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— Lui qui ?

Cloé ferme les yeux. Dans la pièce, le silence se fait. Oppressant.

Elle réalise qu’il va falloir à nouveau tout raconter depuis le début. Expliquer, encore et encore. Passer pour une cinglée, peut-être.

Lorsqu’elle rouvre les yeux, elle tombe sur ceux de Gomez. Bizarrement, elle ne les trouve plus si effrayants. Ils sont même incroyablement beaux.

Alors, elle s’accroche à ce regard comme au dernier fil qui lui évitera de se perdre. À la dernière balise qui lui évitera de se noyer. Des forces renaissent en elle.

Non, espèce de salaud, je ne suis pas finie. Pas encore morte. Tu ne m’anéantiras pas si facilement.

Tu veux jouer avec moi, tu me crois désarmée ? Tu te trompes. Je ne suis pas seule et j’ai encore la volonté de me battre. Je vais te le prouver.

Tandis que Cloé se met à parler à bâtons rompus, Alexandre esquisse un sourire.

Le tueur n’a peut-être pas bien choisi sa cible, cette fois…

— Comment ça s’est passé ? s’enquiert Gomez.

Cloé ne répond pas, il s’y attendait. Il écrase sa clope, ouvre la portière. Elle s’engouffre dans la voiture, mais Alexandre ne démarre pas. Il voudrait d’abord qu’elle lui dise un mot. Seulement un mot.

— C’était difficile ?… Je comprends.

— Vous ne pouvez pas comprendre ! aboie Cloé.

Il est un peu surpris par cet accès de colère dirigé contre lui. Il n’est pas responsable, après tout. Mais si ça peut la soulager, il est prêt à encaisser ses reproches et même sa violence.

— Qu’est-ce que vous attendez pour démarrer ?

Il passe la première, la voiture s’éloigne de l’institut médico-légal.

— Quelles sont les conclusions du toubib ? demande Alexandre cinq minutes plus tard.

Cloé garde les mâchoires serrées, le regard fixe.

— Vous avez le droit de pleurer, précise le commandant.

Il accélère un peu, essayant de se détendre.

— Alors, qu’a dit le médecin ? Il faut que je sache, c’est important pour la suite.

— J’ai pas envie d’en parler !

— Répondez, ordonne Gomez sans élever la voix.

Elle appuie sa tempe contre la vitre glacée.

— Aucune trace de coups, sauf les hématomes que je me suis faits en tombant. Aucune trace de… rien.

Gomez l’aurait parié. Ce type est bien trop malin pour laisser son ADN derrière lui.

— Vous êtes rassurée ?

— J’aimerais rentrer maintenant.

— Vous pouvez venir chez moi, si vous voulez, propose Gomez.

Tant pis pour l’entorse au règlement. Au point où il en est…

Cloé hésite. Bien sûr, elle a peur de rester seule chez elle. Rien que d’y penser, sa gorge se transforme en goulet d’étranglement.

Bien sûr, il pourrait revenir, cette nuit. Mais elle a besoin de retrouver sa tanière, ses objets, ses habitudes. Se raccrocher à des images familières, à des odeurs qu’elle connaît.

Au milieu du chaos, il lui faut des repères.

— Je dois aller bosser demain matin, je ne peux pas dormir chez vous. Et il faut que je prenne une douche.

— J’ai une salle de bains, indique Gomez avec un sourire en coin. Et demain, c’est dimanche.

Cloé ne sait plus quel prétexte inventer. Autant dire la vérité.

— J’ai besoin d’être seule. Mais merci de le proposer.

Il accélère encore, elle s’accroche au tableau de bord. La tension est palpable.

Cloé a envie de tuer quelqu’un. Envie de hurler. De se taper la tête contre un mur.

Alexandre a envie d’une clope, envie de coincer le malade qui vient de traumatiser cette fille. À vie, sans doute.

