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Il glisse le P38 dans la ceinture de son jean, lui colle sa carte professionnelle sous le nez. Cloé entrevoit les trois bandes.

Trois couleurs.

Bleu, blanc, rouge.

Trois mots.

Arrestation, jugement, prison.

Elle vient d’essayer de descendre un flic, va sûrement s’évanouir.

— Je vous attendais, ajoute Alexandre en rangeant sa carte dans la poche intérieure de son blouson. Et comme y a pas de portail, je me suis permis d’entrer.

Cloé demeure muette, complètement pétrifiée.

J’ai failli tuer un policier. J’ai sorti une arme devant lui, je suis foutue.

— J’aimerais vous parler, continue le commandant. On pourrait aller à l’intérieur ?

Comme elle n’a aucune réaction, il la saisit par le bras, l’escorte jusqu’à la porte d’entrée.

— Ouvrez, s’il vous plaît.

Il lui arrache les clefs des mains et se résout à la pousser à l’intérieur. Quand la porte claque dans son dos, Cloé sursaute. La poigne se referme à nouveau sur son bras, Gomez la conduit jusqu’au salon, tâtonne pour trouver l’interrupteur et l’assoit de force sur le canapé. Elle ressemble à une poupée de cire, sans réaction.

Sous le choc.

Alexandre essaie quelques portes avant de trouver la bonne ; celle du bar. Il prend un verre, y verse un doigt d’Otard 1795.

— Buvez, je crois que vous avez besoin d’un remontant !

Elle obéit, une vague de chaleur la submerge.

Gomez pose le P38 sur la table basse, s’installe dans le fauteuil en face d’elle.

— Ça va mieux ? Vous n’allez pas faire un malaise, au moins ?

— J’ai failli vous tuer, murmure Cloé.

— Aucun risque ! répond le flic avec un sourire moqueur. Il faut armer avant de tirer. Heureusement pour moi que vous ne savez pas vous servir d’un calibre.

Son sourire s’efface aussi vite qu’il est apparu. Il se penche légèrement vers l’avant, comme pour lui enfoncer chaque mot profondément dans le crâne.

— Sinon, j’étais mort.

— Je sais qu’il faut armer. J’ai juste oublié, j’ai paniqué… Vous allez m’arrêter ?

Il hausse les épaules, détaille le décor qui l’entoure.

— Ça se pourrait bien, répond-il de manière désinvolte. J’ai de quoi vous envoyer en taule pour un bout de temps.

Cloé a de nouveau l’impression de défaillir. Rien qu’à l’idée de finir en prison.

— Je croyais que c’était… lui.

— Je m’en doute. Et c’est justement de lui que je suis venu vous parler.

Il la fixe à nouveau de ses yeux de dément. Qui ressemblent à des mâchoires puissantes prêtes à la déchiqueter.

— Désolé de vous avoir effrayée, mademoiselle. Ce n’était pas mon intention.

Avec des gestes rapides et précis, il décharge le P38, enfourne les munitions dans sa poche.

— Vous en avez d’autres ?… Des chargeurs, vous en avez d’autres ?

Cloé hésite une seconde.

— Non, prétend-elle. Cette arme est ancienne, il n’y avait qu’un seul chargeur.

Il insiste, ne la quitte pas des yeux.

— Je peux fouiller la maison, vous savez. Alors, il vaudrait mieux me dire la vérité.

Sa voix regorge de menaces, les flammes continuent de brûler Cloé de l’intérieur. Pourtant, elle persiste et signe. Au point où elle en est… Tentative de meurtre sur un flic.

— Je vous dis la vérité.

— OK, admet Alexandre en se calant au fond du fauteuil. Racontez-moi tout, depuis le début. J’ai lu les deux mains courantes, mais je veux les détails.

— Vous vous intéressez à mon affaire ? s’étonne-t-elle.

— Pourquoi croyez-vous que je suis ici ? rétorque Gomez avec un autre de ses sourires sardoniques. Pour prendre l’apéro ?

