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Gaspillant ses forces en vain, puisqu’il n’y a personne.

À part lui.

Elle jette un œil derrière elle. Il court, plus vite qu’elle. Se rapproche dangereusement.

Elle ne sent ni la fatigue, ni l’essoufflement. Juste la peur. Dopée par un fixe d’adrénaline, Cloé fonce droit devant. Ses forces décuplées par la frayeur, elle bat des records de vitesse.

Elle se souvient soudain qu’elle a le P38 dans le sac qu’elle porte en bandoulière. Il faut le récupérer, mais sans ralentir.

Encore un coup d’œil en arrière. Personne. Il a disparu de son champ de vision. Elle s’arrête, s’empare du pistolet, manque de le lâcher tellement elle tremble. Proche de la syncope, elle ne parvient plus à respirer. Pourtant, elle se souvient qu’il faut armer avant de tirer.

Son cœur est au bord de la rupture, des coups de marteau défoncent ses tempes. Elle tient le P38 à deux mains, cherche sa cible. Chemin désert, silence total. Effroi absolu.

— Merde, où il est ? gémit-elle. Mais où il est ?

Elle exécute un tour complet, ne voit toujours rien. Elle lève même les yeux en l’air, comme s’il avait pu s’envoler. Un point de côté lui cisaille l’abdomen, des tâches lumineuses éclatent devant ses yeux, telles des bulles de savon. Elle scrute les alentours, une nouvelle fois, brandissant toujours l’arme devant elle. La paisible forêt est devenue hostile, sans pitié. Un endroit peuplé de monstres tapis dans les hautes fougères.

Un bruit lui fait tourner la tête. Seulement un oiseau qui s’envole en criant.

Cloé baisse les bras, essaie de retrouver une respiration normale. Elle reste, immobile, au milieu du chemin. Ne sachant pas dans quelle direction s’enfuir. Ne sachant pas où il se trouve. Si elle doit continuer sa course effrénée, repartir vers la voiture ou ne pas bouger.

De longues minutes, un calibre entre ses mains tremblantes. La cadence de son cœur qui commence à peine à ralentir. Il a tenu le choc. Elle a pourtant bien cru qu’il allait se déchirer.

— J’ai peut-être rêvé…

Elle parle toute seule, au milieu de nulle part.

— Peut-être qu’il n’était pas là !

Si, Cloé.

Juste derrière toi.

Chapitre 38

Le retour lui paraît encore plus long que l’aller. Pourtant, le TGV est moins rempli, la température plus fraîche.

Et surtout, Alexandre n’a pas perdu son temps. Ce que les époux Paoli lui ont confié le renforce dans sa conviction que Laura a enduré un calvaire identique à celui de Cloé. Un supplice l’ayant conduit à cesser le combat et à s’écraser sur un trottoir anonyme.

À moins qu’elle n’ait pas sauté de son plein gré, qu’on l’ait un peu aidée.

Pourtant, autour d’elle, personne n’a rien vu.

Ou plutôt, tout le monde a vu une femme devenir folle.

Pas une âme pour la comprendre, l’écouter. La croire.

Et elle en est morte.

Ce mystérieux assassin est rusé, sournois et possède une intelligence criminelle hors du commun.

D’abord, choisir une cible. Pour le moment, Alexandre ne connaît pas encore ses critères de sélection. La seule chose dont il est sûr, c’est que l’homme a bon goût en matière de femmes… D’après les photos qu’il a vues chez son frère, Laura avait beaucoup de charme. Tout comme Cloé.

Ensuite, harceler sa victime jusqu’à ce qu’elle perde ses repères, ses proches et son travail. Comme le prédateur isole sa proie avant l’assaut final.

La solitude rend vulnérable, ce salopard l’a bien compris.

En revanche, ce que Gomez ignore totalement, c’est le but de ce meurtrier sans visage. Les pousser à mettre fin à leurs jours ou les tuer de ses propres mains en maquillant l’assassinat en suicide ?

