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Quand la porte claque, elle n’a même pas un sursaut.

Rien.

Juste une sensation étrange. Celle de se voir mourir sans rien pouvoir y faire.

Chapitre 28

Nous deux, c’est fini. Terminé. Je te quitte.

Les mots, comme des coups. Pires que des coups.

Des clous enfoncés au creux de ses mains, crucifiée, Cloé n’a pas bougé. Pourtant, il est parti depuis une heure, déjà. Elle est toujours sur ce canapé, au milieu de ce décor qui ne la regarde plus. À moitié nue, dévorée par d’invisibles mâchoires de glace, les mains crispées sur l’absence. Sans ces légers tremblements, on pourrait croire qu’elle est morte.

Le poignard toujours planté dans ses entrailles, elle se vide lentement de son sang, de sa sève.

Pas une larme, pas un mot. Aucune colère. Même plus une pensée. Juste une profonde sidération, un vide qui ressemble à l’infini.

Ce n’est plus la vie, pas encore la mort. C’est une sorte d’entre-deux.

Comme si quelqu’un avait déconnecté son cerveau.

Disjonctée, brisée, cassée.

Il a frappé alors qu’elle était déjà à terre. À croire qu’il voulait l’achever.

La sonnerie du téléphone ne la fait même pas réagir. Un bruit, au milieu du vacarme silencieux.

C’est une voix qui l’arrache au néant. Celle de Carole, sur le répondeur.

— Tu es là, Clo ? C’est moi… Si t’es là, décroche !

Une voix qui insiste. Et finalement, se résigne.

— Bon, c’est pas grave. Tu es sans doute au resto avec Bertrand ! Je te rappelle demain. Bisous.

Plusieurs bips et puis le silence, à nouveau. Le visage de Cloé se transforme en une plaie béante, géante. Les tremblements s’intensifient jusqu’à assaillir son corps entier. Les hameçons qu’il avait enfoncés dans sa chair se retirent lentement. La déchiquetant, morceau par morceau. Un flot incontrôlable la submerge, l’étouffe. Ses yeux libèrent enfin le trop-plein.

L’impression de s’ouvrir en deux.

Cette complainte est si douce, mon ange.

Tes sanglots, déchirants, sont des arias magnifiques qui emplissent mon cœur d’une profonde allégresse.

Je te le répète, mon ange : pas de plaisir sans douleur. Plus tu t’enfonces, plus je m’envole.

Je t’écoute, des heures durant. Je ne m’en lasse pas, ne m’en lasserai sans doute jamais.

Tu combles toutes mes espérances, et même au-delà. Tu es un cadeau des dieux.

Tu découvres la souffrance, la vraie.

Tu goûteras chacune de ses saveurs, de ses nuances. Je te le promets.

Mais je ne suis pas pressé, je savoure déjà ce que tu me donnes. Chaque seconde de ton malheur est une bénédiction. Un pas que tu fais vers moi sans même le savoir.

Approche, mon ange. Viens près de moi. Tout contre moi.

Approche, mon ange. Tu es presque à destination.

Presque à ma portée, désormais.

Là où je frapperai. Sans aucune pitié.

Tu as déjà un pied au-dessus du gouffre.

Bientôt, tu basculeras dans le vide… Cette tombe que je t’ai patiemment creusée.

Tu crois que le précipice sera sans fond. Une fois de plus, tu te trompes, mon ange.

Au fond, il y a moi. Qui t’attends.

Au fond de toi, tu me trouveras.

Chapitre 29

Elle cherche.

Qui elle était. Ce qu’elle faisait. Ce qu’elle aimait ou détestait.

Elle cherche.

Quel est ce jour atroce qui rend l’âme.

Mais même les jours n’ont plus aucun sens. Ni les jours, ni les heures. Plus rien n’a de sens.

Elle a rampé.

Rampé plus que marché jusqu’à la chambre.

Elle a avalé.

Ce qui restait de somnifères.

Et elle s’est allongée.

Sur l’édredon blanc, immaculé. Les bras en croix, les yeux rivés au plafond lisse.

Lisse, comme les parois du gouffre. Rien à quoi se raccrocher.

Que ce poignard sorte de mes tripes, que le sang jaillisse. Que la vie s’achève puisqu’elle m’a achevée.

— Voilà, c’est fini…

L’Ombre se penche, ricane au-dessus de sa sépulture.

— Ci-gît Cloé Beauchamp.

Tu as gagné. Il est parti, à cause de toi. Ou à cause de moi. Quelle importance ? La seule chose qui compte, c’est que l’horreur ait une fin. Que la peur ait une fin.

Elle prie.

— Faites que j’aie avalé assez de cachets… Faites que je meure, s’il vous plaît !

Son cœur bat vite, bien trop vite. Et n’importe comment. Ses yeux commencent à se fermer.

Quelque chose lutte, pourtant. Une infime partie d’elle.

— Laisse tomber ! Laisse-moi partir, par pitié !

Dehors un orage éclate. Coups de tonnerre, éclairs. La colère du ciel, comme un ultime reproche.

Ça y est, ses paupières tombent. Lourdes, telles des enclumes.

Ça y est, son esprit vogue vers l’inconnu.

Tandis que son cœur agonise, la peur explose dans ses entrailles. Trop tard.

Aller sans retour.

Ça y est, la lumière s’éteint.

Clap de fin.

Ci-gît Cloé Beauchamp. Morte dans l’ombre.

Il hante encore cet hôpital. Enchaîné à cet endroit, pour l’éternité. Il y deviendra peut-être fantôme, déambulant à jamais dans ces couloirs aseptisés.

Alexandre se heurte aux murs, insecte fragile attiré par une lumière, une chimère.

Rester là pour veiller sur lui. Pour se punir.

Il a tant imploré qu’on a fini par avoir pitié de lui et le laisser venir.

Fin de soirée derrière une vitre. Le Gamin se bat, encore et toujours. Gomez pose sa main sur la paroi de verre. Essaie de le toucher. Jusqu’au cœur. Et lui parle, d’une voix à peine audible.

Tout ce qu’il n’a pas eu le temps de lui dire.

Silhouette floue noyée dans un brouillard épais.

Ce n’est pas l’heure, Cloé. Pas encore…

Cette voix, étrange, comme descendue du ciel. Et ce froid sur sa peau, dans sa bouche. Qui coule entre ses lèvres entrouvertes.