Alors elle n’hésita pas… D’un bond plein de souplesse, elle s’élança sur le pont… puis, se faufilant avec l’agilité d’une panthère, elle gagna l’escalier de la cabine, se demandant, tandis qu’elle descendait les marches:
– Pourvu qu’ils ne l’aient pas enfermé à clef…
Presque aussitôt elle respira.
Se croyant à l’abri de toute investigation indiscrète et sachant leur victime dans l’impossibilité de tenter la moindre évasion, les bandits n’avaient même pas songé à prendre cette précaution.
Promptement… la jeune femme ouvrit la porte… et s’en allant droit à Judex elle lui arracha le voile noir qui lui couvrait la tête.
En voyant cette femme en maillot noir… toute ruisselante d’eau, et qui se présentait à lui d’une façon aussi inattendue… Judex eut un regard de surprise… qui allait immédiatement s’illuminer d’un clair rayonnement d’espérance, car, à voix basse, Miss Daisy Torp lui dit:
– Ne craignez rien… Je suis la fiancée de Cocantin… et je viens vous sauver.
Tout de suite, en femme qui se rend compte de la valeur des minutes, l’audacieuse Américaine, inspectant des yeux la pièce dans laquelle elle se trouvait cherchait un instrument quelconque qui lui permît de délivrer le plus rapidement possible le prisonnier.
Ne voyant rien tout d’abord, elle ne put réprimer un geste d’impatience… Mais, apercevant l’entrée d’une soupente qui donnait dans la cabine, elle s’y précipita… C’était une sorte d’alcôve où se trouvait le lit du capitaine… À un portemanteau était suspendue une longue casaque de cuir, munie de deux larges poches, dans laquelle Daisy plongea la main, en retirant successivement un large coutelas… et un revolver.
– All right! fit-elle entre ses dents… Maintenant, tout va marcher à merveille.
Revenant vers Judex… elle s’empressa de lui enlever son bâillon… et de lui trancher ses liens…
Après avoir endossé la veste du capitaine, elle remit le revolver à Jacques de Trémeuse tout en lui disant:
– Je garde le couteau… de cette façon, nous aurons chacun de quoi nous défendre.
À peine avait-elle prononcé ces mots qu’un bruit de pas se faisait entendre dans l’escalier…
– Attention! fit Judex, qui après avoir fait grandement, noblement, le sacrifice de sa vie, se retrouvait à présent plus que jamais prêt pour la lutte suprême qu’il allait engager contre ses ennemis.
La porte s’ouvrait, livrant passage à Moralès qui, après un mystérieux conciliabule avec le capitaine de l’Aiglon venait rendre visite au prisonnier.
Le fils du vieux Kerjean n’eut même pas le temps de pousser un cri.
En effet, à peine avait-il mis le pied dans la cabine, que Judex, qui se dissimulait dans un angle, bondit sur lui, lui portant à la tempe un coup formidable avec la crosse du revolver.
L’amant de Diana chancela… complètement étourdi… mais il ne tomba pas à terre… Fort adroitement, Jacques de Trémeuse l’avait reçu dans ses bras et lançait d’une voix brève, sifflante, à Miss Daisy Torp, ravie de se trouver en collaboration avec un homme qui semblait lui aussi un sportif dans toute l’acception du mot:
– Chère mademoiselle… veuillez me donner un coup de main pour attacher, à son tour, ce gredin au pilier.
Quelques instants après, Moralès était ficelé… aux lieu et place de Judex, qui avait eu la précaution de lui recouvrir également la tête avec le voile noir dont, par un raffinement de cruauté, Diana Monti l’avait affublé.
Et, après avoir compté les cartouches de son revolver, Judex fit, en s’adressant à Daisy Torp:
– Maintenant, mademoiselle… suivez-moi. À présent, grâce à votre intervention providentielle… c’est moi qui vais commander… à bord de l’Aiglon.
– Passez… mon capitaine…, fit aussitôt la jeune Américaine.
Et, tandis que Judex s’engageait à pas de loup dans l’escalier qui conduisait au pont du navire, la fiancée de Cocantin, enveloppée dans la veste en cuir du capitaine Martelli, murmura, tandis que son visage s’illuminait de la plus légitime des fiertés et de la plus douce des allégresses:
– Je crois que mon ami Prosper va avoir, comment dit-on déjà en France, un coin… oui… c’est cela… un coin de bouché!
IV LA REVANCHE DE L’HONNEUR…
Tandis que Moralès s’en allait exécuter ses ordres et tombait, à son tour, d’une façon aussi inattendue, dans le guet-apens si promptement et si merveilleusement organisé, Diana, accoudée contre le bastingage, et croyant enfin toucher au but qu’elle s’était assigné, se laissait aller à toute la joie perverse qui, en ce moment, faisait vibrer tout son être.
Maintenant, en effet, les millions de Favraut, objets de toute sa convoitise, ne lui apparaissaient pas comme un mirage lointain et fugitif dont l’incertaine conquête exigerait de multiples et formidables efforts tout en l’exposant aux pires dangers… Non… ils étaient là, tout près d’elle… elle n’avait plus que la main à étendre pour s’en emparer… Aucun obstacle ne se dressait plus entre elle et cette fortune colossale… tant et tant désirée.
Et tandis que l’Aiglon, dont les voiles s’étaient gonflées sous l’action de la brise, gagnait le large, elle se disait…
– Dans quelques instants, Judex aura à tout jamais disparu dans la mer… Demain, je me serai débarrassée de Jacqueline et de l’enfant, sans que ce demi-fou, que restera désormais Favraut, se doute de quelque chose. D’ailleurs, s’il le faut, je me chargerai bien de lui faire perdre le peu qui lui reste de tête. Quant à Moralès… malgré ses défaillances… il m’aura bien servie…
Et, avec une sorte de volupté perverse et qui ne connaissait pas de limites, elle songea, tandis qu’un sourire indéfinissable entrouvrait ses lèvres:
– Et puis… C’est bon de se sentir aimée à un tel point par un homme qui s’est fait aussi volontairement votre esclave et que l’on sent toujours prêt à risquer sa vie pour un de vos baisers.
Pendant qu’elle se livrait à ces réflexions, l’Aiglon continuait à gagner le large… et bientôt les feux de la côte n’apparurent plus au loin que comme des petites lueurs indécises et vacillantes.
Diana… après avoir contemplé longuement la mer dont elle croyait si bien, dans un instant, faire sa complice discrète… se dirigea vers le capitaine.
– Martelli?… fit-elle de sa voix impérieuse, le moment est venu d’exécuter entièrement le marché que vous avez conclu avec moi.
À ces mots, le forban de la Méditerranée eut un ricanement et, d’une voix canaille, il répliqua:
– Je suis prêt… Seulement…
– Seulement quoi?