Pourtant, quelque chose lui dit qu’il ne tardera plus à mettre la main sur ce monstre.
Aujourd’hui, Bertrand est resté cloîtré chez lui. Est-il en congé ? Malade ?
Alexandre allume une cigarette et consulte sa messagerie. La voix de Cloé lui fait l’effet d’un coup de poing dans l’estomac.
Alex, c’est moi… Il est revenu ! Il m’attendait dans la rue, il… il m’a menacée ! Il m’a dit des horreurs… Après l’appel au secours, un sanglot sans fin.
Gomez compose le numéro de Cloé qui décroche aussitôt.
— Il t’a fait du mal ?
— Non…
— Qu’est-ce qu’il t’a dit ?
Cloé tente de se rappeler chaque mot. Elle hurle dans le combiné.
— Essaie de te calmer… Essaie de te calmer, je t’en prie !
Il entend qu’elle pleure. Ça lui fait mal. Plus qu’il ne l’aurait imaginé.
— Tu vas à ton entretien ?
— Oui, mais je sais pas si je vais arriver à…
— Essaie de te calmer, répète inlassablement le flic. Il ne réapparaîtra pas aujourd’hui, j’en suis certain. Et je viendrai te chercher ce soir à ton travail, d’accord ?
— Oui ! gémit Cloé.
— Courage, tu vas y arriver. Je suis sûr que tu vas y arriver… Sois forte. Je t’embrasse.
— Moi aussi.
Gomez raccroche, tape violemment sur le volant.
C’est alors qu’il s’aperçoit que la voiture de Bertrand, garée à trente mètres de la sienne, a disparu pendant qu’il dormait.
Il est 18 heures lorsque les portes de l’ascenseur s’ouvrent. Cloé aperçoit Alexandre qui fait les cent pas dans le hall. Ils se dévisagent un instant. C’est tellement douloureux…
Cette peur, qui lui colle à nouveau à la peau. Qui lui va comme un gant.
Elle l’avait un peu oubliée, mise à l’écart. Aujourd’hui, elle est revenue en force.
Je n’abandonne jamais, mon ange.
Puis Alexandre la prend dans ses bras, la serre longuement contre lui.
— Je suis là, dit-il. C’est fini.
Elle aimerait tellement qu’il ait raison. Pourtant, elle sait qu’il se trompe. Et les mots n’arrêtent plus de résonner dans sa tête… Tu aimes ça, Cloé ?… Je n’abandonne jamais.
— Viens, dit Gomez. On prend ma voiture. Je t’accompagnerai demain matin.
Cloé se laisse faire, rassurée qu’il soit là. Qu’il décide pour elle. Ils montent dans la 407, garée en double file. Alexandre s’aperçoit que sa passagère détaille avec angoisse ce qui les entoure.
— Je suis sûre que ce salaud nous observe ! Je suis sûre qu’il est là, quelque part…
— Peut-être. Mais tant que je suis près de toi, il restera à distance, affirme Alexandre.
La Peugeot s’incruste dans la circulation, Cloé étend ses jambes. L’impression que ses muscles sont en bois, qu’elle manque d’air. Elle ouvre la vitre, ferme les yeux.
— Si tu avais entendu sa voix, murmure-t-elle. Les horreurs qu’il m’a dites…
— C’est la première fois qu’il te parle, non ?
— Il m’a parlé le soir où il est venu chez moi. Quand je t’ai appelé.
— Tu as reconnu sa voix, cette fois ? espère Alexandre.
— Il avait un foulard sur la bouche.
— Mais quand même, il était près de toi, tu as pu voir son visage ! insiste le commandant. La forme de son visage… Est-ce que tu as eu l’impression de le connaître ?
— Je sais pas. Oui, peut-être. Mais c’était juste une impression !
— Il était à quelques centimètres de toi ! Tu n’as pas remarqué un détail, quelque chose ?
— Non ! gémit Cloé.
— Sa carrure, son odeur… Ses mains ?
— Il portait des gants.
