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– Avez-vous jamais vu des gens suspects rôder autour de chez vous?

– Jamais… c’est-à-dire qu’à présent, je crois me rappeler qu’un jeune homme assez élégant s’est arrêté à plusieurs reprises devant la maison.

– Et cette personne qui est venue demander Mme Bertin, comment était-elle?

– Très jolie fille, avec des bandeaux noirs, de grands yeux… et bien habillée, élégante, même. Enfin, si cela peut vous intéresser, Mme Bertin l’a appelée devant moi: Mlle Marie…

«Mlle Marie…» nota mentalement Judex qui reprit aussitôt:

– Avez-vous fait d’autres remarques?

– Je ne sais pas… Je cherche… Faut pas m’en vouloir; je n’ai pas très bien ma tête à moi… Attendez, mon bon monsieur… Cette demoiselle Marie est arrivée dans une belle auto de maître qui a attendu devant ma porte… Il y avait aussi un monsieur… un jeune homme… qui a fait les cent pas… sur le trottoir… et qui est monté dans la voiture avec Mme Bertin et la femme brune.

– Ce jeune homme était-il le même que celui que vous avez vu stationner en face de chez vous?

– Non, monsieur!… Je puis même vous affirmer qu’ils ne se ressemblaient pas du tout.

Judex, qui avait enregistré les déclarations de Mme Chapuis avec la plus apparente impassibilité, continuait toujours sur ce ton de politesse parfaite qui révélait un vrai gentleman:

– Vous m’avez bien dit que le fils de Mme Bertin était ici?

– Oui, monsieur. Je l’ai installé dans la chambre de sa mère.

– Pourriez-vous me conduire auprès de lui?

– Très volontiers! acceptait la brave hôtelière sur laquelle l’homme à la cape noire semblait avoir conquis un entier ascendant.

Cependant, comme elle jetait un regard anxieux sur le superbe chien que le visiteur tenait en laisse:

– Rassurez-vous…, fit Judex, Vidocq n’est méchant qu’avec les méchants… Autrement, c’est un animal, ou plutôt un être humain d’une intelligence et d’une bonté extraordinaires.

– Alors, venez, monsieur.

Quelques instants après, Judex pénétrait dans la chambre de Jacqueline.

Jeannot venait de s’éveiller.

En apercevant cet étranger, l’enfant eut un mouvement de frayeur. Mais la présence de Mme Chapuis le rassura aussitôt, en même temps que la vue du chien policier lui arracha ce cri d’admiration spontanée:

– Oh! le beau toutou!

– Tu peux le caresser, mon mignon, invitait Judex en s’approchant du lit… Il est très doux et il aime beaucoup les enfants, surtout quand ils sont gentils.

Jeannot promenait sa main sur la tête du bel animal… qui le considérait déjà d’un air de protection affectueuse, lorsque, redevenu subitement anxieux, il demanda à Mme Chapuis, qui avait peine à retenir ses larmes:

– Dites, madame, est-ce que maman est revenue?

– Pas encore!

– Mais elle ne tardera pas, déclara Judex en approchant ses lèvres du front d’ange qui s’offrait à lui, tandis que, gravement, comme s’il prenait envers lui-même le plus sacré des engagements, il déclarait:

– Je te le promets, mon enfant…, tu reverras bientôt ta maman.

Puis, se tournant vers l’hôtelière, il lui confia à voix basse, mais avec un accent d’autorité souveraine:

– Votre pensionnaire est vivante!

– Que le bon Dieu vous entende!

– Je m’en vais partir à sa recherche… Mais pas un mot, n’est-ce pas… à personne, vous m’entendez!… Le salut de Mme Bertin dépend de votre silence.

– Comptez sur moi!

Judex s’emparant d’un gant que Jacqueline avait laissé sur la table le fit flairer à son limier qui, les oreilles dressées et les prunelles en feu, sembla répondre aussitôt à son maître: «J’ai compris!»

– Au revoir, madame, saluait poliment le mystérieux visiteur.

– Où pensez-vous qu’elle puisse bien être? interrogeait avidement l’hôtelière…

– C’est Vidocq qui va me le dire…, répondit Judex, en désignant son chien qui, tout frémissant, les muscles du cou tendus, et le nez humant le sol, l’entraînait vigoureusement, dans sa hâte d’entrer en chasse.

Tandis que l’homme à la cape noire gagnait la rue, Mme Chapuis, le regardant s’éloigner, se prit à murmurer:

– Je n’ai pas osé lui demander comment il s’appelait: mais rien qu’à la façon dont il a embrassé le petit, j’ai tout de suite deviné que c’était un brave homme.

… Et Judex, tout en regagnant une automobile où l’attendait son frère, songeait, les sourcils froncés et en proie à une réelle angoisse:

– Pourquoi Diana Monti a-t-elle enlevé Jacqueline?

II DIANA, MORALÈS ET CIE

Étendue, ou plutôt prostrée sur un banc rustique, au fond d’une pièce voûtée, où le jour pénétrait par une sorte d’œil-de-bœuf hors de portée et garni de solides barreaux de fer, une jeune femme, dont le visage reflétait une expression de stupeur profonde, laissait errer autour d’elle un regard profondément douloureux.

C’était Jacqueline Aubry, qui venait de reprendre connaissance.

Ne saisissant pas bien, tout d’abord, la réalité, elle voulut se lever, se diriger vers une porte massive… à l’énorme serrure toute neuve et visiblement fermée du dehors…

Mais… elle n’en eut pas la force… Elle retomba sur le banc… et, comme elle voulait appeler, sa voix s’étrangla dans sa gorge en proférant cette phrase qui se termina en un déchirant sanglot:

– Je suis prisonnière!…

Tout de suite, une question d’autant plus tragique qu’elle se sentait incapable d’y répondre, se posa à son esprit:

– Pourquoi?

Se souvenant à présent de toutes les péripéties de son enlèvement, elle se demandait:

– Oui, pourquoi cette demoiselle Verdier envers laquelle je n’ai jamais eu que de bons procédés et qui, elle-même, ne m’a jamais témoigné que beaucoup de déférence et de sympathie, m’a-t-elle attirée dans un aussi odieux guet-apens?… Je suis pauvre… on ne peut donc rien espérer de moi… Je ne vois pas… je ne comprends pas…

Mais bientôt un nom s’échappa de ses lèvres:

– Judex!

Et la fille du banquier, envahie d’une torpeur irrésistible, se demandait:

– Si c’était lui qui m’avait fait conduire ici? Si poursuivant jusqu’au bout son œuvre de vengeance implacable, après avoir endormi ma défiance par l’envoi de ces deux pigeons et de cette lettre où il se déclarait mon protecteur, il avait pris l’institutrice de mon fils pour complice? Qui sait si ce n’est pas grâce à cette femme qu’il a pu frapper mon père?

Incapable de soupçonner César de Birargues d’une pareille félonie, s’exaltant à ces soupçons terribles qui n’étaient pas loin de devenir pour elle la plus atroce des certitudes, Jacqueline cherchait à reconstituer dans son cerveau enfiévré toute la suite des événements tragiques qu’elle venait de traverser.

Ressuscitant en elle un tas de détails qu’elle avait jusqu’alors négligés, elle en arriva à conclure qu’elle était à son tour la victime de Judex et que Marie Verdier n’était que l’exécutrice des volontés de ce terrible et mystérieux personnage.