– Monsieur Cocantin, où est Favraut?
– Favraut! s’exclama l’excellent Prosper, qui était à cent lieues de s’attendre à une question pareille. Favraut?… mais il est mort!
– Alors, objectait Diana, comment se fait-il que son cercueil soit vide?
– Son cercueil vide?
– Je l’ai constaté moi-même, cette nuit, au cimetière des Sablons.
– Madame, permettez-moi de vous déclarer que je n’aime pas beaucoup ce genre de plaisanterie…
– Je parle très sérieusement… M. Favraut n’est plus dans son cercueil.
Et Cocantin, qui n’avait d’ailleurs aucune disposition pour le métier qu’il accomplissait… par héritage, balbutia en écarquillant les yeux:
– C’est inouï… c’est fou… c’est insensé! Vous devez faire erreur…
– Je vous répète, insistait l’aventurière, que Favraut n’est plus dans sa tombe.
Alors Moralès, que sa maîtresse avait dûment stylé, s’écria en s’avançant vers le détective épouvanté:
– Celui qui a enlevé Favraut c’est Judex, et Judex, c’est vous!
– Moi!… Judex! s’exclama l’infortuné Prosper, auquel cette accusation avait achevé de faire perdre la tête.
– Oui, vous, vous, vous! scandait le rasta… tandis que Diana martelait:
– Cocantin, qu’as-tu fait de Favraut?
Le détective privé était un peu trop neuf dans le métier et surtout beaucoup trop naïf pour se douter un seul instant du piège qui lui était tendu.
Incapable de dissimuler les sentiments qui l’agitaient, il laissa échapper:
– Je donnerais bien deux ans de ma vie pour n’avoir pas été mêlé à cette ténébreuse affaire.
Puis, lançant un regard désespéré vers le buste de Napoléon, il lui sembla entendre la voix du maître qui lui criait:
– Cocantin, défends-toi!
Quelque peu réconforté, le directeur de l’Agence Céléritas, tout en s’efforçant de prendre un air digne et offensé, fit d’une voix qui tremblait encore:
– Je proteste, baron, je proteste, baronne… Prosper Cocantin n’est ni un vampire, ni un assassin.
– C’est vous Judex! insistaient les deux bandits.
– Je suis si peu Judex, affirmait Prosper, que j’ai été chargé de le rechercher.
– Par qui? interrogeait Moralès.
– Par le banquier Favraut.
– Allons donc!
– Je vais vous en donner la preuve.
Alors le détective malgré lui, décidé à tout pour s’innocenter de la terrible accusation qui pesait sur lui, prit une petite clef attachée à sa chaîne de montre et, ouvrant un tiroir de son bureau, il en retira deux feuilles de papier tout en disant d’une voix qu’il s’efforçait de raffermir:
– Monsieur Favraut avait reçu, la veille et le jour de sa mort, deux lettres que j’ai cru devoir restituer à la famille; mais j’en ai gardé copie. Les voici… veuillez en prendre connaissance.
En homme sûr de son fait et en paix avec sa conscience, il tendit les papiers aux deux bandits, tout en ajoutant:
– Vous constaterez, baron, et vous aussi, madame, que si j’avais été Judex, je me serais bien gardé de rapporter les originaux de ces deux lettres à la fille de cet infortuné banquier.
– Certainement, monsieur Cocantin, s’empressèrent de déclarer les deux bandits, qui avaient appris ce qu’ils voulaient savoir.
Enchantée d’être arrivée à ses fins, Diana ajoutait:
– Nous vous devons toutes sortes d’excuses… Nous sommes désolés!… Comment réparer nos torts envers vous? Mais, que voulez-vous? Nous avons été trompés par les apparences, influencés par certains racontars…
– Ah! ça… par exemple…, s’effrayait Prosper. On dit…
– On dit tant de choses…, glissait perfidement l’aventurière, redevenue aimable. On ne peut pas empêcher les potins de se former, ni les gens de les faire circuler…
– M’accuser, moi… d’une pareille chose, s’indignait Cocantin. Tous ceux qui me connaissent savent très bien que je suis incapable de faire du mal même à une mouche.
– Le monde est si méchant.
– Me faire passer pour un homme qui se cache pour tuer les gens et qui enlève ensuite leur cadavre, mais c’est abominable! Que dois-je faire pour mettre fin à une pareille calomnie?…
– Il n’y a qu’un moyen insinuait la Monti: «Nous aider à retrouver Judex!»
– Moi qui avais juré de ne plus m’occuper de cette affaire.
– Dans votre intérêt, encore bien plus que dans le nôtre, appuyait Moralès, j’estime que pour faire cesser tous ces commérages stupides, la première chose à faire pour vous est de découvrir ce mystérieux personnage.
– Le baron a complètement raison, appuyait Diana. D’autant plus qu’il est infiniment probable que ce gredin n’en restera pas là… Il est donc indispensable de couper le mal par la racine. En nous y aidant, monsieur Cocantin, non seulement vous vous serez rendu service à vous-même, mais vous aurez encore bien mérité de la société.
– Vous avez sans doute raison, reconnaissait Prosper, très ébranlé par les arguments de ses deux interlocuteurs.
– Nous pouvons donc compter sur vous? demandait Moralès.
– Avant de m’embarquer dans une affaire aussi grave, j’ai besoin d’étudier encore le dossier.
– Cher monsieur Cocantin, reprenait la Monti, en se faisant très chatte et en enveloppant le détective privé d’un coup d’œil incendiaire…, je suppose que vous ne vous figurez pas un seul instant que je m’en vais vous faire travailler pour… mes beaux yeux?
– Cela suffirait pour me décider…, ripostait galamment l’inflammable Prosper.
– Toute peine mérite salaire, poursuivait l’intrigante créature, qui, affectant une grande netteté, définit:
– Il y a cent mille francs pour vous, monsieur Cocantin, si vous réussissez.
Vaincu beaucoup plus par le regard prometteur dont l’ex-institutrice accompagnait son offre que par la promesse de cette forte somme, Cocantin s’écria en s’emparant des mains de l’aventurière et en les embrassant avec un peu plus d’ardeur qu’il n’eût peut-être convenu en présence du «baron» Moralès:
– C’est entendu… Comptez sur moi. Désormais, je vous suis tout acquis.
– À la bonne heure…, approuvait Diana… Discrétion absolue.
– Discrétion et célérité!
– Parfait!
– Que dois-je faire? interrogeait naïvement le détective malgré lui.
– Attendre mes ordres! déclara l’aventurière en achevant d’ensorceler Cocantin par son regard et son sourire.
– Tout va bien, fit Diana d’un air de triomphe, lorsqu’elle se retrouva dans la rue avec son amant.
Et, se penchant à l’oreille de son amant, elle ajouta:
– Tu vois bien que je ne bluffais pas quand je te disais que nous pourrions «récupérer» les millions du banquier.
– Ce qu’il faut avant tout, émettait Moralès, c’est retrouver Judex.