Serait-il à l’épreuve des balles ?…
Le lieutenant range son téléphone, adresse un signe à sa collègue. Ils disparaissent tous les deux, Cloé comprend qu’ils sont partis dans la chambre. Sans doute pour l’inspecter à nouveau.
Seule, elle hésite à se resservir un verre de scotch. Ça calmerait peut-être ses tremblements.
Je reviendrai. Et je t’achèverai.
Elle attrape son portable, compose le numéro d’Alexandre. Mais, comme les fois précédentes, elle tombe sur sa messagerie. Elle raccroche, ferme les yeux.
Lorsqu’elle les rouvre, les deux flics sont de retour dans le salon.
— Êtes-vous blessée ? interroge le lieutenant en reprenant place dans le fauteuil.
Cloé soulève son peignoir, dévoilant un hématome qui commence à se former sur son tibia.
— C’est lui qui vous a fait ça ? Il vous a frappée ?
— C’est quand il m’a traînée sur le sol. J’ai essayé de m’agripper à la sellette, dans le couloir… Et elle m’est tombée dessus.
— Je vois. Vous dites également qu’il a tenté de vous étrangler. Pouvez-vous relever vos cheveux ?
Cloé obéit, sûre que les traces du forfait s’étalent sur sa gorge. Le lieutenant en tenue se penche. Il sent le cuir et un parfum subtil dont Cloé a oublié le nom.
— Je ne vois rien, dit-il. C’est un peu rouge, mais à peine.
— Pourtant, j’ai cru qu’il allait me tuer, tellement il a serré.
— Sans doute, répond le flic en retournant à sa place. Rien d’autre ?
— Non, avoue Cloé.
Un court silence, pendant lequel l’officier prépare son attaque.
— Vous savez, mademoiselle Beauchamp, j’ai appelé mes collègues. Ceux qui sont venus chez vous hier soir. Vous vous souvenez ?
Cloé fronce les sourcils.
— Évidemment, que je m’en souviens. C’est moi qui vous ai dit qu’ils étaient venus !
— Mes collègues m’ont assuré qu’ils avaient scrupuleusement fouillé votre maison et n’avaient rien trouvé d’anormal. Alors que vous pensiez déjà que votre agresseur s’était introduit ici.
— Et alors ? soupire Cloé.
— Alors, ils m’ont dit que vous aviez l’air ivre.
Un silence, plus long que le premier, assomme Cloé.
— Je n’étais pas ivre ! se défend-elle soudain. Je… J’avais bu un verre ou deux, c’est tout.
Cette fois, le flic ne cache plus son sourire.
— La bouteille qui est sur la table, celle qui n’est pas encore vide, il manque bien… il manque bien le contenu de deux grands verres, non ?
— C’est ce que je viens de vous dire.
— Et celle qui est par terre ? Elle est vide, non ?
— Je ne suis pas ivre, nom de Dieu ! s’emporte Cloé.
— D’accord, calmez-vous, mademoiselle… Que faites-vous dans la vie ?
Chômeuse. Sans allocations.
— Je travaille dans une agence de publicité.
— C’est bien, ça… Vous faites quoi, là-bas ?
— Je suis directrice générale adjointe.
Il a une petite moue admirative.
— Et tout se passe bien ? À l’agence, je veux dire.
Cloé hésite, il en profite pour ajouter :
— Si nous ouvrons une enquête, nous allons vérifier, vous savez… Alors, autant parler franchement, mademoiselle.
Cloé fixe le cadavre de la bouteille de whisky sur le tapis.
Que je suis conne.
— J’ai été licenciée aujourd’hui. Enfin, hier, quoi.
— Pour quel motif ?
— Je… J’ai giflé un client.
— Ah bon ? Et pourquoi ça ?
— Parce qu’il m’a… mis la main au cul.
Il adresse un nouveau signe à sa collègue, elle s’approche avec un éthylomètre.
— Vous voulez bien souffler, mademoiselle ?
Cloé voudrait s’énerver. Et même les jeter dehors. Mais tant qu’ils sont là, elle est en sécurité.
Je reviendrai. Et je t’achèverai.
— Il… m’a forcée à boire, invente-t-elle soudain.
— Vraiment ? s’étonne le flic. Et pourquoi ne pas m’avoir dit ça plus tôt ?
Cloé passe une main dans ses cheveux.
— J’avais oublié.
— Bien sûr… Bon, mademoiselle, nous n’avons pas vraiment de temps à perdre, vous savez.
Elle le fusille du regard, il ne bronche pas.
— Moi, je crois que vous avez fait un cauchemar.
Les paupières de Cloé retombent. Elle secoue légèrement la tête.
— Je crois que vous avez bu plus que de raison, sans doute parce que vous avez été licenciée hier. Et qu’en plus, vous avez avalé des comprimés. D’après ce que vous avez confié hier soir à mes collègues, ce n’est pas la première fois que vous faites appel aux services de police pour un mystérieux agresseur… Et je crois qu’une fois de plus vous inventez quelque chose pour qu’on vienne à votre secours.
Il se lève, avec une lenteur calculée, vient se poser près de Cloé. Il prend sa main gauche dans les siennes, lui sourit.
— Il faut vous faire aider, mademoiselle, dit-il avec une étonnante douceur. Il ne faut pas rester comme ça.
Les yeux de Cloé s’emplissent soudain de larmes.
— Vous devez voir un médecin. Un psychologue ou un psychiatre. Je peux appeler les pompiers, si vous le souhaitez.
Cloé n’a plus la force. De protester. D’expliquer. D’argumenter.
Toute énergie a abandonné son corps.
— Ils pourront vous emmener à l’hôpital et vous confier à un spécialiste. Vous voulez que je les appelle ?
Cloé hésite ; si elle accepte, ils la feront interner. Tout sauf ça.
— Non, répond-elle.
— Vous avez tort, vous savez. Vous êtes en danger, je crois. Mais je ne peux pas vous forcer, alors…
Il lâche sa main, tourne la tête.
C’est fini.
Elle est à nouveau une proie.
Rien d’autre qu’une proie.
Je reviendrai. Et je t’achèverai.
Chapitre 59
— C’est la concierge qui l’a trouvé, explique Maillard. Elle venait lui faire le ménage une fois par semaine.
Hébété, le capitaine Villard fixe le cadavre d’Alexandre. Allongé sur le ventre, au milieu des débris de la table de salon, son Sig-Sauer près de sa main droite. Son visage est tourné vers la fenêtre, baignant dans une belle clarté. Et une immonde flaque de sang. Ses yeux sont ouverts sur un indéchiffrable message.
— Putain, c’est pas possible, murmure le capitaine. Alex, c’est pas possible…
Le commissaire Maillard s’appuie au mur. Lui aussi contemple son ami. Ou ce qu’il en reste.
Le légiste arrive, échange une poignée de mains avec les deux hommes. Il se met aussitôt au travail, dans un abominable silence.
Finalement, Maillard s’assoit. Il ne tient plus debout.
— Je dirais qu’il est mort depuis environ vingt-quatre heures, annonce rapidement le toubib. Suicide, ça ne fait aucun doute.
— C’est ma faute, murmure le commissaire. J’aurais pas dû lui annoncer comme ça…
Villard l’interroge d’un regard.
— Je l’ai appelé hier. Je lui ai dit qu’il allait être mis à pied par l’IGS. Que je n’avais rien pu faire pour le couvrir. Il a dû se flinguer juste après…