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En allumant une cigarette, le commandant prend conscience que ce pervers n’aime pas les proies faciles. Il apprécie sans doute qu’elles lui résistent, qu’elles se battent jusqu’à la fin. Jusqu’à la mort.

Il les aime belles et fortes. Insoumises et dangereuses.

Il est presque 4 heures du matin, Gomez a mal aux reins. Mais sa douleur est sans importance. La seule chose qui compte, c’est que Cloé puisse dormir en sécurité.

La seule chose qui lui importe, c’est que cette femme retrouve sa vie.

Alors que lui a perdu la sienne.

Quelqu’un tape à la vitre de la voiture, Gomez s’éveille en sursaut. Il fait jour, Cloé est debout sur le trottoir, emmitouflée dans un grand châle. Le commandant se redresse sur son siège, actionne l’ouverture de la vitre.

— Salut, dit Cloé avec un petit sourire.

Il a les mâchoires soudées par le froid, une douleur violente lui scie le visage en deux.

— Vous avez passé la nuit là ?

— Faut croire, répond Alexandre.

— Venez, je vais vous préparer du café.

Il ne se fait pas prier, suit Cloé jusque dans sa cuisine. Elle a l’air plus calme que la veille, presque sereine. Ce qui ne rassure pas le commandant.

— J’ai vu votre voiture en ouvrant les volets. J’ai voulu vérifier que vous n’étiez pas mort de froid !

— C’est gentil. Vous avez pu dormir ?

— Non, avoue-t-elle en déposant une tasse devant lui. Vous prenez du sucre, je crois ?

— Oui, s’il vous plaît. Et… comment vous vous sentez ?

Elle lui tourne bien vite le dos. Elle fuit son regard, c’est évident.

— Ça va, merci.

— Venez vous asseoir, prie Alexandre.

Cloé s’installe en face de son invité. Son malaise est tangible.

— Dites-moi comment vous allez, répète le flic. Et je veux la vérité, pas un mensonge.

Elle réchauffe ses mains contre le mug, fixe la table.

— Vous avez faim, sûrement ? Je vais vous préparer un petit déj.

— Répondez-moi, ordonne Gomez. Le petit déjeuner peut attendre.

Elle lève enfin les yeux sur lui, il voit sa lèvre inférieure trembler légèrement.

— Je vais mal. Très mal…

Il voulait juste qu’elle le confesse, comme si ça pouvait changer quelque chose.

— Tout le monde irait mal à votre place.

— Qu’est-ce que vous savez sur lui ?

— Rien, prétend Alexandre. Je n’ai pas encore assez d’éléments pour…

— Vous mentez ! coupe Cloé. À vous d’être sincère, à présent.

Il avale une gorgée de café, allume une clope.

— Vous avez raison. Mais ça risque de vous achever.

Il aurait dû choisir un autre mot, sans doute.

— Allez-y, exige Cloé d’une voix tranchante.

— J’ai trouvé une femme qui a subi la même chose que vous… Il y a de cela un an environ.

Cloé semble frappée par la foudre, Alexandre a l’impression qu’elle va tomber de sa chaise et se briser en mille morceaux sur le sol. Mille morceaux d’une belle et fine porcelaine blanche.

— Un homme qu’elle seule voyait, mais qu’elle était incapable de décrire. Un homme qui la harcelait… Exactement le même scénario à quelques détails près.

— Vous voulez dire que… que…

— Je veux dire que cet homme n’en est pas à son coup d’essai. Ce n’est pas une vengeance ou je ne sais quoi. C’est un malade mental.

Cloé suffoque, comme si elle venait d’avaler de travers. Alexandre se tait, la laissant digérer l’information pendant de longues minutes.

— Et qu’est-elle devenue ? demande enfin Cloé.

— Elle est morte, assène Alexandre. Officiellement, c’est un suicide.

Cloé quitte sa chaise brutalement, titube avant de s’accrocher à la paillasse.

