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Cloé baisse la tête. Que lui répondre ?

— Une semaine pendant laquelle il faut vous éloigner de ce qui vous stresse, martèle le praticien. Avez-vous la possibilité de vous rendre dans un endroit calme ?

— Peut-être, je vais essayer.

— C’est ce qu’il faudrait. Et surtout, n’emportez pas de travail avec vous. Du repos, du sommeil, du calme. Rien d’autre. C’est clair ? Pas d’excitants, non plus. Évitez le café, ou autre…

Visiblement, il reste persuadé qu’elle n’avale pas que des tisanes, mais n’ajoute rien. Il rédige l’ordonnance, Cloé a envie de pleurer, ne sait pas vraiment pourquoi.

— Vous croyez que… je deviens cinglée ?

Il la considère avec étonnement.

— Non, madame. Vous êtes agitée et nerveuse, vous êtes sous pression. Le corps humain est une machine fragile, vous savez. Offrez-vous une pause. Et si jamais les symptômes persistent, revenez me voir. D’accord ?

Elle acquiesce d’un mouvement du menton.

— Ne vous inquiétez pas, ajoute-t-il en lui tendant l’ordonnance et l’arrêt de travail. Tout va rentrer dans l’ordre rapidement. À condition que vous suiviez mes conseils.

— Je le ferai, docteur.

La porte s’ouvre sur l’enfer.

Le cercueil est avalé par le brasier, comme par la gueule rougeoyante d’un monstre.

Gomez étouffe. Il a l’impression que c’est lui qui va brûler vif sur un bûcher.

La porte se referme, ses yeux aussi. Mais il imagine, voit et ressent tout. Le feu qui s’empare du sarcophage, d’abord. La température qui monte bien au-delà du supportable.

Les chairs qui fondent, dévorées par les flammes.

L’amour de sa vie se calcine, se transforme en cendres, part en fumée.

Il est sur le point de perdre connaissance tellement ça fait mal.

Ne plus la voir sourire, jamais.

Ne plus entendre sa voix, ou son rire. Jamais.

Ne plus plonger ses yeux dans les siens.

Ne plus sentir sa peau sous ses doigts ou sur ses lèvres. Son corps contre le sien.

Plus jamais.

La douleur absolue.

Cloé a longuement hésité. S’absenter maintenant du bureau constitue une erreur, elle en est consciente. Mais ce type en blouse blanche s’est montré persuasif.

Lundi après-midi, 15 heures. Cloé compose le numéro de portable du Vieux. Inventer, comme elle sait si bien le faire. Il n’aura aucune possibilité de vérifier, de toute façon.

Elle réussit à modifier sa voix. Oscar de la meilleure actrice.

Elle lui annonce la couleur. Grippe, forte fièvre, vertiges. Elle ne tient plus debout, aurait voulu emporter des dossiers avec elle. Elle est désolée. Tellement désolée.

Pardieu se montre compréhensif, pourtant Cloé sent qu’elle perd des points. Tant pis, elle se rattrapera plus tard.

Une semaine devant elle. Oasis ou pénible traversée du désert ?

S’éloigner, a dit le médecin. S’éloigner de l’Ombre.

Elle appelle aussitôt Bertrand.

— Salut, mon chéri…

— Qu’a dit le toubib ?

— Que je devais me reposer quelques jours. Que j’étais sous pression, surmenée.

— Tu vois ! J’avais raison. Tu as accepté, j’espère ?

— Oui. Il dit que je dois me mettre au vert. J’ai pensé aller chez mes parents. Ils habitent à la campagne et ça fait longtemps que je ne les ai pas vus.

— Bonne idée… Ils vivent où, exactement ?

Un village perdu, à deux cents kilomètres de Paris. Elle lui en fait une description digne d’une agence de voyages, alors qu’elle a toujours trouvé cet endroit mortel.

— Tu… tu pourrais m’accompagner, non ? espère-t-elle.

Difficile de se l’avouer, mais une semaine sans lui ressemble à une punition.

— Ça ne va pas être possible, s’excuse Bertrand. Mais si tu veux, tu y vas en train et je viens te chercher le week-end prochain. Comme ça, je ferai leur connaissance.

— Oui, ce serait bien. Tu pourrais venir vendredi soir, tu passerais une nuit là-bas.

— Faut pas que ça les dérange, objecte Bertrand.

— Non, pas de souci… Moi, je partirai demain matin. On peut se voir ce soir ?

— Bien sûr. Je viens après le boulot, ma puce. Ça va aller mieux, tu vas voir. Ce petit séjour à Trifouillis-les-Oies va te remettre d’aplomb !

— J’espère surtout qu’il ne va pas me coûter le poste de DG…

— Décompresse, chérie. À ton retour, tu reprendras la place qui te revient.

Dès qu’elle a raccroché, Cloé va récupérer sa valise dans le garage. Le serrurier ne viendra qu’à 18 heures, elle a donc le temps de préparer ses bagages.

Tout en choisissant quelques vêtements dans sa penderie, Cloé songe à l’Ombre. À cet inconnu, ou cette vieille connaissance, qui a décidé de faire de sa vie un cauchemar.

Sera-t-il furieux qu’elle lui fausse compagnie, qu’elle échappe à son emprise quelques jours ? Se vengera-t-il à son retour ?

À moins qu’il la suive.

À moins qu’il n’existe pas… Ou seulement dans sa tête.

Elle préfère occulter ces deux dernières possibilités, aussi effrayantes l’une que l’autre.

Chapitre 20

Devant le placard de la chambre, il reste un moment immobile.

Enfin, il choisit un gilet, un qu’elle aimait bien. Il l’approche de son visage, ferme les yeux et respire son odeur de longues minutes. Debout dans leur chambre vide, cette relique à la main.

Gomez n’a pas pleuré depuis la crémation. N’en a plus la force.

Plus la force de rien, d’ailleurs. Juste d’avoir mal. Mais nul besoin de force pour ça. Il suffit de vivre encore. Même si c’est à moitié, même si c’est une illusion.

Il s’assoit sur le lit, le gilet de laine entre ses mains. Le silence autour de lui.

La maladie est une salope. Qui emporte l’être aimé.

Mais pas l’amour.

Malgré le traitement, Cloé dort mal. Sommeil morcelé, cauchemars qui s’apparentent à de féroces délires. À des batailles rangées contre des armées de démons sanguinaires. Qui n’ont pourtant pas réussi à chasser son rêve habituel. En début et en fin de nuit, comme pour ouvrir et fermer une parenthèse.

Un hurlement terrifiant, un corps qui tombe dans le vide et s’écrase à ses pieds…

— Tu as bien dormi ? espère Mathilde.

Cloé sourit ; drôle d’impression que de prendre son petit déjeuner en compagnie de sa mère.

— Comme un bébé ! ment-elle.

— C’est calme, ici. Tu n’es pas dérangée au moins. Tu peux te reposer.