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Elle effleure sa joue mal rasée.

— C’est ma faute, dit-elle. Mais j’ai besoin de savoir que tu ne resteras pas seul. Et surtout, de savoir que tu ne feras pas la connerie de me suivre.

La gorge de Gomez enfle au point qu’il n’arrive plus à respirer.

— Je sais que tu n’aimes pas que j’en parle, mais j’ai besoin que tu me promettes, Alex.

— Et si je m’arrêtais de bosser ? dit-il.

Jolie diversion.

— Je vais aller voir Maillard et lui demander une année sabbatique. Comme ça, je resterai tout le temps près de toi.

Ils savent tous les deux qu’ils n’ont pas une année devant eux.

— Tu as besoin de sortir, Alex. Besoin de voir autre chose, de faire autre chose.

Parler l’épuise, elle reprend son souffle.

— Je ne veux pas que tu tournes en rond ici, à me regarder agoniser. Ce serait atroce. Pour toi, comme pour moi. Et puis je sais que tu aimes ton travail.

— On en reparlera, dit-il en se levant. Faut que j’aille me préparer.

Elle l’entend s’enfermer dans la salle de bains, écoute le bruit du rasoir, celui de l’eau. Elle tourne la tête vers la fenêtre. Le ciel, pourtant maussade, l’attire comme la lumière captive le papillon. S’aidant de la potence suspendue au-dessus de sa tête, elle commence par s’asseoir sur le rebord du lit.

Elle n’a pas 40 ans. Les aura dans quelques mois, si elle survit jusque-là.

Attrapant ses béquilles, elle se laisse glisser jusqu’à ce que ses pieds touchent le sol. Alors, elle s’appuie sur les cannes avec un rictus qui déforme son visage déjà martyrisé par la maladie.

Cette putain de maladie. Incurable, mais qui prend son temps pour l’anéantir. Morceau par morceau.

Elle aurait préféré quelque chose de foudroyant. Préféré qu’Alexandre ne la voie pas devenir ce cadavre ambulant. Qu’il garde un autre souvenir d’elle.

Mais on ne choisit pas.

Pas ces choses-là, en tout cas.

Elle arrive enfin à la fenêtre, l’ouvre en grand et ferme les yeux. Un vent frais caresse sa peau, elle rêve qu’elle est dehors, sur une plage du Nord. Qu’elle court, les pieds dans le sable mouillé. Qu’elle peut encore courir, nager. Vivre et non survivre.

Vivre, sans lutter. Sans souffrir.

Si encore elle avait une chance… Elle se bat seulement pour ne pas mourir trop vite, luttant contre l’inéluctable. C’est stupide, peut-être, mais ça s’appelle l’instinct de survie.

Alexandre revient dans la chambre, habillé et rasé de près.

— Tu devrais te rallonger.

— Non, ça va… J’avais envie de respirer un peu d’air.

— J’y vais, dit-il en l’embrassant. À ce soir, ma beauté.

— Tu ne m’as rien promis, rappelle Sophie.

— Si, répond-il en fixant son alliance. Je t’ai promis d’être à toi jusqu’à la mort.

— Promets-moi, ordonne Sophie.

— Jamais.

Malgré les larmes qui éclosent dans ses grands yeux fatigués, il ne cède pas. Il se contente de l’embrasser à nouveau, de la serrer dans ses bras avant de quitter l’appartement.

Dans le hall, il croise Martine qui vient prendre la relève.

— Veillez bien sur ma femme, murmure Gomez.

Cloé est l’une des premières à arriver au bureau. Il faut dire qu’elle n’a pas dormi une seule seconde. Aucune fatigue, pourtant. Elle se sent même très en forme.

Nathalie n’étant pas encore là, elle décide de préparer du café. Assise dans la petite cuisine de l’étage, elle fixe le mur blanc. Sur lequel elle imagine un cercueil en surimpression.

Ce même cercueil qu’elle a trouvé ce matin, dessiné sur le capot de sa voiture, dans la fine pellicule de poussière. Joli présent pour démarrer agréablement la journée.

