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Laval bâille à s’en décrocher la mâchoire.

— Dites-moi au moins qui on attend depuis des plombes, ça me filera du courage.

— Vaut mieux pas que tu le saches. Sinon, tu vas faire dans ton froc.

— On parie ?

— Un pote de Bashkim.

— Bashkim ? Mais comment vous avez su où le trouver ?

— Je n’ai pas dit que j’avais retrouvé Bashkim. Seulement la trace d’un type qui pourrait nous conduire jusqu’à lui… Nuance.

— Qui vous a refilé l’info ?

— Une nana qui a trouvé que j’avais de beaux yeux et une manière sexy de lancer le couteau.

— Hein ?

— Laisse tomber, Gamin. Ce qui compte, c’est remonter jusqu’à la tête du réseau.

— J’y crois pas… Si c’est un pote à lui, Bashkim pourrait aussi se pointer dans les parages !

— Ne rêve pas, bougonne Gomez. Ce dégénéré est sans doute bien au chaud dans son pays de merde… C’est beau, l’Albanie. Tu connais ?

— Non. N’empêche que si Bashkim arrive, faut appeler l’armée en renfort. Ce type est barge !

— Moi aussi, rappelle le commandant. Et sans doute plus que lui, puisque je risque ma peau pour deux mille cinq cents euros par mois.

Laval n’a plus sommeil. Il fixe avec inquiétude la porte au niveau du 29 avec la crainte de voir arriver celui qu’il a attendu tout l’après-midi sans même le savoir.

Pourvu qu’il ne vienne pas. Ni lui, ni son pote.

— T’as les foies ? suppose Gomez.

Laval est soudain très agité sur son siège.

— Ce genre de gibier, on peut pas se le faire à deux. Trop dangereux. Ce type, c’est du lourd ! Armé jusqu’aux dents…

— Et toi, tu portes quoi sous ta veste ? Un hochet ?… Je te répète que ce n’est pas Bashkim qui crèche là, seulement un pote à lui. Et puis, faut juste lui coller au train, pour le moment. Histoire qu’il nous mène jusqu’à un fumier un peu plus gradé. Et ainsi de suite. Je ne vais quand même pas t’apprendre les bases, non ?

— Vous êtes dingue, merde…

Gomez le fixe de son regard glaçant.

— Maintenant, tu vas la boucler, OK ? Si tu as les jetons, tu te barres. Sinon, tu fermes ta gueule et tu ouvres tes oreilles.

Laval est tétanisé. Finalement, Gomez est bien plus impressionnant que Tomor Bashkim.

— Ce salaud, je le veux, t’entends ? Ça fait des mois que je cherche comment le coincer, et là, j’ai une piste. Alors je vais pas la lâcher. Je t’ai choisi pour me seconder parce que j’ai confiance en toi. Mais si tu n’es pas à la hauteur, si je me suis trompé, tu peux te casser. Clair ?

— Clair, murmure Laval. Je reste, c’est bon.

— Parfait. Tu peux dormir un peu, si tu veux. C’est ton tour.

Les chiffres rouges ont disparu du radio-réveil.

Alors, Cloé attrape son portable sur le chevet et constate avec bonheur qu’il n’est pas encore l’heure de se lever. À peine 4 h 12.

Elle repose sa tête sur l’épaule de Bertrand qui dort profondément, prête à replonger dans les bras de Morphée. Mais une envie de plus en plus pressante l’en empêche.

À contrecœur, elle se lève sans réveiller son amant et marche pieds nus jusqu’à la salle de bains. Grâce à l’absence de lumière, elle n’a pas à affronter sa tête dans le miroir. Avec sa cuite de la veille, elle doit être affreuse…

Elle soulage sa vessie et décide de boire un grand verre d’eau fraîche avant de se recoucher. Elle entend un bruit derrière elle, sursaute.

— Qu’est-ce que tu fabriques ? demande Bertrand.

