Выбрать главу

L’Ombre est partie, mais le sommeil n’est pas revenu. Deux ou trois heures, pas plus.

Alexandre a quitté le lit pour s’installer dans le fauteuil de la chambre. Comme d’habitude.

On dirait qu’il a peur de dormir près d’elle.

L’Ombre est partie mais il reste fidèle au poste.

Peut-être parce qu’il ne peut se passer de moi… ?

À pas de loup, Cloé se rend dans la cuisine pour boire un grand verre d’eau et avaler un comprimé. Elle en est à quatre ou cinq par jour. Peut-être six, elle ne compte plus vraiment.

Pourtant, son cœur souffre de plus en plus. Accélère de plus en plus.

Mais elle sent qu’arrêter le traitement serait une erreur. D’ailleurs, elle n’a pas parlé de cette aggravation à son généraliste. Lui a juste demandé de renouveler l’ordonnance et de ne pas oublier les somnifères, ces fidèles compagnons quand l’insomnie devient trop dure.

L’Ombre est partie, oui. Pas les séquelles. Ces traces immondes qu’il a léguées en souvenir.

— Tu devrais te recoucher, il est encore tôt…

Cloé sursaute ; elle n’avait pas entendu Alexandre approcher.

— Surtout que tu as ton entretien aujourd’hui… Faut que tu sois en forme.

Elle tend les bras comme une invitation. Il la soulève du sol et la pose sur le plan de travail. Ses doigts font glisser les bretelles de la nuisette en satin, sur peau de satin. Il ferme les yeux, essayant de se souvenir de la douceur d’une autre peau. De l’odeur d’une autre femme.

Sa femme.

— Je croyais que je devais me reposer pour être en forme ! chuchote Cloé.

— J’ai dit ça ?

— Tu l’as dit.

— T’as raison, j’arrête ! dit-il en reculant d’un pas.

Elle passe ses mains derrière sa nuque, l’attire à nouveau contre elle.

— Je veux une fouille au corps, commandant !

Il se met à rire ; elle adore l’entendre rire. C’est si rare qu’elle a l’impression qu’il lui fait un cadeau. Précieux, puisqu’il ne l’offre à personne d’autre.

Il est temps d’y aller. Cloé enfile sa veste, attrape son sac et passe par le bureau de Nathalie.

— Je m’absente une heure ou deux, annonce-t-elle.

— D’accord, Cloé. Vous êtes joignable ?

— En cas d’urgence, seulement.

Dans le couloir, Cloé essaie de paraître naturelle. Pourtant, elle se rend à un entretien d’embauche dans une agence concurrente.

Tout a été si vite… Après le sacre de Martins, elle a envoyé son CV dans trois agences. Quarante-huit heures plus tard, elle recevait un premier coup de fil.

Les suivants ne tarderont pas, elle en est persuadée. Finalement, elle vaut peut-être encore quelque chose.

Finalement, tout va peut-être rentrer dans l’ordre.

Un nouveau poste, ailleurs, un nouvel homme dans sa vie. Même si c’est un flic veuf, sur la sellette. Qui préfère dormir dans un fauteuil plutôt que dans un lit.

Même si c’est un homme qui flirte avec le désespoir.

Mais Cloé saura bien le reconvertir au bonheur, au goût de la vie. La vie à deux.

Elle entre dans l’ascenseur sans avoir croisé personne, appuie sur le zéro. Alors qu’elle devrait se concentrer sur son entretien, elle pense à Alexandre. Qui enquête le jour et passe ses nuits auprès d’elle. Car même si l’Ombre a disparu, le commandant continue à chercher qui s’est ainsi acharné sur elle. Il n’a pas dit son dernier mot.

Cloé non plus…

Oui, j’arriverai à l’apprivoiser, se répète-t-elle. À faire en sorte qu’il soit à moi.

À faire en sorte de ne plus être seulement le reflet d’une morte.

