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Le capitaine se tourne à nouveau vers Alexandre. Même si c’est une image insoutenable.

— Vous l’avez tué, assène-t-il. Son boulot était tout ce qui lui restait.

— Qu’est-ce que je pouvais faire ? rétorque le divisionnaire.

Villard ne répond pas ; il s’approche du légiste, accroupi près de Gomez.

— Curieux qu’il ait placé un silencieux pour se suicider, non ?

Le flic en lui a repris ses droits. Le toubib hausse les épaules.

— Il voulait peut-être pas ameuter le voisinage. Pour pas qu’on le découvre trop vite et qu’on l’envoie à l’hosto…

— C’est stupide ce que tu viens de dire, souligne nerveusement le capitaine. Quand on se tire une balle dans la tête, quelle importance qu’on te retrouve trente secondes ou six mois plus tard ? T’es mort, de toute façon !

— Tu sais comme moi qu’on ne meurt pas forcément sur le coup d’une balle dans la tête. D’ailleurs, il n’est pas mort tout de suite.

— Qu’est-ce qui te fait dire ça ? demande Villard.

— La quantité de sang… Le cœur a continué à battre un moment. Au moins une heure.

Maillard s’exile à l’autre bout de l’appartement. Ça faisait des années qu’il n’avait pas pleuré.

Le plafond est blanc. Couleur neutre, qui a quelque chose d’accablant. Surtout quand on la fixe des heures durant.

Je reviendrai. Et je t’achèverai.

Le Walther P38 dans la main droite, la gauche sur le cœur, Cloé est allongée à même le sol, sur le parquet.

Impossible de remonter sur ce lit. Même si elle passe les draps à la javel, même si elle remplace ce matelas.

Le pistolet, elle ne le lâchera plus. Plus une seule seconde. Même pour aller aux toilettes.

À cause de toi, il est mort. Crevé comme un chien… Bye bye, commandant Gomez !

À cause de moi.

Mais non, il n’est pas mort. Il ne peut pas être mort.

— Alex ! hurle-t-elle soudain.

Lentement, elle se remet debout et marche vers la salle de bains. Son visage est blême, ses yeux brillants. La peur s’y lit, encore et toujours.

Il ne peut pas mourir. Pas comme ça, pas maintenant.

Elle ferme le verrou, pose le pistolet sur le rebord de la baignoire et ne tire pas le rideau.

Le pommeau crache son obole, Cloé garde les yeux ouverts. Même si ça la brûle.

Tu es plus fort que lui, je le sais. Il n’a pas pu te tuer.

Elle reste longtemps ainsi, les deux mains à plat sur le carrelage, l’oreille aux aguets.

Une proie ne se repose jamais. Sauf si elle veut mourir.

Depuis que les flics sont partis, c’est sa sixième douche.

Bientôt, elle n’aura plus de peau. Pourtant, elle sera toujours sale. Parce que c’est dedans. Parce que c’est profond.

Le goût de ses lèvres sur les siennes. Cette infamie. Elle avale de l’eau brûlante, la recrache en un jet puissant.

Cette nuit, elle n’a pas reconnu son sourire ni son odeur. Alors, elle doute.

Il faisait sombre, j’étais morte de peur. Le parfum musqué, ça masque l’odeur de la peau…

Enfin, elle ferme le robinet, s’habille, sèche ses cheveux et prend même le temps de se maquiller. Pour tenter de dissimuler l’horreur.

Mais aucune ombre à paupières, aucun fard ne peut cacher qu’elle a touché le fond.

Elle monte dans sa Mercedes, prend la direction de Maisons-Alfort.

Elle a sonné, frappé. Recommencé.

Au bout d’un moment, la porte d’en face s’ouvre et une dame âgée sort sur le palier. Élégante, tirée à quatre épingles. Elle s’approche de Cloé, lui sourit gentiment.

— Vous cherchez quelqu’un, mademoiselle ?

— Je viens voir monsieur Gomez. Je suis une de ses amies.

— Mon Dieu… Vous ne savez pas ?

La gorge de Cloé se comprime au point que l’air n’y passe plus. Soudain, elle attrape la pauvre voisine par les épaules, la secoue avec violence.

— Qu’est-ce que je ne sais pas ? s’écrie-t-elle.

La dame fixe avec stupeur cette furie montée sur talons aiguilles.

— Qu’est-ce que je dois savoir ? hurle à nouveau Cloé.

— Il est mort, monsieur Gomez, annonce timidement la vieille dame.

Cloé la lâche, attrape la rampe. L’escalier est pris de convulsions. Il bouge, tangue, avance et recule. Une voix, lointaine, arrive jusqu’à son cerveau.

Ils l’ont retrouvé un peu avant midi. Ils sont venus me poser des questions, pour savoir si j’avais entendu quelque chose. Mais comme je suis un peu sourde… Il paraît qu’il s’est tué, avec son pistolet. C’est terrible ! Je crois que c’est à cause de la mort de sa femme. Mon Dieu, si jeune…

Cloé fait un pas en arrière. Puis, soudain, elle dévale les marches, abandonnant la voisine sur le palier.

Chapitre 60

Il fait déjà nuit. Ou pas encore jour. Je ne sais plus vraiment.

Ça fait des heures que je l’attends. Mes yeux sont secs, fatigués de rester ouverts.

Et j’ai froid.

Pourtant, à la radio, ils ont dit que les températures étaient douces pour la saison.

Ça, je m’en souviens. C’était il y a une heure, peut-être deux. Ça, je ne sais plus très bien.

J’ai froid, vraiment. On dirait que ça vient de moi. Que le froid émane du plus profond de mon être… Que j’en suis la source et qu’il va se répandre sur la Terre entière.

Une traînée de givre qui anéantira tout sur son passage.

Tu crois que c’est possible ?

Non, bien sûr ! Je dis n’importe quoi… Le froid, c’est dehors.

Ils ont dû se tromper, à la radio. Ou alors, ils ont menti.

C’est fou comme les gens savent mentir ! Moi aussi, je savais.

Mais c’est fini, maintenant. Terminé.

Plus personne ne me mentira. Et moi, je ne mentirai plus. Je ne me cacherai plus.

Tiens, le jour s’est levé… Pendant que je te parlais, la lumière s’est allumée.

Tu devrais voir ça, mon amour… C’est beau, ce ciel légèrement rosé.

Tu devrais voir ça, mon amour. Sauf que tu ne peux plus.

Tu ne peux plus voir, tu ne peux plus sourire.

Tu avais un si beau sourire, pourtant. De si belles mains.

J’aimerais qu’elles me touchent. Sauf que tu ne peux plus me toucher, mon amour.

Mais moi, je peux encore t’aimer.

Tu es surpris ? Surpris que je t’appelle mon amour ?… Je comprends, tu sais. Moi aussi, ça me surprend.

Je n’ai pas eu le temps de te l’avouer, tu es parti trop vite. Trop tôt. Il t’a enlevé à moi avant que j’aie eu le temps de réaliser.

Pourtant, je sais qu’un jour ces mots auraient franchi mes lèvres.

Mon amour… Je l’avais déjà dit, avant, à d’autres que toi. Parce que je m’étais trompée, fourvoyée. Je m’étais laissé abuser.

Toi, c’est différent. C’était brutal, foudroyant. Toi, c’était vrai.

Tu es le seul à avoir vu au-delà des apparences, au-delà des paravents derrière lesquels je me réfugiais. Toi seul as vu ce qui se cachait derrière. Toi seul as compris.

Toi seul m’as protégée. Et tu l’as payé de ta vie.

Alors accepte que je t’appelle mon amour.