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— Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ?

— Whisky. Sans glace.

— Je croyais que les flics ne buvaient jamais pendant le service.

— Et que les poules avaient des dents ?

Tandis qu’elle le sert, il allume une clope sans même demander la permission. Cloé pose devant lui un cendrier en cristal et le single malt.

— Merci, mademoiselle Beauchamp.

Elle se réinstalle en face de lui, tente de supporter son regard. Incroyable qu’il soit si difficile à soutenir.

— Qui possède les clefs de chez vous depuis que vous avez changé les serrures ?

— Fabienne, ma femme de ménage. Et Bertrand, mon ex.

— Vous offrez vos clefs comme cadeau d’anniversaire ou quoi ?

Piquée au vif, Cloé répond du tac au tac.

— Ma femme de ménage, ça me paraît logique.

— Admettons. Et votre ex ?

— C’était pour lui faire comprendre qu’il était ici chez lui.

— Vous ne les lui avez pas reprises lorsqu’il vous a larguée ? s’étonne Alexandre.

Larguée… Un mot blessant. Ce type n’a aucune délicatesse. Pourtant, Cloé a compris qu’il a de la finesse.

— Non, avoue-t-elle. Je pensais qu’on se remettrait ensemble.

— Hum… Curieux qu’il ne vous les ait pas rendues.

— Il n’a rien à voir là-dedans.

— Vraiment ? Comment pouvez-vous en être aussi sûre ?

Elle ne trouve pas de réponse acceptable pour un flic.

— Je le sais, c’est tout.

— Vous savez que dalle, Cloé. Mais vous êtes du genre à croire que vous savez tout.

Il ne va pas tarder à la faire sortir de ses gonds à nouveau. Elle se contient, tant bien que mal. Partagée entre l’envie de mordre et celle de se réfugier dans ses bras.

Ce type sera son sauveur, elle le sait.

— Je dois récupérer les clefs, c’est ça ?

— Trop tard. Il a eu le temps de faire un double. Ce qu’il faut, c’est changer les serrures une nouvelle fois et ne plus distribuer vos clefs à tort et à travers… Autrement dit, ne plus les donner à qui que ce soit.

— La femme de ménage, il faut bien…

— À personne, c’est compris ? Démerdez-vous autrement.

— D’accord, concède Cloé en envisageant exactement le contraire.

Comment faire comprendre à ce flic buté que Fabienne n’a pas le don de passer au travers des portes et qu’il est hors de question qu’elle officie le soir ou le week-end ?

— Je vais aller questionner les voisins, reprend Alexandre.

— C’est obligatoire ? l’interrompt la jeune femme.

— Il faut que je sache s’ils ont vu quelqu’un entrer chez vous pendant votre absence.

— Et vous allez relever les empreintes digitales ? Il a dû toucher des tas de trucs, ici.

— Ce type m’a l’air d’être tout sauf un idiot. Alors ça m’étonnerait qu’il ait laissé sa carte de visite.

— Mais…

— Les gants, c’est pas fait pour les chiens, tranche le commandant. Inutile de perdre notre temps.

Gomez allume une nouvelle cigarette. Cloé se retient d’aller ouvrir la fenêtre.

— Donnez-moi le reçu de carte bleue, celui des courses.

— Je ne l’ai plus. Je l’ai sorti de mon sac quand j’étais chez Bertrand, pour le lui montrer. Et je l’ai oublié là-bas.

— Demandez-lui de vous le rapporter, ça pourrait m’être utile… Et maintenant, parlez-moi un peu de votre ex. Votre ex-mari, je veux dire.

Il sent que la simple évocation de cet homme la met profondément mal à l’aise. Ce n’est pas pour lui déplaire. Il a envie de la bousculer pour la faire chuter de son piédestal.

— On est restés ensemble pendant sept ans, mariés pendant cinq ans. Il… Nous…

— Prenez votre temps, dit Gomez.

Elle inspire profondément.