Elle sent bien que pour le moment, il est simplement de passage. En transit avant de mettre les voiles vers une destination inconnue.

Chaque soir, elle est surprise de le trouver sur le pas de sa porte.

Chaque nuit, elle est surprise de s’endormir dans ses bras.

Chaque matin, elle est inquiète de le voir partir.

N’ayant pas envie de parcourir le trajet en métro, Cloé décide de se rendre à la station de taxis toute proche. En attendant que le feu passe au rouge, elle consulte les messages sur son iPhone.

Une légère pression sur l’épaule, elle fait volte-face.

Le feu passe au rouge, la foule s’élance sur le passage clouté, comme emportée par le courant d’un fleuve invisible et puissant.

Mais Cloé reste sur la berge.

Elle ne bouge pas. Ne bouge plus. Fixant cet homme sans visage.

Capuche sur la tête, lunettes noires, foulard remonté jusque sur la bouche.

Les jambes de Cloé se mettent à trembler. Ses lèvres, juste après.

— Tu vas te mettre en retard, Cloé.

— Qui… qui êtes-vous ?

Même sa voix tremble.

— Ton pire cauchemar, on dirait… Tu croyais que j’avais renoncé, n’est-ce pas ? Tu croyais que c’était fini ? Tu penses qu’un simple verrou suffit à me décourager ? Tu crois qu’un chien de garde suffit à m’éloigner ?

Cloé garde la bouche ouverte, aspirant l’effroi à pleins poumons. Elle ne va pas tarder à s’étouffer. Sauf si son cœur lâche avant.

Cette voix maléfique s’enfonce en elle, tel un dard distillant un venin mortel.

— Tu es amoureuse de lui, Cloé ? Amoureuse de ce petit flic de merde ? Ou peut-être simplement que tu aimes baiser avec lui… C’est ça, Cloé ? Tu aimes ça ?

Cloé regarde autour d’elle. Appeler au secours. Mais ses cordes vocales sont coincées.

— Sache que je n’abandonne jamais, mon ange. Jamais.

C’est bien plus tard, alors qu’il est déjà loin, que Cloé se met à hurler.

Comme une démente.

Chapitre 50

Alexandre se réveille en sursaut. Il réalise qu’il est au volant de sa voiture et que son portable sonne. Il le cherche partout, finit par le trouver dans le vide-poche. Trop tard…

Ça fait des heures qu’il planque devant l’immeuble où vit Bertrand. Des jours qu’il lui colle au train, observant chacun de ses mouvements.

Pas grand-chose à lui reprocher, pour le moment. Il va au boulot, y passe une bonne partie de ses journées. Le soir, il part parfois en maraude, quand il ne reste pas sagement dans son appartement. Il a un comportement qu’on pourrait qualifier de normal, si la normalité existe.

Mais ce type est suspect, Gomez ne peut en disconvenir. Simplement parce qu’il a fait croire à Cloé qu’il fréquentait une autre femme et que, pour le moment, le commandant n’a pas vu le moindre jupon s’approcher de lui.

Certes, il est seul sur l’enquête et ne peut donc avoir Bertrand à l’œil vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Mais s’il avait une nouvelle conquête à son actif, impossible que le flic ne l’ait pas aperçue au moins une fois.

Alors, pourquoi avoir menti à Cloé ? Pourquoi avoir voulu la faire souffrir ainsi ?

Simplement pour s’en débarrasser, peut-être. Pour qu’elle renonce à lui.

Gomez perd sans doute son temps, s’étant laissé abuser par les certitudes inébranlables de Cloé.

Pour mener correctement ses investigations, il devrait avoir la possibilité de faire surveiller parallèlement Martins et de continuer l’enquête sur la mort de Laura.

La possibilité, aussi, d’éplucher les comptes bancaires des deux hommes, de les mettre sur écoute. Mais il a les pieds et les poings liés, agissant dans la plus pure illégalité. Sans moyens humains, financiers ou techniques.