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— Et vous savez où je peux la trouver ?

— Non, monsieur.

— Pourquoi est-elle partie ?

— Elle a perdu son travail et ne pouvait plus payer le loyer de la maison. Elle a trouvé un petit studio, dans le quartier de la gare. Elle m’a laissé ses chats, d’ailleurs.

— Où travaillait-elle, à l’époque ?

— Au supermarché Carrefour. Celui qui est dans le grand centre commercial, à l’entrée de la ville… Vous voyez ?

Gomez acquiesce d’un geste du menton.

— Quand a-t-elle quitté la maison ?

— Attendez voir… Y a bien six mois. Peut-être plus. Le temps file si vite…

Elle esquisse un geste de la main, censé représenter la course folle du temps.

— Et elle vous a donné des nouvelles depuis qu’elle a déménagé ?

La vieille dame se recoiffe maladroitement à l’aide de sa main gauche, gangrénée par l’arthrite.

— Aucune. Vous vous rendez compte ? Pas un coup de fil, rien. Elle n’a même pas pris de nouvelles de Mistoufle. C’est le plus âgé de ses deux chats. L’est mal en point, d’ailleurs. C’est pas bon de se faire vieux, vous savez… Je devrais peut-être aller m’habiller, réalise-t-elle brusquement.

Elle reboutonne sa robe de chambre, Gomez lui sourit tendrement.

— Vous êtes très bien comme ça, ne vous inquiétez pas. C’est moi qui débarque à l’aube, excusez-moi… Avant que Laura se fasse licencier, avez-vous remarqué quelque chose d’anormal ? A-t-elle changé de comportement ? Semblait-elle avoir peur ?

— Elle était devenue moins souriante, c’est vrai. J’ai pensé qu’elle avait des problèmes. On aurait dit qu’elle était triste. Je ne la voyais quasiment plus dans le jardin. Elle s’enfermait chez elle, même pendant ses jours de repos.

— Vous a-t-elle confié ce qui la rendait triste ?

— Non.

— Recevait-elle de la visite ?

— Elle avait un petit ami, au début. Mais ensuite, je ne l’ai plus vu. Peut-être qu’il l’a laissée et que c’est pour ça qu’elle n’avait plus le moral.

— Peut-être, en effet.

— Pourquoi vous recherchez mademoiselle Laura ?

— J’ai besoin de son témoignage dans une vieille affaire, dit Gomez en se levant. Vous m’avez bien aidé, en tout cas. Et merci pour le café, aussi. Il était délicieux.

Imbuvable, d’une prodigieuse amertume. Comment fait-elle pour survivre à ça chaque matin ?

Alexandre se dirige vers la porte, suivi par son hôtesse qui tente de ne pas se laisser distancer.

— Au revoir, madame.

— Au revoir, monsieur. Dites… Si vous la retrouvez, vous pourrez me donner de ses nouvelles ? Elle était gentille, Laura.

— J’essaierai, promet-il.

Ce moment très particulier. Passage tortueux entre le rêve et la réalité. Où l’on quitte doucement le songe, où la conscience se bat pour reprendre le dessus. Une dernière fois, le corps de Lisa bascule dans le vide et vient s’écraser à ses pieds. Alors, Cloé se réveille.

Une barre au front, comme si un étau lui avait enserré le crâne des heures durant.

Elle s’assoit sur le rebord du lit ; paupières en plomb, jambes en coton.

Elle a rêvé de lui pendant la nuit. Les images s’enfuient, déjà. Floues, déjà. Bientôt, elles seront archivées dans les affres de son subconscient.

Mais elle se souvient parfaitement que l’Ombre était dans son cauchemar et lui parlait. Sauf qu’elle a déjà oublié les paroles. Mais demeure la sensation de l’avoir tout près, l’impression de sa présence.

Elle consulte son réveil, met une seconde à réaliser qu’il est déjà plus de 9 heures.

— Merde !

Cloé se précipite dans la salle de bains, passe de l’eau sur son visage engourdi.

Ça tape fort dans sa tête, comme si quelque chose voulait sortir. Ou entrer. Sans doute les effets nauséabonds du cocktail whisky-médicaments.

Grand-messe à 10 heures avec Pardieu et l’ensemble des cadres. Comité de direction mensuel.

Elle zappe le petit déjeuner, avale juste son médicament, fait un bref passage sous la douche avant de s’habiller en quatrième vitesse. Un coup de brosse dans les cheveux et la voilà qui dévale les marches du perron. Elle se maquillera dans la voiture.

9 h 30. Il lui reste une chance d’arriver à l’heure.

La Mercedes démarre en trombe, dérape légèrement dans le premier virage pour cause de chaussée humide et de vitesse excessive. Les feux rouges se succèdent, sans aucune pitié.

9 h 45. La berline s’engage sur l’autoroute.

Cent mètres plus loin, premier bouchon. Une procession de feux stop allumés, à perte de vue.

— Et merde ! enrage une nouvelle fois Cloé.

C’est dit : elle arrivera en retard. De quoi se faire remarquer une fois encore.

Le centre commercial se réveille. Les boutiques n’ont pas encore levé le rideau. Seul le supermarché a ouvert ses portes aux clients matinaux.

Gomez s’arrête à l’accueil, sort sa carte en guise de bonjour.

— J’ai besoin de voir un responsable.

L’hôtesse lui roule des yeux de merlan frit.

— Un responsable de quoi ?

Il soupire. Le café de mémé lui massacre les entrailles mieux que le pire des tord-boyaux.

— Le directeur, si vous préférez. Et c’est urgent.

— Le directeur ? Mais… il n’est pas là. Pas encore.

— Eh bien, le DRH, alors.

— C’est à quel sujet ?

Reste calme, Alex. Cette pauvre fille n’y est pour rien.

Il sourit, la fixe droit dans les yeux. Elle devient aussitôt livide.

— Enquête de police, mon cœur. Alors faites-moi plaisir, dépêchez-vous de l’appeler.

Elle décroche le téléphone, s’excuse avant d’annoncer la mauvaise nouvelle.

La police est là, monsieur.

Le DRH descend aussitôt des bureaux, serre la main de Gomez. Une poigne molle comme une figue trop mûre. Assortie à un regard de faux jeton.

— Monsieur Pastor, directeur du personnel, annonce-t-il de façon pompeuse.

— Commandant Gomez, Police judiciaire. Directeur de rien.

Monsieur Pastor, directeur du personnel esquisse un léger mouvement de recul face à l’insolence de son interlocuteur.

— Que puis-je pour vous ?

— Vous avez un bureau ?

— Évidemment ! rétorque le DRH avec un sourire que Gomez trouve détestable.

C’est décidé : s’il doit passer ses nerfs sur quelqu’un aujourd’hui, ce sera sur ce type. Hautain, content de lui. Chemise impeccablement repassée, cravate affreuse et chaussures cirées.

La proie parfaite.

— Eh bien, montrez-moi le chemin, je vous suis.

— Vous avez un mandat ?

S’il était d’humeur, Alexandre éclaterait de rire.

Mais il n’est pas d’humeur. Et ses zygomatiques ne le supporteraient pas.

— Un mandat pour aller dans votre bureau ? Et pourquoi pas un cachet du roi ?

— C’est-à-dire que…

— Que quoi ? J’ai des questions à vous poser. Mais si vous préférez, je peux vous inviter à rejoindre ma brigade dans un joli fourgon blanc muni d’un gyrophare bleu. Chez nous, on appelle ça un panier à salade. Et les salades, ça vous connaît, pas vrai ? Enfin, c’est comme ça vous arrange…