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Alors… il se passa un fait vraiment inouï d’audace… et d’adresse.

La voiture de maître qui, jusqu’alors, s’était contentée d’accompagner la voiture de place à une distance relativement respectueuse, accéléra tout à coup son allure… tandis que l’homme qui se trouvait à l’arrière, et n’était autre qu’Amaury de la Rochefontaine, se dressait armé d’un solide gourdin à manche recourbé. Au moment où il arrivait à la hauteur du taxi, il empoigna, avec la crosse de son bâton, la corde très solide qui ficelait le panier en osier la tira à lui avec une force et une dextérité prodigieuses, et, avant que le brave conducteur du taco ait eu le temps de revenir de sa surprise, la malle, et son contenu, littéralement harponnés au passage…, se trouva, en un clin d’œil, transportée du siège du taxi à l’intérieur de la 24 HP d’Amaury qui, pilotée par Crémard, disparut dans la direction du boulevard Berthier… brûlant à toute allure la chaussée presque entièrement déserte.

– Bravo, patron, approuvait le chauffeur ordinaire et extraordinaire de Diana Monti… Vrai, on dirait que vous n’avez fait que cela toute votre vie.

– Vite à la maison! ordonna M. de la Rochefontaine tout essoufflé par le formidable effort que lui avait occasionné cette opération aussi hardie que difficile.

Après avoir zigzagué dans diverses rues, afin de dérouter toute poursuite, Crémard stoppa devant la garçonnière d’Amaury où, depuis les derniers événements, Diana Monti, qui comprenait que plus que jamais elle avait besoin d’une protection efficace, avait élu domicile.

Crémard, lâchant sa voiture, chargea la malle sur son épaule… tout en disant:

– Il est joliment sage là-dedans, le môme Réglisse.

– C’est ce qu’il a de mieux à faire, répliqua sèchement M. de la Rochefontaine auquel il répugnait de se familiariser avec des serviteurs de l’acabit de Crémard.

Celui-ci se contenta, tout en gravissant l’escalier, de risquer ce facile à-propos:

– Il ne dit rien, mais il n’en pèse pas moins… Le petit bougre, je ne le croyais pas si lourd.

– Eh bien?… demanda anxieusement l’aventurière qui semblait attendre avec impatience le retour d’Amaury.

– Il est là-dedans! répliqua sèchement Amaury en désignant à sa nouvelle associée le panier d’osier que Crémard avait déposé au milieu du salon.

– Vous en êtes sûr? interrogeait Diana.

– Parbleu! J’ai vu Cocantin l’y cacher.

– Si vous aviez «zieuté» le patron, flattait Crémard, tout en défaisant les cordes qui sanglaient la malle… Il vous a enlevé ça comme un goujon… C’est épatant!…

– Petite vermine, grinça l’ex-institutrice, tu vas nous payer ça!

– Je crois qu’il ne doit pas en mener large, insinuait Crémard tout en continuant son déballage… La preuve c’est qu’il n’a pas soufflé mot depuis que le patron l’a pêché à la ligne.

Et, ouvrant le couvercle de la malle, il lança brutalement:

– Allez, dehors, espèce de sale crapaud, et plus vite que ça, ou je te débarbouille à la potasse!

Et comme rien ne bougeait, Diane, nerveusement, saisit la vieille couverture rapiécée qui devait dissimuler l’enfant. Un cri de colère lui échappa… Le volumineux colis ne contenait qu’un pavé renfermé dans de vieux effets auxquels était épinglé le mot suivant:

Le Môme Réglisse n’est pas un ballot.

– Roulés par Cocantin, s’écria la Monti, pâle de fureur. Ah! c’est trop fort!

Et, avec un accent de violence inouïe, elle scanda:

– Mais j’aurai ma revanche… oui, je l’aurai… je l’aurai!…

Pendant ce temps, le directeur de l’Agence Céléritas, qui avait attendu que les deux voitures se fussent suffisamment éloignées, sortait de chez lui avec le môme Réglisse… et se rendait directement place Armand-Carrel, où il remettait le gamin à Roger de Trémeuse, auquel il fit naturellement le récit du bon tour qu’il venait de jouer à ses adversaires… Et comme Roger le félicitait de sa ruse, l’excellent Prosper, qui rayonnait, n’en déclara pas moins, avec une modestie charmante:

– Oh! monsieur, ce n’est rien, croyez-le, à côté de ce que je peux faire.

Et il ajouta en lui-même:

– Si Napoléon revenait sur le trône, il me nommerait ministre de la police… comme Fouché!…

*
* *

– Eh bien, frère, es-tu un peu moins malheureux? demandait Roger à Judex qui, sous les traits du vieux Vallières, pouvait se laisser aller plus facilement à la douloureuse amertume qui s’était emparée de lui…

Jacques eut un geste évasif qui ressemblait à l’expression d’un découragement profond…

Puis, lentement, il reprit:

– Je m’efforce de me raisonner, de me combattre… et surtout d’étouffer en moi ce terrible amour. Quel sera le plus fort de nous deux, je n’ose y songer… Je m’abstiens d’interroger l’avenir… C’est déjà bien assez d’imposer silence à mon cœur.

– Pauvre ami!

– Tu as raison de me plaindre…, soupira l’aîné des Trémeuse. Tu es heureux, toi, de n’avoir pas à subir l’épreuve d’un pareil combat…

– Surtout pas de défaillance…

– Je n’en aurai pas… La douleur de notre mère, dont j’entends toujours les accents terribles… a suffi pour me dicter mon devoir. Je n’ai pas à savoir si elle a tort, ou si elle a raison. Je m’incline devant sa volonté… et dussé-je en mourir, je serai fidèle à mon serment.

– Je n’en attendais pas moins de toi, reprit Roger, en enveloppant son frère d’un regard tout d’admiration et de tendresse… et je suis sûr d’ailleurs que tu puiseras dans l’accomplissement de ta promesse le réconfort dont, à certaines heures, tu auras besoin.

– Je l’espère!

– D’ailleurs… n’as-tu pas déjà remporté sur notre mère une incontestable victoire en obtenant d’elle la vie de Favraut?… Qui sait… si notre mère ne s’attendrira pas un jour… et ne se décidera pas à cheminer avec toi, avec nous… sur la route du pardon!

– Ne nous berçons pas d’illusions pareilles…, reprit Jacques… Notre mère… ne cédera jamais… Elle a trop vécu de sa haine… pour ne pas vouloir mourir avec elle… Et quand même, chose impossible… miracle que je ne veux pas prévoir…, consentirait-elle à ce que je rendisse un jour Favraut à sa famille… jamais celle-ci ne pardonnera à Jacques de Trémeuse d’avoir été Judex. Ma seule consolation sera de continuer à veiller sur elle… sous les traits de ce Vallières, de ce vieillard auquel toute passion est interdite… Je tâcherai de me prêter son âme comme je me suis façonné son corps… Et l’amitié que j’inspirerai sous ces traits à Jacqueline me fera peut-être oublier à la longue la haine qu’elle a vouée au justicier de son père!…