Выбрать главу

Avec Cloé, il s’est régalé et espère que ce n’est pas fini.

L’histoire se répète, le joueur s’améliore. Jour après jour, année après année.

Repérer la bonne, d’abord. Celle qui tombera amoureuse de lui.

Et puis devenir une drogue pour elle.

La rendre heureuse, lui faire miroiter un présent passionné, un avenir serein.

Agir en douceur. Toujours en douceur, c’est la seule façon de faire vraiment mal.

Masquer l’horreur derrière un rideau de tendresse, un sourire, une attention. Cacher la pourriture sous un épais tapis de pétales de roses jeté à ses pieds.

Avec Cloé, ça a fonctionné à merveille. Le réveil a été si brutal… Il s’en délecte encore !

Et elle espère, toujours. Le reconquérir. Elle se battra jusqu’au bout, se mettra à genoux.

Plus elles sont fortes, plus elles tombent bas. C’est mathématique.

Et c’est une jouissance sans pareille.

Cloé termine de mettre la table. Elle s’est forcée à rester au bureau jusqu’à 18 heures, histoire de partir après le Vieux. Malgré tout, elle sera dans les temps.

Jolie nappe, musique d’ambiance, alléchante odeur qui émane de la cuisine.

Robe légèrement sexy, mais pas trop, bijoux discrets, brushing impeccable.

Le guet-apens parfait.

Bertrand s’y laissera prendre volontiers, elle en est sûre.

Elle ne parvient pas à oublier le désastre de cette journée. Ce soir, elle tente de se persuader qu’elle va rattraper le coup. Séduire à nouveau Pardieu, lui prouver qu’elle peut être à la hauteur.

Ce commandant de police va neutraliser l’Ombre, ramener la lumière dans sa vie.

Bertrand va à nouveau tomber dans ses bras.

Elle sera alors aussi forte qu’avant. Tout rentrera dans l’ordre, bientôt. C’est certain.

Cloé met la touche finale à son piège de velours. Un peu de parfum, celui que Bertrand préfère.

Plusieurs fois, elle est tentée de se servir un verre de whisky. Histoire de se détendre, de faire baisser le niveau d’angoisse. Pourtant, elle résiste.

Par moments, elle songe à Carole. À cette rupture qui lui semble irrémédiable.

Aucun remords à avoir, après tout. On ne taxe pas sa meilleure amie de folie !

Mais alors qu’elle est incapable de regretter sa conduite, Cloé a mal. Une douleur non identifiée qui monte par vagues. Malaise diffus qu’elle met sur le compte de cette journée éprouvante mais qui va s’achever de la plus belle des façons, c’est certain.

Elle préfère reléguer le doute au plus profond d’elle-même. L’ignorer.

L’Ombre existe, je ne suis pas paranoïaque. Carole a eu tort, elle m’a perdue. C’est douloureux, mais inévitable. Et puis, elle a plus besoin de moi que l’inverse, songe-t-elle.

Pourtant, qui, du maître ou de l’esclave, est le plus dépendant… ?

Il est 20 h 40 quand le bruit de la sonnette retentit. Cloé se dépêche d’aller ouvrir et adresse un sourire tendre à Bertrand. Il est très élégant, sur son trente et un. Premier signe de la victoire annoncée.

Cloé l’invite à entrer, le débarrasse de son manteau. Il lui tend les clefs, elle feint de ne pas les voir et l’entraîne jusque dans le salon.

— Je te sers un verre ?

— Je ne vais pas rester longtemps, prévient-il au moment où il voit la table dressée.

Cloé ne se laisse pas démonter. Elle s’attendait à ce genre d’attitude. Impossible que ce soit si facile, il va forcément montrer une certaine résistance, se faire désirer. C’est le jeu.

— Tu as bien le temps de boire un verre, quand même ?

— Si tu veux, acquiesce-t-il.

Il s’installe dans un des fauteuils, elle lui sert son apéritif préféré. Un verre de saint-joseph blanc. Cloé a fait trois magasins avant de le trouver.