Dès lundi, il projette d’aller s’allonger sur le divan de la psychiatre qui a suivi Laura quelques semaines avant qu’elle fasse le saut de l’ange. Il faudra aussi chercher d’autres cas similaires dans la région. Car Alexandre est persuadé que ce pervers n’en est pas à son coup d’essai.

Le flic échafaude lentement son plan, au rythme des paysages défilant sous ses yeux fatigués. Mais la poursuite de son enquête s’annonce délicate, étant donné qu’il est sur la touche.

Reste à savoir s’il doit partager ses découvertes avec Cloé. Pour le moment, elle croit encore qu’il peut s’agir d’une simple vengeance, d’actes de malveillance. Mais en lui révélant qu’elle a affaire à un dangereux malade mental, Alexandre pourrait finir de la terroriser. Et elle risquerait alors de céder à la panique.

Risquerait peut-être de se jeter par la fenêtre. Ou sous un train.

Faut-il l’envoyer en vacances sur les îles Kerguelen ou la garder comme appât pour que le tueur sorte de l’ombre ? Évidemment, s’il veut avoir une chance de coincer ce fumier, la deuxième solution s’impose. D’autant qu’il est certain que Cloé refusera catégoriquement de se sauver et d’abandonner son poste.

Il la connaît à peine ; pourtant, il sait déjà que fuir n’est pas dans sa nature.

Gomez va aux toilettes du compartiment, évite de respirer l’odeur pestilentielle. Puis, avant de regagner sa place, il appelle Cloé. Il tombe sur son répondeur, sourit en écoutant son message pour la première fois.

Bonjour, ne soyez pas déçu de ne pouvoir me parler en direct, je promets de vous rappeler très vite !

— Bonsoir, Cloé, c’est le commandant Gomez. Je voulais juste savoir comment vous alliez. Je rentre de Lyon, je suis dans le train… Rappelez-moi, si vous pouvez. Juste histoire de me dire si les lutins vous ont foutu la paix aujourd’hui !

De retour à sa place, il regarde l’ombre s’abattre, quelque part entre Lyon et Paris.

C’est une sensation qui la force à revenir. Une sensation de froid, qui se fait de plus en plus précise. Ses paupières se soulèvent lentement, retombent aussitôt. Elles sont si lourdes…

Enfin, Cloé parvient à garder les yeux ouverts. Sauf qu’elle ne voit rien.

Normal, il fait nuit.

Les secondes qui suivent sont irréelles. Elle divague, délire, voyage dans des dimensions inconnues. Toutes cauchemardesques. Elle se demande si elle rêve, encore, ou si elle est vraiment là, dans ce corps qu’elle ne sent plus. Elle a envie de replonger dans l’oubli, autant que de sortir de cet état second.

Aucune idée de l’endroit où elle se trouve, de l’heure qu’il est, ni même du jour.

Alors, elle se bat. S’acharne.

Avec sa main droite, elle tâtonne et s’aperçoit qu’elle est allongée par terre. Elle effleure ensuite son visage qui semble être en carton. Insensible.

Dans un effort colossal, elle parvient à se redresser. La voilà assise, bras ballants, bouche ouverte, aspirant l’air comme si elle en manquait. Elle tremble, gelée de la tête aux pieds.

Normal, elle est complètement nue.

C’est en touchant ses jambes, puis son ventre qu’elle s’en rend compte.

C’est ici qu’arrive la peur. Le froid et l’effroi se mêlent pour la mordre à pleines dents.

Elle tente de se souvenir. Se revoit dans une forêt, en plein jour.

L’Ombre, contre la voiture. L’Ombre, à sa poursuite. Et puis, le pistolet, le silence…

Elle se souvient encore de quelqu’un qui l’attaque par-derrière, d’une main gantée de cuir qui se plaque brutalement sur sa bouche.