Il a envie de la prendre dans ses bras, de la consoler.

— Désolé que vous ayez eu à subir ça, dit-il soudain.

Elle s’inflige un véritable supplice pour ne pas pleurer.

— Je vous garantis qu’il le paiera, ajoute Gomez.

Ils n’échangent plus une seule parole jusqu’à ce que la Peugeot se gare rue des Moulins.

— Je vous accompagne, annonce le commandant. Je vais inspecter les lieux.

Cette proposition rassure Cloé, mais elle a surtout hâte d’être seule. Pour ne plus faire semblant d’être forte.

Ils pénètrent dans la maison, Cloé se plante dans le salon. Debout face à la fenêtre. Tandis que Gomez visite chaque pièce.

— Rien à signaler, dit-il enfin.

— Bonsoir, commandant. Et merci.

Alexandre a du mal à l’abandonner à son sort.

— Je vous appelle demain. Et vous, n’hésitez pas. Vous pouvez me téléphoner n’importe quand, de jour comme de nuit.

Il pose une main sur son épaule, sent qu’elle se contracte de la tête aux pieds.

— Il m’a prise pour une dingue, murmure la jeune femme.

— Qui ?

— Le médecin… Il… il m’a dit que je n’avais rien, rien du tout. Que c’était peut-être une mauvaise blague qu’on m’avait faite… Une mauvaise blague, vous vous rendez compte ?

— N’y pensez plus, conjure Gomez. La plainte suivra son cours. Et on arrivera à l’arrêter, croyez-moi.

— Personne ne l’arrêtera, prédit Cloé.

Gomez a l’impression de se prendre une claque, sa main se crispe sur l’épaule de la jeune femme.

— Je vais mourir, je le sais. Je le sens.

Il l’oblige à se retourner ; elle ne pleure pas, terriblement froide.

— Pour vous tuer, il faudra d’abord qu’il me tue.

Il quitte enfin la maison et, dès qu’elle a refermé la porte à double tour derrière lui, Cloé enlève ses vêtements. Ou plutôt les arrache de sa peau, comme s’ils étaient brûlants.

Au lieu de les mettre dans le bac à linge sale, elle les jette directement à la poubelle. Si elle avait une cheminée, elle les jetterait au feu. Tout ce qu’il a touché doit disparaître.

Mais elle ne peut s’arracher la peau, s’écorcher vive. Alors, elle s’enferme dans la salle de bains, entre dans la baignoire et se place sous le jet d’eau chaude. Très chaude.

Jusqu’à se brûler.

Elle se savonne à outrance, frotte sa peau avec frénésie. Hystérie.

Finalement, elle va peut-être se l’arracher. Elle y passera la nuit s’il le faut.

Gomez remonte le col de son blouson.

Une nuit froide parmi tant d’autres. Une nuit où il ne dormira pas. Comme tant d’autres.

Garé à trente mètres de la maison, il observe. Ses yeux ne faiblissent pas.

Si ce fumier pointe le bout de son nez, il lui fera regretter d’être né.

Mais l’homme invisible demeure invisible. Logique, après tout. Alexandre tente encore de dessiner son profil, ça l’aide à rester éveillé. Il s’interroge sur ce qui pourrait relier Laura et Cloé, mis à part un charme évident.

D’après le portrait brossé par son frère, Laura était une battante qui n’avait pas pour habitude de baisser les bras. Certes, elle n’avait pas connu l’ascension professionnelle de Cloé, sans doute parce qu’elle avait abandonné son cursus universitaire à 20 ans sur un coup de tête, pour suivre un homme à l’autre bout du monde. Mais quelque temps avant de mourir, elle avait eu le courage de reprendre ses études par correspondance et suivait même des cours du soir. Et, plus étonnant encore, elle passait le peu de temps libre qu’il lui restait à militer contre les violences faites aux femmes au sein de l’association féministe dont elle était la vice-présidente.