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— C’est toi qui devrais arrêter. Tu méprises tous ceux qui ne sont pas de ton rang, c’est ça ?

Le bruit de la sonnette les empêche de continuer dans cette mauvaise voie. Cloé se dirige vers la porte, suivie de près par son ange gardien.

Un ange gardien avec une gueule de voyou et un parabellum 9 mm.

— T’as pas fait poser le judas ? reproche Alexandre à voix basse.

— Il n’avait pas le matériel. Et puis faut que je demande l’autorisation au proprio…

Alors, Cloé colle son oreille contre la porte et demande :

— Qui est là ?

— C’est Caro, je suis avec Quentin.

Ça ressemble davantage à une guerre des tranchées qu’à une conviviale soirée entre amis.

D’un côté de la table basse, sur le canapé, Carole et Quentin. En face, assis dans un fauteuil, Alexandre qui les dévisage sans vergogne.

Banalités. Les embouteillages, les beaux jours qui arrivent, les températures qui montent.

Alors pourquoi fait-il soudain si froid ? Comme un vent du nord qui traverserait le salon de part en part.

Carole, extrêmement tendue, essaie de maintenir un sourire de façade, tandis que Cloé remplit les verres de ses invités et dispose sur la table quelques amuse-gueules.

— On passait dans le coin, j’ai eu envie de venir voir comment tu allais, ma chérie…

Cloé s’assoit enfin du côté d’Alexandre.

— Je ne vais pas très bien, répond-elle d’un ton glacial. Des problèmes au boulot.

— Encore le Vieux qui t’emmerde ?

— Il ne m’emmerdera plus très longtemps. Je vais quitter l’Agence.

— Ah bon ? Et le poste de directrice ?

— Donné à Martins, révèle Cloé en attaquant son verre.

Le quatrième.

— Mince, dit Carole.

Un long silence creuse encore le fossé. Puis Carole s’intéresse à l’inconnu assis en face d’elle et que Cloé a juste présenté par son prénom, sans rien ajouter. Il n’a pas l’allure habituelle des conquêtes de son amie de lycée. Plutôt l’allure d’un truand. Séduisant mais effrayant.

Et ces yeux… Ceux d’un fou.

— Et vous, Alexandre ? Dans quoi travaillez-vous ?

Gomez la fixe, Carole détourne aussitôt son regard comme si une lumière l’aveuglait.

— Je suis commandant de police.

— Vraiment ? répond bêtement Carole.

— Ça vous dérange ?

— Pourquoi ça nous dérangerait ? intervient Quentin.

L’ambiance est si lourde que Carole desserre le foulard enroulé autour de sa gorge.

— Le commandant Gomez enquête sur l’homme qui me harcèle, ajoute Cloé avec un sourire perfide. Vous savez, celui qui n’existe pas !

Carole soupire, Quentin lui renvoie son sourire.

— Nous avons cru que vous étiez… ensemble, dit-il. Il est tard, pour enquêter, non ? Vous faites des heures sup, commandant ?

Les deux hommes s’affrontent du regard, Quentin ne cède pas.

— Je suis en service vingt-quatre heures sur vingt-quatre, s’amuse Alexandre.

— Nous avons une police particulièrement efficace ! rigole l’infirmier. C’est rassurant. Vous bossez dans quel commissariat ?

— SDPJ du Val-de-Marne.

— Oh… Et votre enquête avance-t-elle ?

— À grands pas. Je ne vais pas tarder à envoyer ce type derrière les barreaux.

— Tant mieux, dit timidement Carole.

— Vous ne croyez ni l’un ni l’autre en l’existence de ce mystérieux agresseur, n’est-ce pas ? devine le commandant.

— Effectivement, ils n’y croient pas, confirme Cloé. Ils m’ont conseillé d’aller consulter un psy. Il faut dire que Quentin s’y connaît en malades mentaux… Il passe ses nuits à veiller sur eux. Alors forcément, il en voit partout !

— Je n’ai jamais dit que tu étais malade, corrige Quentin avec un calme surprenant.

— Non, juste que j’étais paranoïaque. Et c’est quoi, la paranoïa, sinon une maladie mentale ?

— Je crois qu’on n’a pas eu une bonne idée de s’arrêter ici, soupire Quentin en posant la main sur la cuisse de Carole.

Carole, qui se décompose, seconde après seconde.

— Je crois que Cloé n’a pas très envie de nous voir, continue l’infirmier. Alors, on devrait peut-être prendre congé et laisser le commandant poursuivre ses investigations.

Carole lève les yeux vers son amie ; elle est sur le point de pleurer.

— Tu vas m’en vouloir jusqu’à la fin de ta vie ? demande-t-elle, la gorge nouée. J’ai juste voulu t’aider.

Cloé hésite une seconde avant de répondre d’un ton cinglant :

— Ce fou m’a attaquée. Il m’a violée.

Carole manque de lâcher son verre.

— Mon Dieu, mais…

Cloé quitte la pièce, sans ajouter un mot. Ils entendent une porte claquer lourdement, au bout du couloir. Carole reste pétrifiée sur le canapé, son verre à la main.

— Vous devriez partir, préconise Gomez. Cloé a eu une très mauvaise journée, je crois que le moment est mal choisi pour une réconciliation. Une autre fois, peut-être…

— Oui… Je… On va s’en aller, murmure Carole.

Ils se lèvent tous les trois, Quentin s’approche d’Alexandre.

— Nous sommes rassurés de voir que vous êtes là, dit-il.

— Mon Dieu, murmure à nouveau Carole. Mais pourquoi elle ne m’a rien dit ?

Gomez les raccompagne jusqu’à la porte, leur serre la main.

— Les serrures ont été changées, au moins ? s’inquiète Quentin.

— Oui, le serrurier vient de partir. Mais pourquoi ces questions puisque vous ne croyez pas en l’existence de ce type ?

— Avec ce qu’elle vient de nous confier, je m’aperçois que nous nous sommes peut-être trompés, avoue tristement l’infirmier.

— Ça se pourrait, acquiesce le flic. Bonne soirée en tout cas.

— Veillez bien sur elle, commandant, conclut simplement Quentin.

Gomez verrouille la porte puis se rend dans la chambre, où Cloé s’est allongée. Sur le ventre, le visage dans l’oreiller. Il s’assoit près d’elle, caresse ses cheveux.

— Ils sont partis, dit-il doucement. Et je crois qu’ils ne sont pas près de revenir.

— Qu’ils aillent au diable ! profère une voix étouffée. Qu’ils aillent tous au diable…

— Moi aussi ?

Elle se tourne vers lui, il s’attend à un visage inondé de larmes. Mais elle ne pleure pas, sèche et dure comme de la pierre.

— Non, pas toi, dit-elle en se calant contre son épaule.

— Pourquoi as-tu balancé ça à ton amie ?

— Ce n’est plus mon amie. Et je veux qu’elle ait mal comme j’ai mal.

Chapitre 49

Ça fait une semaine.

Une semaine que l’Ombre ne s’est pas manifestée. Comme si elle était retournée aux ténèbres.

Ou comme si elle n’avait plus la clef.

Mais nul besoin de clef pour suivre Cloé dans la rue ou l’attendre à la sortie du travail.

Une ruse, un piège, ou la fin du cauchemar ?

Cette disparition soudaine conforte Cloé dans sa théorie : Martins était le chef d’orchestre de cette ignoble symphonie. Il a obtenu ce qu’il voulait, a donc mis fin au contrat de Bertrand en même temps qu’à ce jeu cruel.

Il ne fait pas encore jour, Cloé ne dort pas. Comme d’habitude.