— Au début, c’était merveilleux. Mais ça s’est dégradé. Il… il a dû affronter des problèmes au niveau du boulot et… il est devenu alcoolique.

Elle fait une pause, avale une nouvelle gorgée de cognac.

— J’ai du mal à en parler, avoue-t-elle.

— Je vais vous aider, propose Alexandre. Il s’est mis à picoler et a commencé à devenir brutal quand il avait trop bu. Des gestes incontrôlés, des paroles menaçantes… Jusqu’à la gifle. Vous avez pardonné, plusieurs fois… Peut-être même qu’il s’est excusé, qu’il vous a juré qu’il ne recommencerait jamais. Sauf qu’il a recommencé, plusieurs fois. De plus en plus violemment. Jusqu’à ce que vous finissiez à l’hôpital.

— Comment vous savez tout ça ? Vous avez retrouvé ma plainte ?

Il sourit à nouveau, content de son effet.

— Non. Mais je connais l’histoire par cœur. Un grand classique ! Combien de jours d’hosto ?

— Un mois. J’avais des fractures. Il a été condamné, a fait deux mois de prison.

— Vous l’avez revu ?… N’ayez pas honte de me le dire si c’est le cas. Est-ce que vous avez à nouveau couché avec lui après ça ?

— Non, jamais ! Mon avocat s’est occupé de tout pour le divorce. Je me suis arrangée pour ne plus voir son visage.

— Sinon, vous auriez replongé, c’est ça ? suppose Gomez.

Elle s’agite un peu sur le canapé, ses doigts malaxent un coussin.

— Je ne crois pas, non.

— Vous pensez que ça peut être lui, votre mystérieux agresseur ?

— Je l’ai cru, au début. Mais… Je n’en sais rien.

— Je vais me renseigner sur lui, voir où il crèche désormais… Dites-moi, Cloé, vous l’aimez toujours ?

Elle serre les mâchoires.

— Non.

— Vous mentez très mal. Et ce Bertrand, vous l’aimez ?

— Pourquoi ces questions ? Je ne vois pas le rapport avec…

— J’ai besoin de savoir certaines choses pour cerner la situation, vous cerner vous.

Il se tait un instant, s’amuse avec son paquet de Marlboro.

— Vous avez quelque chose à cacher, Cloé ?

Elle est de plus en plus mal à l’aise, essuie la paume de ses mains sur sa jupe. Puis elle plonge ses yeux dans les siens.

— J’ai tué ma sœur.

Gomez encaisse la nouvelle sans broncher.

— Elle avait 8 ans, j’en avais 11. Je devais la surveiller, je l’ai entraînée avec moi pour jouer à des jeux dangereux. Elle… Elle a fait une chute, s’est brisé la colonne et s’est ouvert le crâne. C’est un légume, maintenant.

Gomez réfléchit avant de poursuivre sur ce terrain glissant.

— Comment gérez-vous votre culpabilité ?

Cloé ne répond pas. À quoi bon ?

— Peut-être est-ce pour vous punir de ça que vous avez accepté de servir de punching-ball à votre ex-mari, non ?

— Vous êtes flic ou psychiatre ? Psychiatre du dimanche, précise Cloé d’un ton cinglant.

Il se contente de sourire. Quand elle est cynique, elle est plus charmante encore. Ça fait étinceler ses yeux ambrés.

— Ma femme est partie il y a quelques semaines, balance soudain Alexandre.

— Je suis désolée. Mais pourquoi me dites-vous cela ?

— Vous lui ressemblez. C’est pour ça que j’ai décidé de m’intéresser à votre affaire.

Cloé devient livide.

— Je me souviens de vous… Je vous ai croisé au commissariat, non ?

— Exact.

Il se lève, Cloé l’imite.

— Moi, j’ai tué un de mes lieutenants, il y a moins d’une semaine. Et je gère très mal ma culpabilité.

Un drôle de type, ce flic.