En face, ils ne savent plus sur quel pied danser, malgré l’énormité du canular. Ils se consultent bêtement du regard, Gomez a soudain pitié d’eux. Il songe à faire cesser leur calvaire au moment où le brigadier se remet à aboyer tel un roquet.
— Je ne sais pas à quoi vous jouez, commandant, mais on a vraiment autre chose à foutre qu’écouter vos délires d’alcoolique !
Gomez l’empoigne par le col de son blouson, le plaque contre la voiture.
— C’est toi qui vas m’écouter, connard : tu viens de te planter en beauté et je vais te le faire regretter toute ta vie ! T’imagines pas une seconde à qui tu viens de t’en prendre ! Et je n’ai pas avalé une seule goutte d’alcool, contrairement à toi.
— J’ai pas bu ! se défend le brigadier.
— Ton haleine de chacal me souffle le contraire !
Le petit trapu est tétanisé par le regard terrifiant qui s’enfonce dans le sien.
— Vous auriez dû dire tout de suite que vous étiez de la maison ! Je pouvais pas deviner !
— Eh ben si, tu aurais dû. Ça s’appelle le flair, connard !
— Vous êtes givré, c’est pas possible…
— Gagné ! Tu as le droit de revenir demain soir pour la finale. T’as vraiment une tête de vainqueur. Je suis certain que tu remporteras la super-cagnotte !
La gardienne de la paix pouffe discrètement, Gomez lâche le brigadier qui porte machinalement une main à sa gorge endolorie.
— Bon, c’est pas que je m’ennuie, mais après cette rude journée à combattre le crime, j’ai envie de rentrer chez moi. Alors je vais vous laisser jouer à la marelle !
Il s’approche de la jeune femme, elle fait un pas en arrière. Il attrape sa main, y dépose un baiser avant de lui faire un clin d’œil.
— Désolé pour ce petit intermède facétieux, mademoiselle. Si vous me dites votre prénom, je promets de ne plus jamais recommencer.
— Valentine.
— C’est merveilleux. Bonne nuit, Valentine. Et ne vous laissez jamais marcher sur les pieds par ces deux machos, promis ?
— Promis, commandant.
Elle sourit, un peu désarçonnée, tandis que Gomez remonte dans sa bagnole, colle le gyro sur le toit et démarre brusquement.
Ébahis, les trois flics regardent la voiture s’éloigner. Au bout de la rue, elle a déjà dépassé allégrement les cent kilomètres à l’heure.
— Il est vraiment fou ce type, murmure Valentine.
Je ne cesse de penser à toi.
C’est plus fort que moi, plus fort que tout.
Je t’ai choisie, parmi cette foule d’anonymes.
Choisie pour être ma muse, ma source d’inspiration.
Pour toi, j’inventerai mille et un supplices, tous plus raffinés les uns que les autres.
Je te le promets.
Pour toi, j’accomplirai un à un tous les sacrifices. Humains, bien sûr.
J’anéantirai tous les obstacles qui se dresseront entre nous.
Tu ne seras pas déçue.
Je te le promets.
Pour toi, je braverai l’impossible.
Rien ne me résistera.
Surtout pas toi.
Bien sûr, tu te défendras, avec le courage que je te connais, l’intelligence qui te caractérise.
Bien sûr, tu te battras jusqu’au bout, je n’en doute pas une seconde.
Mais tu finiras par te rendre à l’évidence et déposeras les armes à mes pieds.
Je te métamorphoserai, te sculpterai à mon goût.
T’écorcherai, te mettrai à vif. À nu.
Je te détruirai lentement, jour après jour, morceau après morceau.
Je te déconstruirai, pièce par pièce.
Tu seras ma plus belle œuvre d’art, ma plus belle réussite.
Mon plus beau carnage.
Mon chef-d’œuvre, je te le promets.
Chapitre 7
— Faudrait vraiment que t’arrêtes de jouer au con, Alex.
Gomez soutient le regard du commissaire Maillard, pas le moins du monde impressionné. Il faut dire qu’ils se connaissent depuis quinze ans et que Maillard a baissé les bras depuis longtemps. Contrôler Gomez relève de l’utopie. Autant essayer de maîtriser un troupeau de buffles poursuivis par une meute de hyènes.
Alors, le divisionnaire se contente de limiter les dégâts. De cacher la poussière sous le tapis.
— Si je rentrais dans le rang, tu t’ennuierais à mourir, provoque Alexandre.
— Ça me ferait des vacances, tu veux dire ! Parce que subir à 9 heures du matin l’énoncé de tes frasques nocturnes, ça n’a rien de drôle.
— Allez, détends-toi mon vieux ! rigole Gomez en allumant une clope.
— Fume pas dans mon bureau, merde ! ordonne Maillard.
Gomez ouvre la fenêtre, tire deux taffes et jette le mégot.
— Au prix où ça coûte…
— T’as qu’à arrêter.
— Et crever à quatre-vingt-dix balais ? Non merci !
— T’es vraiment bon pour l’asile, Alex.
— Tu parles, aucun hôpital psy ne veut de moi ! J’ai déjà postulé, mais apparemment, je leur fous les jetons.
— Pourquoi tu as martyrisé cette équipe de la BAC ? soupire Maillard.
— Ils n’avaient qu’à pas me casser les couilles. Je roulais tranquille et…
— Tu roulais à 130 en agglomération. C’est un motif suffisant, il me semble. Le gyro, c’est pas fait pour les chiens.
— Et après ? J’ai même pas réussi à écraser un petit vieux ! À cette heure-là, ils sont tous au pieu depuis longtemps. Je voudrais bien contribuer à sauver notre système de retraite, mais faudrait que les papys soient moins casaniers.
— Je te rappelle que tu es payé pour terroriser les méchants, pas les flics. Les flics, c’est ta famille, tu vois. L’équipe dans laquelle tu joues. Enfin, dans laquelle tu es censé jouer du moins…
— Je suis payé, t’es sûr ? s’étonne Gomez. Vu l’état de mes finances, je croyais que j’étais bénévole à l’Armée du salut.