Gomez ne bronche pas. Elle a voulu la vérité, doit l’encaisser.

— Vous avez le droit de boucler vos valises et de vous enfuir, dit-il enfin.

Elle ne répond pas, toujours penchée vers l’avant. Il se demande si elle va vomir ou s’évanouir. Peut-être se mettre à chialer…

Elle se retourne enfin, le regarde droit dans les yeux.

— Je ne m’enfuirai pas.

— Réfléchissez bien, préconise le flic.

— Mais vous allez l’arrêter ! Vous… Vous allez poster une équipe devant chez moi et…

— Il y a autre chose que je dois vous dire, l’interrompt Alexandre. Je ne suis pas en service.

— Pardon ?

Cette fois, c’est lui qui baisse les yeux. C’est plus difficile à avouer qu’il le pensait.

— Officiellement, je ne mène pas cette enquête. D’ailleurs, officiellement, il n’y a pas d’enquête.

— Je comprends rien… Expliquez-vous ! hurle la jeune femme.

— Je vous ai parlé du lieutenant qui est à l’hosto, entre la vie et la mort. À cause de moi. Je l’ai entraîné dans une opération trop dangereuse. Le chef m’a placé en congé d’office, je pense même que l’IGS va me sabrer.

Cloé le fixe méchamment, comme prête à se jeter sur lui.

— Quand j’ai lu vos mains courantes, je vous ai prise au sérieux. Parce qu’un ami à moi, un commandant, m’avait raconté une histoire qui ressemblait étrangement à la vôtre. Alors, je me suis dit qu’il fallait que quelqu’un vous aide. Même si je n’avais pas l’autorisation de le faire… Voilà, vous savez tout. Demain, je dois rencontrer le psy qui suivait Laura, la jeune femme qui s’est suicidée. En enquêtant sur elle, j’essaie d’en apprendre plus sur cet homme, sur ses méthodes.

Cloé revient s’asseoir, finalement. Parce qu’elle ne tient plus debout. En elle, un mélange de rage, de déception et de désarroi. Émotions fortes qui gommeraient presque la peur.

Ce flic est-il un malade, lui aussi ? Ou son dernier espoir ?

— C’est pour ça qu’il fallait porter plainte hier soir, poursuit le commandant. J’espère qu’ils vont diligenter une enquête, maintenant. Demain, je rendrai une petite visite à mon directeur. Je lui expliquerai tout ce que je sais, tout ce que j’ai découvert au sujet de Laura. Et j’espère qu’il me donnera cette enquête et les moyens de la mener.

— Et s’il refuse ? interroge Cloé.

— Je passerai mes nuits devant chez vous.

— C’est tout ce que vous avez à proposer ?

Tant de mépris dans sa voix…

— Je ne peux rien de plus. Désolé.

— Et s’il se montre, vous pourrez faire quoi ?

Tant de colère, dans ses yeux. Presque de la haine.

— S’il se pointe, je m’occuperai de lui.

— Puisque vous n’avez pas autorité, de quel droit… ?

— Si je l’envoie à l’hosto ou à la morgue, il ne pourra plus vous toucher.

— Si vous faites ça, vous allez vous griller définitivement !

— Ce qui compte, c’est vous. Le reste, je m’en balance. Ce qui pourra m’arriver ensuite m’est parfaitement égal.

— Arrêtez de mentir ! Je crois que vous n’avez pas envie de perdre votre boulot. Parce que c’est tout ce qu’il vous reste.

— Vous vous trompez, corrige Gomez avec un regard réfrigérant. Il ne me reste rien. Plus rien du tout.

Il enfile son blouson et quitte la pièce. Cloé s’élance à sa poursuite, l’agrippe par le bras.

— Où allez-vous ?

Alexandre a envie de mordre. Sans doute parce qu’elle lui parle comme à un chien.

— Je retourne dans ma caisse. Merci pour le café.