Ce malade veut ma mort… Ou seulement me terroriser. Mais je ne vais pas me laisser faire. Il va comprendre qu’il a commis une erreur en s’attaquant à moi.

Elle passe en revue les suspects potentiels. Pour la énième fois. Son ex-mari est sur la plus haute marche du podium. Mais Cloé commence à douter. Malgré la capuche, malgré l’obscurité, peut-on ne pas reconnaître un homme qu’on a aimé ? Un homme qu’on a maudit au point de vouloir sa mort ?

Cloé n’a pas la réponse.

Soudain, Christophe a donc de sérieux outsiders.

Le dernier directeur de la création qu’elle a harcelé et humilié jusqu’à ce qu’il jette l’éponge. Benjamin. Ce crétin de Benji… Nul. Lent et inefficace.

Disons qu’il n’allait pas à la vitesse de Cloé. Que sa tête ne lui revenait pas.

De toute façon, elle a œuvré pour le bien de la maison. Rien de personnel. Quoiqu’elle y ait pris du plaisir, ne peut le nier. Ni le regretter.

Nathalie, peut-être ? Elle a songé à un homme, jamais à une femme. Pourtant… Sa secrétaire la déteste, elle le sait. S’en amuse.

Mais pas ce matin.

Non, Nathalie n’a pas assez de cran. Ni assez d’imagination.

Par contre, Martins… Lui a la carrure. Et surtout, un motif sérieux de la rendre folle. De lui faire commettre un faux pas. De la faire chuter en coulisses pour qu’elle ne puisse pas entrer en scène au moment voulu.

Et s’il avait compris que le Vieux a fait son choix et tentait le tout pour le tout ? Hier matin, il semblait particulièrement ravi de la voir arriver en retard et se prendre les pieds dans le tapis durant la réunion…

Elle se sert une tasse de café et quitte la cuisine. En rejoignant son bureau, elle passe devant celui de Philip. Elle hésite, s’assure que personne ne la remarque. Finalement, elle entre et ferme discrètement la porte. Son cœur accélère, elle a l’impression de commettre un délit. Fouiller le bureau d’un collègue n’est pas un crime, après tout… Juste un acte indélicat.

Mais que pourrait-elle trouver ici ? Un sweat noir à capuche ? Ridicule ! Martins ne ferait pas le sale boulot lui-même, il n’est pas du genre à mettre les mains dans le cambouis. Plutôt le genre à déléguer.

Elle s’assoit dans le fauteuil de son rival, pivote de droite à gauche en essayant d’imaginer où il dissimulerait quelque chose de compromettant. Elle tente d’ouvrir les tiroirs, ils ne sont pas fermés à clef. Ce qui ne signifie pas qu’il n’a rien à cacher.

Elle se met à étudier consciencieusement leur contenu. Des dossiers qu’elle connaît par cœur, des fournitures de bureau… Pas un seul objet personnel, à part une photo de sa charmante épouse et de sa fille. Près du cadre, il y a également un livre écorné, qui a dû être lu plusieurs fois. Cloé regarde son titre de longues secondes.

Les manipulateurs.

En le feuilletant, elle découvre que l’auteur explique qui sont les manipulateurs, quelles sont leurs méthodes. Un vrai guide pratique pour les reconnaître, les éviter.

Ou les imiter.

Elle remet le bouquin à sa place, parcourt des yeux le bureau. Plusieurs notes sur des Post-it. Des choses à ne pas oublier, des clients à rappeler…

En soulevant le calendrier qui lui sert de sous-main, elle découvre un autre Post-it, bien planqué. Un prénom et un nom qui ne lui disent rien. Ainsi qu’un numéro de portable.

Elle se hâte de recopier ces coordonnées sur un morceau de papier qu’elle glisse dans sa poche. Il est temps de quitter les lieux.

Cloé remet tout en ordre, récupère sa tasse de café. En ouvrant la porte, elle tombe nez à nez avec Philip et manque de basculer en arrière.

Il la considère avec étonnement, puis rapidement avec colère.

— Cloé… tu es bien matinale, dis-moi ! Puis-je savoir ce que tu fais dans mon bureau ?