— Mais le flic… policier…

— Vous pouvez dire flic, ce n’est pas une insulte, s’amuse Alexandre.

— Le policier qui m’a reçue m’a dit qu’il ne pouvait pas ouvrir d’enquête.

— C’est à moi d’en décider. Alors racontez-moi, d’accord ?

Cloé hoche la tête, avale une gorgée de cognac supplémentaire pour se donner du courage. Ce type l’impressionne. Son regard est tellement dérangeant qu’elle ne parvient pas à le fixer. Alors, elle baisse les yeux. Les mots peinent à venir, son interlocuteur reste de marbre. Aucun signe d’impatience de sa part.

— Comment ça a commencé ? À quel moment ? demande-t-il pour l’encourager.

— Il m’a suivie dans la rue, un soir…

Elle repart en arrière pour un éprouvant flash-back. Ne s’arrête alors plus de parler. Elle lève la tête de temps en temps, la rebaisse aussitôt.

Des semaines d’angoisse, la peur au ventre. Elle n’omet aucun détail, pas même sa rupture avec Bertrand. Pas même sa tentative de suicide.

On dirait qu’elle soliloque face à un rempart. Pourtant, elle sent qu’il l’écoute. Même s’il ne prend aucune note, il enregistre chaque mot, chaque geste.

Enfin, sa longue confession se termine. Le silence qui suit dure plusieurs minutes. À en devenir gênant.

— Vous êtes folle ? interroge soudain Gomez.

Cloé redresse la tête.

— Pardon ?

— Je vous demande si vous êtes folle, répète calmement Alexandre.

Il voit le visage de la jeune femme se transformer pour devenir d’une incroyable dureté. Elle reprend des forces à une vitesse prodigieuse.

— Vous ne me croyez pas, c’est ça ? Vous pensez juste que je suis dingue ?

— Pas de digression. Contentez-vous de répondre à ma question, je vous prie.

Elle est sur le point d’exploser. De le sortir manu militari de chez elle.

— Non, je ne suis pas folle ! s’écrie-t-elle en bondissant du canapé.

Elle marche de long en large, sentant les yeux qui collent à sa peau. À son âme.

— Je ne suis pas cinglée, merde ! Ce type existe vraiment ! Et je commence à en avoir marre de perdre mon temps avec des flics qui ne sont pas capables de comprendre que je suis en danger !

Elle attend une réplique qui ne vient pas, Gomez demeurant impassible.

— Ce type veut ma peau, vous m’entendez ? martèle Cloé. Il veut me tuer, ou pire !

Toujours rien en face. Alors Cloé bascule définitivement dans la colère.

— Vous n’êtes qu’une bande d’incapables !… Sortez d’ici !

Il ne bouge pas d’un millimètre, continue simplement à détailler chacun de ses gestes.

La colère de Cloé retombe d’elle-même, elle se rassoit en face de lui.

— J’en sais rien, murmure-t-elle. Peut-être bien que je suis cinglée après tout…

Nouveau sourire de Gomez. Mais sans ironie, cette fois. Un sourire, un vrai.

— Je vous crois, dit-il. Je pense que ce type existe et qu’il vous veut du mal.

Elle le considère avec stupeur, cherchant à quel jeu il joue.

— Pourquoi m’avoir demandé si j’étais folle, alors ?

— Pour savoir si vous l’étiez. Mais le fait que vous envisagiez la possibilité d’avoir tout imaginé prouve que vous êtes saine d’esprit. Autant qu’on peut l’être, en tout cas.

En signe d’agacement, elle a un léger mouvement de tête que Gomez trouve terriblement sexy.

— Vous avez de drôles de méthodes !

— Bon, j’ai quelques questions à vous poser.

— Allons-y… Vous voulez un verre ?

— Volontiers, répond Alexandre.

Cloé se dirige vers le bar, il la suit des yeux encore et toujours. Comme s’il la sondait en profondeur. Elle ressemble étrangement à Sophie, tout en étant très différente d’elle.