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D’une main, il fit claquer les boucles du cartable.

— Recule, ordonna l’autre.

L’homme nu s’approcha du butin, sans le quitter des yeux. Il plaça un genou au sol et jeta un regard déclic entre les soufflets de cuir. Quand il se redressa, c’était trop tard : il avait la seringue plantée jusqu’à la garde dans la nuque. Il tenta de balancer un coup de poing mais ne trouva que le ciel. Tout était fini.

Trente millilitres d’Imagene. Effet immédiat.

Le flic s’affaissa parmi les herbes. Le vainqueur lança un regard aux alentours — personne — puis regarda sa montre. 6 h 40. Il disposait maintenant d’une heure et demie environ pour exécuter son plan.

Placer le prisonnier à l’abri.

Le réveiller et le faire parler.

Préparer l’intervention chimique.

Puis rentrer chez lui, par le chemin qu’il avait emprunté le matin même.

40

Trente minutes plus tard, il parvenait dans le box d’un parking de Rosny-sous-Bois. Un site à l’abandon depuis qu’une campagne de désamiantage était prévue et sans cesse remise. Les propriétaires avaient été indemnisés, les voitures évacuées. Restait ce lieu sous la terre, vide, empoisonné, que même les voyous fuyaient, de peur d’être intoxiqués.

Il avait emprunté exclusivement les rues secondaires, évitant les commissariats, les cités et tous les points chauds que les flics surveillaient. Le 93 était son territoire. Il pouvait s’y orienter les yeux fermés. Le département avait laissé une marque au fer rouge au fond de sa chair. Personne ne pourrait jamais le suivre ni le rattraper dans ce labyrinthe.

Après avoir ligoté le maître-chanteur à une chaise de métal, dont il avait lui-même rivé les pieds au sol au fer à souder, il lui fit une nouvelle injection pour le réveiller. Le temps qu’il reprenne ses esprits, il poussa à fond le système de climatisation afin d’obtenir une chaleur maximale. Le vrombissement des pales, associé aux murs noirs et au plafond très bas, évoquait un puissant vaisseau qui aurait plongé vers le noyau incandescent de la Terre.

— Qu’est-ce qui se passe ?

Il ne répondit pas, travaillant à ses réglages. Pour cette phase de l’opération, la nudité de l’ennemi était essentielle.

— Qu’est-ce que tu m’as fait ?

Levy venait de remarquer la perfusion fichée dans son bras gauche.

— QU’EST-CE QUE TU M’AS FAIT, ENCULÉ ?

Lentement, il s’approcha du flic et désigna d’un signe de tête le pousse-seringue installé sur l’établi, au fond du box. Levy ne pouvait pas le voir mais son moteur ronronnait comme celui d’un aquarium.

— Une solution saline, cria-t-il, couvrant le fracas des machines. Pour te requinquer !

— Tu t’prends pour un toubib ?

— J’ai passé la moitié de ma vie dans des hôpitaux. Je suis médecin comme les taulards sont avocats et les déments psychiatres. Pure déformation professionnelle.

Levy changea d’attitude, comme s’il avait compris la folie de son interlocuteur. Il se mit à ricaner.

— Tu m’enculeras pas, pédé.

— Nous ne sommes pas assez intimes.

Il s’approcha de l’établi et ouvrit une trousse d’intervention. À l’intérieur, un autoclave de petite taille. Il enfila de nouveaux gants de nitryle — il ne supportait que ce modèle, étant allergique au latex. Il ouvrit le couvercle d’acier, libérant un nuage de fumée, puis saisit une seringue. Ensuite, dans une des poches de la trousse, il choisit un flacon sous plastique, en déchira l’enveloppe et planta l’aiguille dans l’embout de caoutchouc.

Le flic sursautait à chaque bruit — il ne voyait rien de ces préparatifs.

— Qu’est-ce… qu’est-ce que tu fais ?

— Où sont les gants ?

Levy hurla :

— Qu’est-ce que tu vas m’faire, enfoiré ?

— Les gants.

Les flics ont la couenne dure. Le tout est de savoir jusqu’à quel point. Il se plaça face à lui pour achever de remplir sa seringue. Levy se tordait comme un serpent pris au piège et secouait la tête dans un mouvement de négation obstiné.

Avec calme, il expulsa quelques gouttes au bout de l’aiguille afin d’éliminer les bulles d’air.

— Je m’y connais en piqûre, commenta-t-il d’une voix forte. Je suis obligé de me faire régulièrement des injections de testostérone.

Levy sanglotait. Alors il passa au tutoiement. Dans cette fournaise, mêlée de haine et de peur, on pouvait enfin parler de proximité.

— Où sont les gants, Levy ? Ne m’oblige pas à jouer au nazi.

— Va te faire mettre ! hurla l’autre.

Il attrapa du coton et une solution antiseptique. Il en badigeonna le pli du coude droit du prisonnier.

— Tu noteras que je fais tout pour t’offrir un avenir.

Il se pencha vers lui et respira l’odeur acide de son exsudation. Le processus était en marche.

— Du camphre, lui glissa-t-il à l’oreille. La souffrance va courir dans tes veines assez rapidement. Tu n’es pas si vieux et ce n’est pas de chance. La souffrance, c’est comme le cancer. Elle se nourrit de la force de sa victime.

— Non.

— Mengele et sa clique injectaient ce produit à leurs prisonniers.

— Non.

— Où sont les gants ?

— NON !

Il enfonça l’aiguille dans le pli du coude.

— Tu peux t’en sortir, Levy. À Auschwitz, tes frères n’ont pas eu cette chance. Pense aux tiens ! Tu le leur dois !

— NON !

— Les gants.

Il appuya sur le piston.

— Ils sont dans un coffre de banque.

— Quelle banque ?

— HSBC. 47, avenue Jean-Jaurès, dans le 19e.

— Le numéro du coffre ?

— 12B345.

— C’est ta banque habituelle ?

— Pas cette agence.

— Ils te connaissent ?

— Je n’y suis allé qu’une fois. Pour ouvrir le coffre.

— Quand ?

— Hier soir, quand j’ai récupéré les gants.

Il évalua ses chances. Physiquement il ressemblait au flic. Avec ses papiers d’identité, il pouvait tenter le coup. Il retira l’aiguille et se détendit. Il avait emporté les vêtements de Levy, qu’il comptait brûler une fois que tout serait fini. Il palpa les poches de la veste, trouva le portefeuille. La photo de la pièce d’identité datait d’au moins dix ans mais l’homme était déjà chauve : ça pouvait marcher. Il retourna une carte de crédit et évalua la signature. Il l’imiterait sans problème. Et de la main gauche encore.

Il rangea son matériel puis se posta face au prisonnier. La chaleur devenait insoutenable. Levy avait fait sous lui. Cette odeur de merde, saturant l’espace, lui plut. Avec la climatisation réglée jusqu’à l’asphyxie, le maître-chanteur allait littéralement se dissoudre dans ses propres déjections.

D’un seul mouvement, il releva le rideau de fer, ménageant une ouverture d’un mètre de hauteur.

— Où tu vas ? couina l’autre.

— Vérifier tes informations.

— Me laisse pas…

Il éteignit la lumière. Il tenait à la main sa trousse de secours, ainsi que les vêtements du flic. Il n’avait pas quitté ses gants. Le bourdonnement de la climatisation parut se renforcer dans l’obscurité.

— Je serai de retour dans quelques heures ! cria-t-il. Si j’ai les gants, on pourra envisager ton avenir. Si je ne les ai pas, je choisirai une autre option.