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Ça ne peut pas être moi. Cette fille qui a les yeux rouges, gonflés, cernés. Dans le vague.

Cette fille qui a les lèvres gercées et le teint jaune. Les cheveux ternes et la peau brillante.

Cette fille, laide à pleurer. Et qui pleure.

Cloé entre dans la baignoire, ouvre le robinet et tire le rideau. Les deux mains appuyées contre le carrelage bleu, comme à son habitude, elle laisse l’eau chaude chasser l’humiliation, la peine, l’angoisse, la solitude.

Ce serait trop facile. Une simple douche ne sert à rien. Tout reste gravé dans la chair.

Après un long moment passé sous le jet brûlant, Cloé décide enfin de sortir. Un brouillard épais flotte dans la pièce surchauffée et saturée d’humidité. Elle s’enroule dans une serviette, se plante face au miroir. Ce traître.

C’est là qu’elle voit. Qu’elle voit enfin.

Le message, écrit avec un doigt dans la buée qui recouvre la glace.

Fini de jouer, mon ange.

Il n’y a personne, ici, madame. On a tout vérifié.

— Il y avait quelqu’un ! gémit Cloé.

Le brigadier la considère avec un soupçon de lassitude.

— On a fait le tour de toutes les pièces. On a même regardé dans les placards et sous les lits. Et je peux vous assurer qu’il n’y a que vous et nous dans cette maison.

Son collègue a un sourire vaguement caustique. Il consulte sa montre.

— Il est venu ici ! martèle Cloé. Il est même entré dans la salle de bains pendant que je prenais ma douche !

— Oui, le message sur le miroir, je sais. Pourtant, la porte n’a pas été forcée…

— Et l’alcool donne des hallucinations, vous savez, ajoute son collègue en fixant la bouteille de bourbon sur la table basse. Alors, faut pas en abuser, madame.

— Vous voulez qu’on appelle un médecin ? propose le brigadier.

Foudroyée par la honte, Cloé baisse les yeux. De toute façon, ils ne sont pas de taille face à l’Ombre. C’est Alexandre qu’elle veut, personne d’autre.

— Merci d’être venus, murmure-t-elle.

— Fermez derrière nous et allez vous reposer, conseille le brigadier. Bonsoir, madame.

La porte claque, Cloé reste figée dans l’horreur.

Fini de jouer, mon ange

Lorsque minuit sonne à une lointaine église, Cloé ouvre une autre bouteille de whisky et avale un calmant. Elle a songé à quitter la maison, mais sait que c’est inutile. Il la retrouvera, où qu’elle aille.

Gomez ne l’a pas rappelée. Il n’est pas venu.

Il ne viendra plus.

Ne la verra pas ramper jusqu’à son lit, mettre le P38 sous l’oreiller.

Ne la verra pas non plus tomber à genoux pour inventer une prière.

Mon Dieu, faites qu’il ne vienne pas… Faites qu’il ne soit rien arrivé à Alexandre.

Il fait sombre. Il fait froid.

Cloé ne sait plus comment elle s’est retrouvée là. Elle se souvient juste d’avoir couru à en perdre haleine, tandis que l’Ombre la poursuivait sans relâche.

Un hangar, immense.

En levant la tête, elle aperçoit Lisa qui s’élance sur la poutre. Elle entend son rire cristallin emplir tout l’espace.

Et puis son hurlement tragique au moment où elle bascule dans le vide.

Le corps s’écrase à ses pieds. Bruit effroyable des os qui se brisent, des chairs qui éclatent.

Alors, Cloé se réfugie dans une pièce sans fenêtre, tout au fond de l’usine. Assise par terre, recroquevillée dans un angle, elle écoute. Mais la seule chose qu’elle entend, ce sont les coups de butoir dans sa poitrine.

Je voudrais venir à ton secours, ma Lisa. Mais je dois me cacher ! Toujours me cacher… Sinon, il me retrouvera.

Elle pleure, elle tremble. Jusqu’à ce qu’un bruit fige le sang dans ses veines.

La porte.

Quelqu’un essaie de l’ouvrir.

Le petit verrou explose, un affreux grincement annonce le pire. Une lumière jaunâtre éclaire soudain la scène. C’est alors que Cloé découvre le message écrit sur le mur : Fini de jouer, mon ange.

Une silhouette gigantesque se plante dans l’encadrement et Cloé se remet à respirer.

— Alex !

Il entre, laissant la porte ouverte, mais ne s’approche pas d’elle. Les bras croisés, il s’adosse au mur. Comme s’il attendait quelque chose.

— Viens ! supplie Cloé.

Il ne bouge pas, se contente de la fixer. Ses yeux brillent, on dirait qu’il est sur le point de pleurer.

C’est alors qu’une autre silhouette apparaît. Celle de la Bête.

L’Ombre s’avance, ignorant Alexandre qui ne fait rien pour l’arrêter. Pour l’empêcher.

Le monstre est près d’elle, maintenant. Il n’a pas de visage, porte des gants.

Il attrape ses poignets, la soulève du sol.

Cloé hurle, si fort qu’elle se réveille enfin.

Le souffle court, le front et le dos trempés d’une sueur glacée.

Elle s’assoit dans le lit, essaie de recouvrer une respiration normale.

Au bout de deux minutes, la crise est calmée. Les chiffres rouges du réveil lui annoncent qu’il est 4 h 28 du matin. Elle se rallonge, ferme les yeux.

Mais quelque chose l’empêche de repartir vers le monde des cauchemars. Une impression, une oppression.

Elle n’est pas seule dans la pièce.

Il est là.

Chapitre 57

Il est là.

Les mains de Cloé se crispent sur les draps. Son cerveau se vidange complètement pour se remplir de panique.

Elle ne pense plus à rien.

Sauf à lui.

Et à la mort.

Totalement immobile, la bouche maintenue ouverte par ses mâchoires tétanisées, elle coule à pic dans les profondeurs d’une peur primaire, animale. Viscérale.

Elle ne le voit pas, elle le sent. Elle entend même sa respiration régulière, maintenant.

Son souffle. Celui d’un fauve.

Perceptions acérées par la terreur.