Выбрать главу

Son crâne a heurté violemment le sol, sa vue se trouble, le décor se dédouble.

Elle est en plein milieu du tapis, sur le dos, les bras en croix.

Les minutes qui suivent sont atroces. L’impression d’une agonie qui précède la mort. L’impression que son corps est écartelé, déchiqueté, broyé.

Puis la tension redescend doucement. Des papillons multicolores emplissent le ciel pur. Un sourire se dessine sur ses lèvres. Elle se sent bien. Étrangement bien. Proche de l’extase. Le rire la gagne à nouveau.

— Tu viendras pas, hein ? T’as trop peur de moi !

Elle se met à tourner doucement sur elle-même, remontée sur sa barque, emportée par le courant. Sauf qu’elle n’a plus peur des rapides ou des écueils, ni même de l’Ombre.

Plus peur de rien, d’ailleurs.

— Je m’appelle…

Elle vient d’oublier son nom.

Lorsqu’elle ouvre les yeux, il fait nuit noire. Cloé ne sait pas où elle est.

Ses doigts touchent le sol, elle réalise qu’elle n’est pas dans son lit. Allongée sur le dos, apparemment par terre. Son crâne s’enfonce dans quelque chose de moelleux et de doux.

Elle refermerait volontiers les paupières. Sauf qu’elle se sent en danger.

Elle s’assoit avec difficulté, reste un moment immobile. Vertige puissant, sensation d’avoir avalé une bûche et reçu des coups de marteau sur la tête.

Elle gémit doucement, se remet prudemment debout. La nausée vient s’ajouter à la migraine.

Elle lance une main en avant, éprouve le vide. Avançant à l’aveuglette, elle finit par toucher un mur et le suit doucement. Ses doigts atteignent enfin un interrupteur, la lumière surgit. Aveuglante et douloureuse.

Lorsqu’elle parvient à rouvrir les yeux, Cloé découvre avec soulagement qu’elle est dans son salon. Elle était sur le tapis, près de la table basse. La tête sur un oreiller.

Son oreiller.

La nausée empire, son estomac se retourne. Elle se précipite dans les toilettes, retombe à genoux. Plus bas, elle ne pourrait pas. Ivre morte, en train de vomir son désespoir.

Comment en est-elle arrivée là ?

Elle se remémore la déchéance. Le commissariat, Bertrand, la bouteille de gin, le visage de Lisa profané… Son cœur qui s’affole, les pilules… Cet étrange plaisir… Ce sentiment de plénitude… Et puis plus rien.

À nouveau sur ses pieds, Cloé titube jusqu’à la cuisine et se prépare du café. La pendule lui indique qu’il est 3 heures du matin. Combien de temps est-elle restée inconsciente ? Au moins six heures.

Elle ingurgite une grande tasse d’arabica, ses idées s’éclaircissent peu à peu. Elle remplit une seconde tasse, s’exile dans le salon. Là, elle s’empare du cadre qui protège la photo de Lisa. Au travers du verre brisé, elle aperçoit le sourire enfantin de sa petite sœur. Son visage radieux. L’ignoble tête de mort s’est envolée.

— Merde, murmure-t-elle. Je l’ai vue, pourtant…

Elle repose le cadre sur l’enfilade, ne le quitte pas des yeux, guettant la transformation qui ne vient pas.

Elle tourne la tête, considère le trou dans le mur. Là où la balle du P38 est venue se loger. Puis ses yeux se posent sur l’oreiller qui a accueilli sa nuque des heures durant. Elle tente de se concentrer pour revivre avec précision les moments qui ont précédé l’évanouissement.

— J’étais dans la chambre, sur le lit. Je me suis levée, je suis tombée. J’ai marché à quatre pattes jusqu’à la cuisine…

À quatre pattes, oui. Ça, elle en est sûre.

— Je n’ai pas pu emporter un oreiller en marchant à quatre pattes.

Cloé se rue dans l’entrée, constate que la porte n’est pas fermée à clef. Elle tourne le verrou, s’écroule dos au mur.

Il était là. Encore.

Il sera toujours là.

Je joue avec toi, comme le félin avec sa proie. Tu sais, juste avant de la dévorer…

D’accord, mon ange, je l’avoue : j’ai truqué les règles de ce jeu. Afin que tu n’abandonnes pas trop vite la partie que nous avons engagée.

Je te donne de quoi résister, de quoi trouver la force de te battre, encore et encore.

Je t’entraîne au fond des abysses, je te hisse vers les sommets.

Je te réveille et je t’endors.

Histoire de te désorienter, de te perdre.

Histoire de faire durer ton calvaire et mon plaisir.

Toi, cette pathétique marionnette qui obéit au moindre de mes ordres !

Je suis autour de toi, près de toi.

Je suis au cœur de tes pensées et derrière chacun de tes actes.

Je suis dans chaque décision que tu crois prendre.

Je suis dans ta tête et jusque dans tes veines, mon ange…

Chapitre 32

Règle numéro un : ne plus jamais boire, toujours garder le contrôle.

Règle numéro deux : ne plus jamais oublier de verrouiller la porte quand je rentre.

Règle numéro trois : ne plus jamais quitter le pistolet. Le garder sur moi, de jour comme de nuit.

Règle numéro quatre : tirer à vue. Tirer pour tuer.

Cloé répète plusieurs fois ce long cantique. Règles d’or de la proie qu’elle est devenue. À respecter à la lettre, si elle ne veut pas finir sur l’étal d’un médecin légiste.

Lui ou moi. Le choix est rapide.

Sauf qu’elle continue à douter que le mystérieux prédateur souhaite sa mort.

Il a eu tant d’occasions de m’éliminer… Ça devrait être fait depuis longtemps.

C’est autre chose qu’il veut. Mais quoi ? Que cherche-t-il ?

À moins qu’il prenne simplement son temps…

Cloé frissonne ; elle avale une tasse de thé vert, ayant pour le moment abandonné le café. Sa tachycardie ne lui accorde quasiment plus aucun répit. Sans doute son cœur est-il trop fragile pour supporter tant de pression. Déjà fatigué.

Elle consulte sa montre, constate qu’il est l’heure de se rendre au bureau.

Une nouvelle journée commence, qui sera peut-être la dernière.

Alexandre pose sa main à plat sur la cloison vitrée. De l’autre côté, Laval continue à lutter pour sa survie.

Sa dernière journée, peut-être. Ce cœur, qui peut s’arrêter d’un instant à l’autre.

Le commandant le contemple de longues minutes, oubliant presque de respirer.

Il n’a guère dormi, cette nuit encore. Pourtant, il était dans son lit, ou plutôt dans celui de Sophie, désertant la banquette en plastique du couloir.