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– J’aime à t’entendre parler ainsi…, s’écria Roger en serrant fortement la main de Jacques… car… Sans fermer la porte à l’espoir… je sais que tu resteras debout, fier, inflexible sur le seuil du devoir.

Tandis que les deux frères échangeaient leurs confidences, la porte du bureau s’ouvrait doucement, laissant apercevoir la silhouette troublante, austère, de la femme en noir.

En écoutant les dernières paroles de Roger, elle eut un étrange sourire…

Tout en s’approchant, elle fit simplement d’une voix grave et complètement apaisée.

– Me voici, mes fils!… J’ai pensé que ma présence était utile ici, et je suis venue.

Et s’adressant à Jacques… elle reprit avec un accent de l’au-delà qui fit frissonner les deux frères figés en une attitude de crainte respectueuse:

– J’ai réfléchi longuement à ce que m’a dit Jacques. Loin de revenir sur ce que j’avais décidé, je ne puis que vous blâmer tous deux de m’avoir désobéi.

Et sur un ton d’autorité suprême, la grande dame demanda:

– Où se trouve Favraut?

Jacques répondit sans hésiter:

– Près des Andelys… au bord de la Seine… dans ce fameux Château-Rouge que vous avez acheté vous-même pour nous y aménager à mon frère et à moi une retraite où nous pourrions en toute sécurité préparer la mystérieuse besogne que vous nous avez confiée.

– Où est-il enfermé?

– Dans un cachot pratiqué dans l’une des anciennes oubliettes du château…

– Qui le garde?

– Un homme dont nous répondons comme de nous-mêmes.

– Demain, vous me conduirez près de mon ennemi…, ordonnait impérieusement la fille des Orsini qui ajouta d’une voix rauque tandis que ses yeux s’agrandissaient en une sorte d’hallucination mystique: Puisque vous avez été au-dessous de votre tâche, je veux venger moi-même votre père.

Et comme, terrifiés, Jacques et Roger gardaient le silence, elle reprit:

– J’espère que vous ne me refuserez pas la chambre qui m’est réservée dans cet appartement.

Sans attendre la réponse de ses fils, elle gagna le vestibule et se dirigea d’un pas automatique vers la porte de la pièce qu’occupait Jacqueline.

Mais Jacques l’avait devancée.

– Ma mère, fit-il, je vous en supplie… n’entrez pas ici.

– Pourquoi…

– Il y a quelqu’un…

– Qui donc?…

– La fille de Favraut.

– Elle!… Comment tu as osé l’amener près de toi! Le mal est donc plus grand encore que je ne le pensais?

– Mère, laissez-nous vous expliquer!

– Je veux la voir!… exigeait la Corse. Se retournant vers les deux frères qui la considéraient muets et consternés, elle fit d’une voix stridente:

– Je suppose que vous n’avez pas l’intention de me faire violence.

Et, le visage contracté de haine, elle ouvrit délibérément la porte.

Mais elle s’arrêta aussitôt.

Agenouillés sur le bord de leur lit, Jeannot et le môme Réglisse, en chemise de nuit, les mains jointes, répétaient d’une voix claire et les yeux levés au ciel la prière que Jacqueline, penchée vers eux leur soufflait avec ferveur:

Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien.

Pardonnez-nous nos offenses

Comme nous pardonnons

À ceux qui nous ont offensés.

Ce spectacle était si délicieusement simple, si poétiquement émouvant, que, pour la première fois depuis de longues années, la Corse implacable sentit comme un souffle de douceur passer sur son front brûlant de fièvre…

Lorsque, la prière terminée, Jacqueline aperçut en se retournant cette femme en grand deuil qui la fixait d’un air étrange… elle eut vers Vallières un regard d’interrogation qui semblait dire:

– Quelle est cette dame… et pourquoi me regarde-t-elle ainsi?

Mais la comtesse de Trémeuse qui, tout de suite, avait lu dans le cœur de Jacqueline, s’approchait d’elle en disant d’une voix que ses fils ne lui connaissaient plus, tant elle leur semblait être redevenue tout à coup humaine:

– Je suis… la sœur de M. Vallières… Je suis venue à Paris pour quelques jours… Pardonnez-moi d’être entrée dans cette chambre.

Comme Jacqueline allait lui répondre, brusquement, elle s’en fut en disant à ses deux fils qui l’avaient rejointe dans l’antichambre:

– Laissez-moi… j’ai besoin d’être seule.

Et, dans le bureau de Judex, elle demeura plongée dans une profonde rêverie.

À l’acuité étrange de son regard, aux tressaillements nerveux de ses lèvres… aux soupirs douloureux qui s’échappaient de sa poitrine, il était évident qu’un combat violent se livrait en elle.

Ces deux enfants adorables et cette jeune femme toute rayonnante de bonté pure et de noblesse féminine… que soudain elle trouvait priant pour ceux qui les avaient offensés… ces paroles de miséricorde transmises de cœur de martyre à ces cœurs innocents… Ce «pardonnez-nous nos offenses» tombé de ces lèvres de tout-petits… tout cela semblait l’avoir fortement émue.

L’ange de la pitié allait-il l’emporter sur le dieu de la vengeance?

Non sans doute…

Quelque vision funèbre, une tragique évocation des heures terribles, irréparables, avait dû surgir devant la comtesse. Ses traits un instant détendus exprimèrent une résolution frénétique… inébranlable… tandis que ces mots lui échappaient:

– Il faut qu’il meure, oui, il le faut! Je le veux. Et c’est moi qui le frapperai!…

Mais voilà que deux chérubins apparaissent soudain dans l’entrebâillement de la porte qui s’est ouverte sans bruit.

Embarrassés dans leurs longues chemises blanches, Jeannot et le môme Réglisse, envoyés par Jacqueline, Vallières et Roger qui sont restés dans l’antichambre, s’avancent sur la pointe de leurs pieds nus… vers la femme en noir… toujours prostrée dans sa méditation funèbre.

Jeannot interloqué s’arrête, mais le môme Réglisse, qui discrètement s’est effacé, l’encourage d’un geste énergique. Les bras tendus, l’enfant s’avance de nouveau:

– Madame, fait-il de sa jolie voix si câline et si tendre. Madame…