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— On s’y fait. Question d’habitude… Que puis-je faire pour vous ? Il n’est pas arrivé quelque chose à Cloé au moins ?

— Non. J’essaie d’interroger un par un ses amis, ses proches… Pour trouver le détail qui me mettra sur la bonne piste. Alors, comme je passais dans le coin, j’ai tenté ma chance.

— Je ne fais pas partie de ses amis ! souligne Quentin. Vous m’offrez une cigarette ? J’ai pas pris les miennes.

Gomez lui tend son paquet de Marlboro et son Zippo.

— Vous fréquentez sa meilleure amie. Alors vous faites partie de son entourage.

— Si on veut. Je ne connais pas Carole depuis très longtemps. Et je n’ai vu Cloé que deux fois. Non, trois fois, en fait… La dernière fois, vous étiez là !

— Vous savez, j’enquête sur ce type qui la harcèle et…

— Quel type ? coupe Quentin avec un sourire cynique. Vous croyez vraiment qu’il existe ?

Il secoue la tête, d’un air vaguement désolé et franchement condescendant.

— Ne me dites pas que vous êtes tombé dans le panneau, Alexandre !

Gomez ne répond pas, laissant l’infirmier abattre ses cartes.

— Vous l’avez vu ? Ce mystérieux agresseur, vous l’avez vu ?

— Non, avoue Gomez. Jamais.

— Seule Cloé l’a vu ! Sincèrement, je la plains.

— Éclairez-moi, ordonne le commandant. Vous semblez si sûr de vous…

— Cloé souffre d’un épisode de paranoïa aiguë. D’après ce que Carole m’a dit, ce n’est pas la première fois.

— Vraiment ? s’étonne le flic.

— Disons que Cloé est quelqu’un qui a toujours eu des tendances paranoïaques. Vous savez, l’impression que tout le monde complote dans son dos, que les gens sont jaloux et envieux de sa réussite, qu’ils veulent donc se venger et lui faire du mal…

Quentin accompagne son discours de grands gestes un peu théâtraux.

— Mais là, elle est visiblement entrée dans une phase de délire, ce qui est bien plus grave. Ça arrive parfois. En général, les sujets ayant une tendance paranoïaque risquent le délire vers la quarantaine.

— C’est quoi, un délire paranoïaque ? questionne le commandant.

— Pour faire simple, c’est lorsque le patient met en place un système, très logique, mais basé sur une réalité déformée.

— En clair ?

— Cloé a carrément inventé un agresseur imaginaire.

— Vous voulez dire qu’elle ment ? À tout le monde ?

Ils s’arrêtent de marcher, Quentin fixe son interlocuteur droit dans les yeux.

— Non, Cloé ne ment pas : elle est persuadée que cet homme existe vraiment. Je pense même qu’au stade où elle en est, elle le voit. Comme vous me voyez en ce moment.

— Comment expliquez-vous les objets déplacés chez elle ?

— Il est possible que ce soit elle qui les déplace. Ou alors, elle se persuade qu’ils ont été bougés pendant qu’elle n’était pas là. Elle relie chaque événement, même anodin, même mineur, à ce mystérieux type. Un oiseau mort sur le pas de sa porte ? C’est forcément lui qui l’a placé là. Un dessin sur sa voiture ? C’est lui qui l’a tracé. Une bagnole qui la colle un peu trop près ? Encore lui… Vous me suivez ?

— Mais… Et l’agression ?

Quentin s’assoit sur un muret, écrase sa cigarette. Gomez reste debout face à lui.

— Quelle agression ?

— Cloé a été droguée et s’est réveillée à poil en plein milieu de la forêt.

L’infirmier a encore un de ses sourires navrés.

— Je parie qu’il n’y avait aucun témoin !

— Non, mais…

— Était-elle blessée ? Portait-elle des traces de sévices ou… autre ?

— Non, reconnaît Alexandre.

— Ce n’est pas à un flic que je vais apprendre qu’une agression laisse des traces, non ? Elle dit avoir été violée… A-t-elle vu un toubib, un légiste ?

Gomez hoche la tête.

— Et alors ?

— Alors rien, concède le flic.

— Vous voyez ! Elle a imaginé tout ça, assure l’infirmier. Ça fait partie de son scénario.

— C’est un peu fort, quand même !

Quentin considère la forteresse dans le dos du commandant.

— Avec les cas que je côtoie chaque jour derrière ces murs, je peux vous dire qu’il n’y a là rien d’étonnant. J’ai vu des choses beaucoup plus ahurissantes ! Mais le problème, avec la paranoïa, c’est que le patient refuse d’admettre qu’il est malade. Ce serait l’effondrement de ses certitudes, la fin du monde qu’il s’est créé… Ce sont les malades les plus difficiles à traiter. Nous en avons quelques-uns ici. Je sais de quoi je parle, croyez-moi.

Gomez s’assoit à son tour.

— Cloé repousse violemment tous ceux qui tentent de lui expliquer qu’elle est malade et doit se faire soigner, poursuit Quentin. Elle les considère comme des ennemis. C’est ce qui s’est passé avec Carole. Je lui ai donné les coordonnées d’un spécialiste, un bon. Mais lorsque Caro a voulu persuader Cloé d’aller le consulter, elle s’est braquée. Au point de ne plus vouloir lui parler… Pourtant, ça faisait une vingtaine d’années qu’elles étaient les meilleures amies du monde !

Alexandre allume une nouvelle cigarette et lui trouve un drôle de goût.

— Vous couchez avec elle, n’est-ce pas ? balance Quentin.

Le flic ne répond pas ; l’infirmier considère ce silence comme un aveu et continue son monologue.

— Remarquez, je vous comprends, elle est vraiment attirante ! La première fois que je l’ai vue, je l’ai immédiatement remarquée. Elle est éblouissante. Mais j’ai tout de suite senti qu’elle était dangereuse.

— Dangereuse ?

— Pas claire, précise l’infirmier. Je les repère à des kilomètres ! C’est un peu mon métier, faut dire.

— Bon… si je résume ce que vous venez de me dire, Cloé est gravement malade et je ne peux rien pour elle.

— Vous perdez votre temps, commandant. Vous pourrez enquêter pendant dix ans, vous ne trouverez jamais ce psychopathe. Parce qu’il n’existe que dans la tête de Cloé. Et nulle part ailleurs. Alors, si vous voulez vraiment l’aider, essayez de la persuader d’aller consulter un spécialiste. Un bon, de préférence.

— D’après ce que vous venez de me dire, c’est mission impossible !

— On ne sait jamais… L’amour fait parfois des miracles !

Ils restent silencieux un moment, puis Gomez reprend la parole.

— Y a quand même un truc qui me chiffonne dans votre théorie… Toute cette histoire nuit gravement à Cloé : elle a vu le poste de directrice générale lui passer sous le nez, elle a perdu son mec, sa meilleure amie…

— C’est vrai. Cloé se fait du mal, vous avez raison. Elle pourrait même aller jusqu’à se détruire. S’autodétruire.

Gomez frissonne en pensant à la tentative de suicide que Cloé lui a racontée.

— Mais pourquoi ?

— Ça, seul un bon psy pourrait nous le dire ! D’ailleurs, Cloé ne le sait pas elle-même. Elle n’a pas conscience de tout ça.

— Je crois qu’elle se sent coupable d’un accident qui est arrivé à sa sœur, tente Alexandre.

— Oui, Caro m’en a parlé. C’est une possibilité, en effet. Elle s’inflige peut-être une punition parce qu’elle culpabilise. Elle s’est inventé un bourreau et un châtiment.