— Autre chose alors… Essaie de te rappeler, c’est important !
Alexandre a une voix dure, autoritaire. On dirait qu’il cuisine un suspect.
— Je sais que c’est important ! enrage Cloé. Je ne l’ai pas reconnu, je te dis !
Elle cache son visage entre ses mains, Gomez change de ton.
— Excuse-moi, dit-il. On en reparlera plus tard, à tête reposée. D’accord ?
— Oui, merci, murmure-t-elle en prenant un Kleenex dans son sac.
Elle essuie ses larmes, se recroqueville sur son siège. Ils ne s’adressent plus la parole jusqu’à ce qu’ils arrivent à destination.
Une fois à l’intérieur, Cloé s’effondre sur le canapé, Alexandre se pose en face d’elle et revient à la charge.
— Ton entretien, ça s’est passé comment ?
— À ton avis ? Dans l’état où j’étais… J’ai été lamentable.
Elle secoue la tête, revivant le désastre. L’humiliation.
Cette rencontre a été une épreuve. Qui se soldera par un fiasco, Cloé en est sûre.
Agitée et nerveuse, elle a trébuché sur chaque mot. Les trois hommes assis en face d’elle ont dû la prendre pour une débutante !
Merci d’être venue, on vous rappellera.
— Ils ne rappelleront jamais. C’est foutu.
— Tu feras mieux la prochaine fois, assure Alexandre en allumant une cigarette.
— Il savait où j’allais.
— Il te l’a dit ?
— Non. Juste que j’allais me mettre en retard… Mais je suis sûre qu’il a fait exprès de m’attendre pour me déstabiliser.
— Pas forcément.
— Il savait où j’allais et voulait que je rate mon entretien ! C’est évident.
Que cet homme soit au courant du moindre de ses faits et gestes leur glace le sang.
— À qui avais-tu parlé de ce rendez-vous ? demande Alexandre.
— À toi. Et à personne d’autre.
Alexandre se lève et jette un coup d’œil circulaire dans la pièce. Il se baisse, passe une main sous la table basse.
— Qu’est-ce que tu fabriques ? s’étonne Cloé.
Le commandant lui fait signe de se taire et continue son manège. Il passe le salon au peigne fin, regardant derrière les cadres accrochés au mur, sous les chaises, dans la petite bibliothèque… Ça dure de longues minutes pendant lesquelles Cloé retient sa respiration.
— Tu cherches un micro ? chuchote-t-elle.
— Oui, mais il n’y a rien. Tu sais, il rôdait peut-être dans le coin en espérant te voir. C’était quasiment l’heure du déjeuner, il attendait sans doute que tu sortes.
Cloé secoue à nouveau la tête, refusant cette version.
— En tout cas, cette fois, tu l’as vu de près. Tu as entendu sa voix, même si elle était modifiée. Alors si c’était Bertrand, tu l’aurais forcément reconnu. Pas possible autrement.
— Je sais pas…
— Tu l’aurais reconnu, s’entête le commandant.
Elle est épuisée, mais extrêmement agitée. Des spasmes secouent ses jambes, des tics assaillent ses paupières.
— Calme-toi, prie Alexandre.
— Il m’a demandé si j’étais amoureuse de toi.
Le commandant est mal à l’aise. Ça, elle ne lui avait pas dit au téléphone.
— Il m’a demandé : Tu es amoureuse de ce petit flic de merde ? Ou… peut-être que… tu aimes simplement baiser avec lui ?
Elle se remet à pleurer, en silence.
— Comment il sait ça ? gémit-elle.
— Pas compliqué. Il a dû me voir entrer chez toi et y passer la nuit. Il se doute bien que je ne dors pas sur le canapé.
— Mais comment il sait que tu es flic ? Comment il sait tout sur moi, sur nous ? C’est pas vrai… Il… il doit passer son temps à m’espionner ! Il doit…
Elle ne termine pas sa phrase, éclate en sanglots. Alexandre la considère un instant, soudain désarmé. Puis il la rejoint sur le divan et l’attire contre lui.