec soin de déranger inutilement les objets et de heurter imprudemment les meubles; puis, marchant à pas de loup, il descendit au rez-de-chaussée, pénétra dans la cuisine dont il ouvrit la fenêtre avec les précautions les plus minutieuses, sauta dans la cour, se dirigea tout droit vers la voiture du maraîcher qu’il escalada non sans peine, disparut aussitôt au milieu des énormes choux qui allaient lui procurer la plus sûre des cachettes, s’y installa, s’y cala, avec le calme et le sang-froid de quelqu’un qui sait très bien ce qu’il fait et où il va… et lorsque, vers une heure du matin, le père Mathieu, un cultivateur du pays qui conduisait la charrette aux Halles, partit comme chaque nuit pour la capitale, il ne se douta pas, un seul instant, qu’il emmenait avec lui, enfoui sous un tas de légumes, un garçonnet de cinq ans paisiblement endormi, et rêvant à sa maman.