— Comment vas-tu ? demande-t-elle.

— Bien. Et toi ?

— Ça va, assure-t-elle.

Elle s’assoit en face de lui, croise ses jambes galbées dans des bas couleur chair.

— C’est la police qui m’a demandé de récupérer ces clefs, explique-t-elle. Un officier a pris l’enquête en mains. Ils sont en train de traquer l’homme qui me harcèle depuis des semaines.

Bertrand ne cache pas sa surprise.

— J’ai confiance, assure Cloé. Ce flic m’a l’air particulièrement efficace. Je pense qu’il va coincer ce malade et m’en débarrasser une bonne fois pour toutes.

— Il a une piste ?

— Il est sur l’enquête depuis hier seulement.

Cloé sent qu’elle doit étayer ses propos, quitte à mentir.

— Deux de ses hommes sont passés aujourd’hui pour un relevé d’empreintes… Et il m’a conseillé de changer à nouveau les serrures.

— Vraiment ? réplique Bertrand avec un sourire en coin. Alors pourquoi veux-tu récupérer mon jeu de clefs ? Si tu changes les verrous, je n’en vois pas l’utilité !

Cloé le fixe avec un regard audacieux.

— C’était un prétexte pour te revoir.

Il sourit, descend cul sec ce qui reste dans son verre.

— Tu n’as pas changé, dit-il seulement.

— Si. Je crois que si… Tu m’as rapporté le ticket de carte bleue ? La police en a besoin.

— Je ne l’ai pas retrouvé, avoue Bertrand. J’ai dû le jeter, sans doute.

— Mince… C’est dommage, mais tant pis.

Bertrand pose son verre vide sur la table basse, consulte sa montre.

— Je t’ai préparé ton plat préféré. Tu restes dîner ? poursuit Cloé.

Ce n’est pas une question, plutôt une affirmation.

— Désolé, je ne vais pas avoir le temps.

Cloé tente de ne pas se laisser déstabiliser. C’est le jeu, oui. Même si elle commence à entrevoir la défaite.

— Bien sûr que si ! Comme ça, on pourra discuter et je te montrerai à quel point j’ai changé.

Bertrand dépose le trousseau sur la table avant de se lever.

— Je ne reste pas. Je suis passé te rendre les clefs, c’est ce qu’on avait convenu, non ?

— Allons, je ne vois pas pourquoi tu as peur de dîner avec moi…

Le provoquer, peut-être ?

— Je n’ai pas peur. Mais je suis déjà en retard. Il y a une femme qui m’attend et que je meurs d’envie d’aller rejoindre. Et cette femme, ce n’est pas toi.

Cloé se tient, immobile, devant la porte-fenêtre du salon.

Elle ressemble à une statue de pierre. Une sculpture de sable, plutôt. Prête à se désagréger au moindre souffle, à la moindre vague.

Il est avec une autre femme, déjà. M’a remplacée, déjà. Je ne suis plus rien pour lui. Rayée de sa mémoire, bannie de sa vie. Qu’est-ce qu’elle a de plus que moi ?

Il a dû la rencontrer alors qu’on était encore ensemble, pas possible autrement. C’est à cause d’elle qu’il m’a plaquée.

Trompée avant d’être abandonnée. La totale.

Cloé ferme les rideaux, ouvre le bar. Oubliées les règles d’or de la proie. Deux ruptures le même jour justifient bien une entorse au règlement. Surtout qu’on est en fin de semaine, qu’elle ne risque pas d’arriver en retard le lendemain matin. Qu’elle pourra cuver toute la journée si elle veut.

Chialer toute la journée, si elle veut.

Cloé n’aime pas encore l’alcool. Alors, elle se force à avaler un savant dosage de Martini et de gin. Elle poursuit méthodiquement en vidant la bouteille de saint-joseph débouchée pour l’apéritif et ajoute à ce cocktail une de ses fameuses pilules pour le cœur ainsi que trois calmants.