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– Monsieur Vallières, mon père avait pour vous beaucoup d’estime. La veille de sa mort, il me disait encore combien il était reconnaissant à son ami William Simpson – de New York – de vous avoir adressé à lui.

Comme Vallières s’inclinait d’un air grave, ému, Jacqueline continua:

– Je sais donc que l’on peut avoir entièrement confiance en vous.

Et, lui tendant les deux lettres de Judex, elle ajouta:

– Voici ce qu’un agent d’affaires vient de m’apporter… Lisez…

– M. Favraux m’avait mis au courant, répliqua le secrétaire, en reconnaissant les deux messages.

– Ah! vous saviez?

– Oui, madame, et je dois ajouter que Monsieur votre père n’avait prêté à ces lettres qu’une très médiocre importance.

– Et pourtant, s’écria Jacqueline, il a succombé juste à l’heure indiquée par elles!

– C’est exact!

– Voilà pourquoi je ne puis rester dans une aussi terrible incertitude… Je vous demanderai donc de m’accompagner à la Préfecture de police.

Vallières, considérant Jacqueline d’un air de douloureuse sympathie, reprenait:

– Voulez-vous, madame, me permettre de vous donner un respectueux conseil?

– Je vous en prie.

– N’allez pas à la Préfecture.

– Pourquoi?

– Ne me forcez pas à préciser.

– Au contraire, reprenait Jacqueline, je veux tout savoir.

– Contentez-vous de pleurer votre père, sans chercher à savoir ce que fut son passé.

– Son passé! fit Jacqueline en un cri de terrible angoisse. Son passé! Les accusations contenues dans ces lettres seraient donc vraies? Alors pourquoi déjà m’avoir caché l’existence de ces deux messages? Oui, pourquoi ces réticences et tout ce mystère?… Monsieur Vallières, au nom du ciel, parlez!…

– Madame…, hésitait encore le secrétaire tout tremblant d’émotion.

– Vous ne voyez donc pas que vous me torturez affreusement…, s’écria Jacqueline en éclatant en sanglots. Oh! je vous en supplie, dites-moi que mon père est innocent! Au nom de mon fils, je vous en conjure, affirmez-moi, jurez-moi qu’il n’y a pas un mot de vrai dans cette histoire!

Tout en inclinant tristement le front, Vallières articula d’une voix dans laquelle il y avait des larmes:

– Hélas! madame… C’est la vérité!

VI LE DOSSIER RÉVÉLATEUR

Jacqueline, fléchissant sous le poids de cette nouvelle douleur, s’était laissée tomber sur un canapé, prête à s’évanouir.

– Ah! madame! s’écria Vallières sur un ton de respectueux reproche… Pourquoi m’avez-vous forcé à vous révéler ces choses?

La jeune femme, faisant appel à toute son énergie, répliqua:

– Non! laissez… je serai forte! Ne vous excusez pas, monsieur Vallières. Vous avez bien fait… oui, très bien fait de me prévenir. Maintenant, achevez! Je vous répète que je veux tout connaître… C’est à la fois mon droit et mon devoir!

– En ce cas, madame, veuillez me suivre, invita Vallières en offrant son bras à Jacqueline et en la conduisant jusqu’au cabinet de travail du banquier.

Tandis que la jeune femme s’asseyait devant le bureau de son père, Vallières s’approcha d’une boiserie sculptée qui ornait un angle de la muraille et fit jouer un ressort secret. Un panneau se déplaça, laissant apparaître une excavation pratiquée dans la muraille.

– C’est là, déclara le secrétaire, que M. Favraux dissimulait ses documents confidentiels. Il n’y a que très peu de temps qu’il m’avait révélé l’existence de cette cachette en me faisant lui jurer, s’il venait à disparaître, de brûler tous ces papiers… J’allais le faire, madame, au moment où vous m’avez appelé près de vous…

Jacqueline eut alors le sublime courage de se plonger dans l’étude du dossier volumineux que Vallières avait déposé devant elle et qui contenait la preuve indiscutable que Favraux, par ses manœuvres, aussi sournoises que criminelles, avait provoqué le krach du Continental Consortium, la banqueroute de la Rente universelle, la faillite des Phosphates du Delta, l’incendie des Docks de New-City. Le bilan effroyable se chiffrait par plusieurs milliers de familles ruinées, par de nombreux suicides et enfin par la mort, dans les flammes, de plus de cent travailleurs.

– Vous saviez tout cela, monsieur Vallières? reprenait Mme Aubry, d’une voix lourde de sanglots. Comment, vous, un honnête homme, avez-vous pu rester le secrétaire de… M. Favraux?

À ces mots, une lueur étrange passa dans le regard de Vallières qui, courbant le front, murmura d’une voix étranglée:

– Je n’ai pas toujours été un honnête homme…

Prise de vertige en face de l’abîme d’infamie et de honte qu’elle venait d’apercevoir tout à coup, Jacqueline articula simplement:

– Laissez-moi, monsieur Vallières.

– Madame…, exprima le secrétaire, je n’ai pas besoin de vous dire que tout ceci restera enfermé à jamais entre nous.

Et, l’air mélancolique d’un homme qui n’a plus rien à espérer sur terre, il se préparait à partir.

Jacqueline le retint.

– Monsieur, fit-elle, avec une expression de dignité admirable, je souhaite que la franchise un peu tardive dont vous avez fait preuve à mon égard vous assure le pardon des fautes que vous avez pu commettre.

Vallières s’inclina. Deux larmes discrètes, lointaines, apparaissaient au fond de ses yeux. Et il sortit, plus voûté que de coutume.

Alors, la fille du banquier put donner libre cours à son désespoir.

– Ainsi, se disait-elle, mon père que j’aimais et que je redoutais, tant il m’apparaissait supérieur aux autres, n’était qu’un misérable qui a causé la ruine de tant de braves gens… la mort de tant d’innocents! Cette fortune qu’il nous a laissée à mon fils et à moi a été acquise dans le sang et dans les larmes! Quelle chose abominable! Il me semble que je vais entendre sans cesse monter à mes oreilles les malédictions et les plaintes des victimes. Oui, déjà ils me crient: «Tout cet or… il n’est pas à toi… ni à ton fils… il est à nous… Ton père nous l’a volé!»

Alors un cri déchirant lui échappa:

– Mon fils… mon Jean bien-aimé!

C’est qu’une pensée encore plus atroce, une crainte encore plus épouvantable venait de lui broyer le cœur.

– Judex!… Judex!…, songeait-elle…

«Quel est cet homme assez puissant pour avoir frappé à l’heure fixée par lui, au milieu d’une fête, mon père que rien n’a pu arracher à son destin? Qui sait si, poursuivant sa vengeance, il ne va pas me frapper à mon tour, ainsi que mon enfant? Peu importe!… Je suis prête à tout! Mais mon petit!… Pitié pour lui!… Pitié!

Une phrase terrible vibra soudain à l’oreille de l’infortunée:

– Est-ce que ton père, lui, a eu pitié des innocents?

– Mon Dieu!…, sanglota-t-elle, éperdue… Comment détourner la menace que je devine suspendue sur nos têtes?… Comment désarmer Judex?