– Mais non, ripostait le bambin, puisque c’est pour l’embrasser… Où est-elle? Je veux la voir… vite… bien vite.
– Elle est sortie, mais elle va rentrer.
Il y avait, en effet, une heure environ que Jacqueline, cédant aux perfides instances de la Monti, était partie en auto avec elle.
S’emparant alors de Jeannot, Mme Chapuis lui dit:
– Venez, mon mignon… ne restez pas dans la rue…
Mais le petit hésitait.
– Et lui? demanda-t-il en montrant son ami.
Le môme Réglisse ripostait:
– Pas la peine, mon gosse… Va avec la dame… J’aime pas raser le monde… je retourne dans mon patelin… j’ai mon billet de retour. Bonsoir la «soce».
– Au revoir, Réglisse! s’écria le petit-fils du banquier, qui, en un élan charmant et spontané, lui sauta au cou.
– Au revoir, mon «pote», et t’en fais pas pour moi, fit le petit ramasseur de mégots qui s’en fut, fier de son exploit, conscient de son importance, tandis que Mme Chapuis, encore toute stupéfaite de cette aventure, conduisait Jeannot jusqu’à la chambre de Jacqueline.
Avec une franchise touchante, le bambin lui raconta tout…
Émue jusqu’aux larmes, la digne personne, qui n’avait pas le courage de le gronder davantage, l’embrassa avec bonté… Puis, comme une sonnerie stridente se faisait entendre, elle fit:
– Mon chéri, je suis obligée de descendre. Votre maman va revenir… Tenez-vous là bien tranquille…
Et Jeannot resté tout seul… regarda autour de lui… songeant:
– C’est pas si beau que chez grand-papa Favraut, mais c’est beau tout de même, puisque c’est la chambre de ma maman.
Puis, il se dirigea vers la fenêtre entrouverte, afin de guetter le retour de celle qu’il attendait avec une si adorable impatience.
Soudain, un cri de joie lui échappe:
– Oh! les beaux petits pigeons!
L’enfant vient en effet d’apercevoir, dans leur cage, les deux oiseaux devenus les compagnons de sa mère.
Il s’avance vers la cage et contemple les pigeons qui, nullement effarouchés, le regardent en roucoulant avec douceur, comme s’ils devinaient en lui un ami.
– Oh! oui, ils sont beaux…, admire-t-il. Je voudrais les caresser.
Mais, tout à coup, il cesse de sourire… il devient presque grave, tandis que ses yeux reflètent une expression d’exquise bonté.
– Maman, murmure-t-il, m’a dit bien des fois que les oiseaux n’étaient pas faits pour vivre en prison.
Et, tout doucement, il ouvre la porte de la cage en disant:
– Partez, mes petits, partez… Allez-vous-en vite, bien vite, retrouver vos parents.
Les deux pigeons se sont élancés au dehors… en un joyeux bruit d’ailes…
Après s’être orientés un instant, ils s’envolent bientôt vers les ruines du Château-Rouge… Jeannot les suit des yeux. Et sans se douter que son geste d’instinctive miséricorde va peut-être sauver sa mère, éperdu de ravissement, tout en frappant l’une contre l’autre ses menottes roses, il crie aux fidèles messagers de Judex:
– Bon voyage, mes petits pigeons blancs. Bon voyage!
TROISIÈME ÉPISODE La meute fantastique
I VIDOCQ
Vers huit heures du matin, un homme de haute taille, d’allure aristocratique, drapé dans une ample cape noire et tenant en laisse un superbe chien policier, se présentait dans une pension de famille de Neuilly, sise impasse Saint-Ferdinand, et demandait aussitôt à parler à Mme Bertin.
– Mme Bertin n’est pas ici, répondit la propriétaire, l’excellente Mme Chapuis dont les traits tirés, les yeux rouges et les paupières gonflées, attestaient une nuit sans sommeil, et toute d’inquiétude.
– Comment… elle n’est pas ici? s’exclama l’inconnu avec un étonnement qui aurait pu paraître factice à un observateur.
– Non, monsieur! fit l’excellente femme qui, étonnée par le grand air de son interlocuteur, en même temps que rassurée par son regard de lumineuse intelligence et de loyale franchise, questionna avec une indication d’immédiate confiance:
– Vous êtes peut-être son parent?
– Je suis un ami de sa famille, précisa Judex sur un ton plein de noblesse qui eût suffi à dissiper immédiatement toute équivoque.
– Entrez donc, monsieur, invita aussitôt la brave hôtelière qui, tout en faisant pénétrer le visiteur dans le petit salon du rez-de-chaussée, exprimait avec l’accent de la plus vive angoisse: Je vous demande pardon, monsieur, de vous recevoir ainsi; mais je suis toute bouleversée. Je crains un malheur… Une personne si aimable et si sérieuse, qui était si facile à vivre et qui ne se plaignait jamais de rien!…
Et l’excellente créature, éclatant en sanglots, s’écria:
– Ah! la pauvre petite femme!…
– Calmez-vous, madame, conseillait Judex avec bonté; et veuillez m’expliquer ce qui s’est passé.
– Voilà, monsieur… Hier… vers la fin de l’après-midi, une dame que je n’avais jamais vue est venue demander Mme Jeanne Bertin pour des leçons de piano… Mme Bertin l’a reçue dans sa chambre, et, au bout d’un quart d’heure environ, elles sont redescendues toutes les deux. Elles devaient se connaître depuis longtemps, car elles semblaient très bonnes amies. Quand Mme Bertin est passée devant le bureau, elle m’a dit en accrochant sa clef au tableau: «Je vais faire une course; mais je serai certainement de retour avant dîner.» Et elle n’est pas rentrée… Je l’attends encore! Si elle avait été retenue au-dehors, elle m’aurait certainement prévenue. C’est donc qu’elle a eu un accident, Paris devient si terrible avec tous ces tramways et ces autos qui filent un train d’enfer dans tous les sens… Aussi, moi, depuis hier soir, je ne vis plus… j’ai passé toute ma nuit à attendre ma pensionnaire… J’espérais toujours la voir revenir… Mais rien!… Et, pour comble de malchance, son petit garçon nous est arrivé hier soir. Figurez-vous qu’il s’est sauvé de la campagne où sa mère l’avait placé chez de très braves gens, paraît-il… Il n’a que quatre ans et demi… Croyez-vous?… Je ne savais qu’en faire… Il ne voulait pas se coucher avant d’avoir embrassé sa maman… Enfin, il a fini par s’endormir, le pauvre mignon… Mais quand il va se réveiller, et qu’il ne va encore voir personne, je me demande ce que je vais lui dire! J’en suis malade d’avance!… En voilà des émotions!
Judex, qui avait écouté Mme Chapuis avec la plus sympathique attention, reprenait:
– Voulez-vous me permettre, madame, de vous poser quelques questions?
– Volontiers, monsieur. Je ne vous connais pas; mais du moment que vous êtes un ami de Mme Bertin…
– Avez-vous prévenu la police de la disparition de votre pensionnaire?
– Non, monsieur, j’espérais toujours que la pauvre petite rentrerait… Mais, si vous le voulez, nous pourrions aller ensemble au commissariat…
– Attendez encore un peu. Mme Bertin recevait-elle des visites?
– Aucune, monsieur.