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Et prenant cinq billets de mille francs dans son portefeuille, il ajouta:

– Voici le reliquat de la somme convenue… Maintenant, conduisez-moi auprès de la belle…

– Un instant! fit Moralès stimulé par le regard expressif de sa maîtresse.

– Pourquoi, un instant? questionna vivement le jeune de Birargues.

– Les frais ont été plus considérables que je ne le pensais…, développait cyniquement le rasta. Ce n’est pas tout; nous courons de gros risques… nous avons dû nous assurer des complicités très coûteuses. Il me faut encore dix mille francs si vous voulez que je vous livre votre captive.

– Dix mille francs! répéta César ahuri par cette complication imprévue.

– C’est à prendre ou à laisser…, conclut froidement Moralès.

M. de Birargues eut un frémissement de rage. En un seconde, la lumière s’était faite dans son esprit.

– Je suis roulé…, se dit-il au comble de la rage.

Puis tout haut, il reprit d’un air de dignité offensée:

– Vous êtes deux gredins!

– Marquis!

– Oui, deux gredins… et je vous donne cinq minutes pour remettre Mme Jeanne Bertin en liberté… sinon, je vais immédiatement porter une plainte au procureur de la République.

– Une plainte! Contre qui? interrogeait ironiquement Diana.

– Contre vous deux.

– Et ça? fit Moralès, en mettant sous les yeux de César la lettre que celui-ci lui avait si imprudemment adressée la veille:

Mon cher baron,

Comme convenu, je vous envoie ci-joint un chèque de cinq mille francs pour l’exécution de mes projets. Je vous remettrai pareille somme… à la livraison.

Très cordialement vôtre.

CÉSAR DE BIRARGUES.

En relisant cette missive, à laquelle, en l’écrivant, il n’avait accordé aucune importance, le jeune snob comprit l’effroyable guêpier dans lequel il était tombé.

Pâle de fureur, secoué d’une sorte de frisson nerveux, il eut un geste de menace comme pour se jeter à la gorge du baron de pacotille, du rasta sans scrupules qui l’avait si impudemment floué.

– Canaille! hurla-t-il. Tu vas me rendre cette lettre… ou bien…

– Viens la prendre…, riposta flegmatiquement Moralès, en sortant un browning de la poche de son veston.

Puis il ajouta… conciliant… ironique:

– Mon cher marquis, si vous ne voulez pas être inquiété vous-même… je vous engage à ne pas mêler la police à nos affaires… Si vous êtes à court d’argent, nous vous donnerons tout le temps nécessaire pour vous exécuter… N’avons-nous pas un otage?

– C’est bien, riposta César, d’une voix sifflante… Attendez-moi ici… le temps d’aller à Paris et d’en revenir… et je vous rapporte la somme.

– À la bonne heure! ponctua Moralès.

Et Diana, qui avait appuyé sur le bouton d’une sonnette électrique, dit au valet de chambre dont l’horrible silhouette apparaissait dans l’entrebâillement de la porte:

– Crémard, reconduisez M. le marquis jusqu’à sa voiture!

– Diana…, fit Moralès, lorsque César eut disparu… es-tu contente de moi?… Ai-je bien récité ma leçon?

– Pas mal!… Pas mal du tout! reconnut l’aventurière qui, le regard perdu dans une mystérieuse et sombre rêverie, ajouta: Décidément, je commence à croire que je ferai quelque chose du petit Moralès!

III L’HONNEUR… OU RIEN

– Mariette, demandait Mlle Gisèle de Birargues à sa femme de chambre, vous êtes sûre que Mme Bertin n’a pas téléphoné?

– Oui, mademoiselle.

– C’est extraordinaire! Je l’attendais à dix heures… Il est onze heures et demie passées… Comme elle est toujours d’une exactitude scrupuleuse, je crains qu’elle ne soit malade ou qu’elle n’ait eu un accident.

– Mademoiselle veut-elle que je demande au valet de pied?

– C’est inutile. Si Mme Bertin ne vient pas, je vous enverrai cet après-midi prendre de ses nouvelles.

Et Gisèle, vraiment adorable dans sa toilette dont la fraîcheur exquise et le goût parfait évoquaient un de ces gracieux tableaux de Latour, le pastelliste merveilleux du XVIIIe siècle, gagna le grand salon où, en attendant le déjeuner, elle se préparait à déchiffrer un délicieux rigodon de Lulli, lorsqu’elle s’arrêta sur le seuil…

Elle venait d’apercevoir son frère, qui, écroulé sur un canapé, la tête entre les mains, semblait en proie à une douleur extrême.

– César, mon ami…, fit-elle au comble de l’émotion et de la surprise.

– Gisèle… toi! s’écria M. de Birargues, en faisant apparaître un visage ruisselant de larmes.

– Pourquoi pleures-tu? interrogea la jeune fille, de plus en plus émue… Il est donc arrivé un malheur?… Est-ce que notre père ou notre mère?

– Oh! non, rassure-toi, fit aussitôt le jeune marquis… C’est moi… c’est moi seul…

Il s’arrêta… reculant devant la honte d’un aveu à l’être si adorablement chaste qui s’avançait les mains tendues vers lui, comme pour lui offrir sans condition tout l’appui de sa tendresse.

– Parle, je t’en prie, invitait Gisèle… Tu sais bien que tu peux entièrement compter sur moi… Je t’ai toujours raconté mes petites peines, toi, tu peux bien me confier tes gros chagrins!

– Non pas à toi!… pas à toi!

– Pourquoi?

– Parce que c’est impossible!

– Je ne peux pas rester dans une pareille incertitude… Allons, réponds-moi. Qu’y a-t-il?

– Il y a… eh bien, il y a que je suis un misérable!

– Toi, mon frère!…

– Oui… moi!

– Ce n’est pas possible!

– Ah! ma pauvre petite, si tu savais…, bégaya le malheureux garçon, fou de remords et de honte…

Avec cette distinction d’âme, ce tact de cœur et cette noblesse de caractère qui n’appartiennent qu’aux êtres d’exception, aux natures d’élite, Gisèle reprenait aussitôt:

– César, écoute-moi. Je n’ignore pas que depuis un certain temps tu mènes une existence qui n’est pas sans causer beaucoup d’inquiétude à nos parents… Mais je sais également que tu n’es pas mauvais… et que, surtout, tu m’as gardé toute ton affection… Si tu as commis une vilaine action et que je puisse t’aider à la réparer… ton devoir est de tout me dire; car tu aggraverais encore ta faute en me la cachant… Je ne suis plus une enfant à laquelle on dissimule jalousement toutes les laideurs de la vie… J’ai vingt ans… et je suis ta meilleure amie… Quoi que tu aies pu faire – et je me refuse à croire que tu sois aussi coupable que tu t’en accuses -, je suis là pour te pardonner, pour te conseiller et pour te sauver… Tu es Birargues comme moi… Nous sommes du même sang, de la même race. Notre devise est: Aut honor aut nihil. L’honneur ou rien. Au nom de cet honneur que chaque génération des nôtres a grandi aux yeux du monde, je te somme, mon frère, de me dire toute la vérité!