— J’avais soif. Mais il n’y a plus d’électricité. Sans doute une coupure.

— La rue est éclairée, pourtant… Où est le compteur ?

— Dans le garage.

— J’y vais, retourne te mettre au chaud. Cette maison ressemble à un frigo !

Il s’habille à la va-vite, tandis qu’elle se glisse sous la couette en attendant le retour de son homme. Elle pose son crâne douloureux sur l’oreiller, a juste le temps d’entendre la porte d’entrée s’ouvrir puis se refermer avant de se rendormir.

Le silence est parfait. Trop, peut-être.

Cloé allonge son bras gauche, s’aperçoit que Bertrand n’est pas là.

La coupure d’électricité, le compteur… Sur l’écran du téléphone, elle découvre qu’il est 4 h 45.

Il est parti depuis une demi-heure.

— Bertrand ?

Le silence fait tragiquement écho à son appel.

— Chéri ?

Elle a parlé plus fort, n’obtient toujours aucune réponse. Elle commence à trembler, tente d’allumer la lampe de chevet.

Il n’est pas revenu, l’électricité non plus.

Elle doit aller voir ce qui se passe. Mais l’angoisse la cloue dans ce lit froid. L’Ombre se dessine doucement devant ses yeux. Plus noire encore que les ténèbres.

— Bertrand, réponds, merde !

Elle vient de hurler. Elle claque maintenant des dents et ce n’est pas seulement parce que le chauffage a été coupé.

Reste calme. Il doit avoir du mal à trouver la panne, voilà tout.

Mais la peur est tout sauf rationnelle.

Cloé puise au fond d’elle-même le courage de s’extirper du lit, comme si elle quittait un abri sûr pour s’aventurer dans un monde hostile.

Pieds nus, un peignoir sur le dos, elle avance doucement dans le couloir.

— Bertrand ? Tu es là ?

Dans l’entrée, elle essaie bêtement d’allumer le lustre. Elle tente de contrôler les spasmes qui font s’entrechoquer ses dents et se maudit en silence.

Je suis ridicule.

Sur le perron, la lumière de la rue la rassure un peu. Seulement un peu.

— Bertrand ?

Un petit vent la nargue et finit de la glacer. Elle repart en arrière, enfile sa paire d’escarpins.

Une seconde, elle s’imagine, à l’aube, sur le perron de sa maison, en peignoir blanc et escarpins noirs. Mais elle a bien d’autres choses à imaginer.

Bertrand mort. Assassiné par l’Ombre.

Elle descend la volée de marches, bifurque à gauche vers le garage. Elle devine la porte grande ouverte sur un trou noir.

Figée sur le seuil, elle écoute attentivement le silence.

— Chéri ?

Aucun bruit, sauf celui du vent dans les branches et celui du moteur d’une grosse cylindrée qui rugit dans une rue voisine. Elle ose deux pas à l’intérieur du garage vide puisque sa voiture est restée dans le parking souterrain de l’Agence.

Elle respire fort, l’air froid brûle ses poumons. La voix dans son crâne se fait plus persuasive.

Fais demi-tour pendant qu’il est encore temps !

Prête à s’enfuir, elle pivote. Et tombe alors nez à nez avec son cauchemar.

Immense, l’homme est habillé tout en noir, capuche sur la tête.

Cloé pousse un hurlement affreux, part en arrière. Sa cheville se tord, elle perd l’équilibre. Sa tête percute quelque chose de dur, le choc est violent.

Respiration coupée net, chaleur intense qui embrase son corps, explose dans son cerveau.

Elle ouvre à moitié les paupières, discerne l’Ombre qui se penche sur elle.

Elle voudrait parler, lui demander où est Bertrand.

Que lui avez-vous fait ? Qu’allez-vous me faire ?

Mais aucun mot ne franchit ses lèvres pourtant ouvertes.

L’homme est tout près d’elle. Il lui semble apercevoir le bas de son visage. Il lui semble qu’il sourit.