Выбрать главу

Passan braqua, forçant plusieurs voitures à freiner, et appuya sur l’accélérateur. Une minute plus tard, il était dans le sillage de la Merco sur le boulevard périphérique nord. Se rapprochant, il distingua le conducteur. Sous la casquette, un pansement lui barrait la nuque. Guillard. Il laissa passer deux véhicules et cala sa vitesse sur sa cible. La porte de la Chapelle était en vue. Peut-être le fuyard avait-il l’intention de rejoindre l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle et de disparaître à jamais ? Mais l’autre ignora l’embranchement de l’autoroute A1. Où allait-il ?

Un kilomètre plus loin, la Classe A prit la porte de Clignancourt. Passan sortit du périph à son tour. Il négocia avec les carrefours et les artères qui s’entrecroisaient, cernés par les boutiques du marché aux puces. Guillard venait de se parquer boulevard d’Ornano, près de l’entrée du passage du Mont-Cenis. Le flic le dépassa quand il sortait de sa voiture. Un frisson le traversa. Il tenait son tueur, en pleine échappée clandestine. Cette fois, il ne le raterait pas.

À cet instant, l’autre disparut dans la cohue. Passan étouffa un juron et s’arrêta sur le premier bateau venu. Il jaillit de sa Subaru. Pas de Guillard. Seulement le bruit, la blancheur, le vertige… Soudain, il le repéra à nouveau. Il portait une veste de treillis informe, largement usée, qui tranchait avec ses costumes habituels, signés Brioni ou Zegna.

Le temps de quelques éclairs de soleil — les voitures qui filaient — et Passan le vit s’engouffrer dans la bouche de métro. Il glissa sa main dans son habitacle, rabattit son pare-soleil siglé « Police », arracha la clé du contact. Il traversa le boulevard d’Ornano au pas de course et plongea à son tour. Guichets. Portiques. Signalisations. Peu de monde à cette heure-ci mais déjà plus de Guillard. Cette station est le terminus de la ligne 4. Il n’y avait donc qu’une direction possible : la porte d’Orléans.

Il acheta un ticket, franchit le portillon, descendit les escaliers. Guillard était sur le quai, mains dans les poches, innocent parmi les innocents. Le flic se posta en retrait. Il sentait monter en lui la fièvre de l’excitation et goûtait en même temps la fraîcheur du lieu, où planait une odeur de gomme brûlée. Dos au mur, il regardait la voûte de carrelage en imaginant la pression des tonnes de terre au-dessus de lui.

Un grondement se fit entendre. La rame arrivait. Guillard monta. Le flic attendit la sirène et bondit, in extremis, dans la dernière voiture. Debout parmi les voyageurs, il reprit ses esprits, chassant de son cerveau les questions qui l’assaillaient.

Simplon. Les portes s’ouvrirent. Le quai. Pas de Guillard. Passan en profita pour monter dans la voiture suivante et se rapprocher.

Marcadet-Poissonniers. Toujours rien. Une autre voiture.

Château-Rouge. Le tueur ne se montrait pas. Le monde affluait : une population noire et bigarrée, la clientèle de la rue Myrha. Passan recula. Il serrait la barre à la tordre et voyait avec angoisse la foule grossir. Il sentait son aorte claquer dans sa poitrine, comme une douille qu’on éjecte d’un calibre. Où allait ce putain d’enfoiré ?

Barbès-Rochechouart. Ça sortait, ça rentrait, avec cette morne régularité des usagers, dociles et fatigués. Trille de la sirène. La casquette grise jaillit sur le quai. Passan eut juste le temps d’abaisser son bras pour empêcher la fermeture des portes et se jeta dehors. Il se demanda si cette sortie à la sauvette était calculée. Le signe que Guillard se sentait suivi. L’androgyne se faufilait déjà parmi la foule, en direction de la ligne 2 — Nation par Barbès.

Passan accéléra. Dans le troupeau, Guillard marchait le long de la paroi carrelée, petit format, fessier rebondi, visage baissé sous la visière de sa casquette. Au passage, il nota ce qu’il avait déjà remarqué du temps des filatures : contrastant avec sa carrure de culturiste, l’hermaphrodite avait une démarche de petit garçon, sautillante, saccadée. Ses pieds partaient légèrement en canard et ses épaules se balançaient à contretemps. Il roulait des mécaniques en gardant les bras le long du corps.

Escaliers. Couloirs. Guillard s’orienta vers la droite, rejoignant le quai en direction de Nation. Passan suivait toujours. Il ne cessait de se répéter : Tu brûles. Un courant d’air s’engouffra sous la voûte. Il imaginait un gigantesque système respiratoire, dont les poumons étaient les stations. Le métro arrivait. Sa proie monta dans l’avant-dernière voiture, lui se glissa dans la suivante. Sirène. Fermeture des portes. Coup d’œil vers le sas vitré. Trop de monde. Le convoi s’ébranla.

D’un coup, il se retrouva en pleine lumière. Ébloui, il porta la main à son visage. Avec un temps de retard, il se souvint que la ligne devenait ici aérienne. Nouveau vertige. Les vitres chauffées à blanc par le soleil de midi. Les ombres filant sur les visages, au rythme des arches du viaduc. Sa main poissait la barre. Il éprouvait un mélange de jouissance et d’appréhension. Seul au monde avec sa proie. Hors la loi.

La Chapelle. Bousculade. Pas moyen d’accéder au seuil. Il se hissa sur la pointe des pieds et lança un coup d’œil par la fenêtre.

— PARDON !

Guillard venait d’apparaître parmi le flux du quai. À coups d’épaules, Passan se fraya un chemin et s’arracha du wagon alors que l’autre se pressait vers la sortie. La casquette de toile grise se perdait parmi les têtes qui descendaient les escaliers. Olivier joua encore des coudes et se rapprocha de sa cible. Il sortit sur le boulevard de la Chapelle, se prenant de plein fouet l’agitation du quartier, sous les feuillages des arbres. Guillard se faufilait entre les voitures, gagnant le trottoir d’en face, où se succédaient les épiciers sri-lankais, les bazars pakistanais, les restos indiens.

Le flic courut et comprit que quelque chose déconnait.

L’homme ne marchait plus d’un pas sautillant. Il ne portait plus de pansement sur la nuque. Un mètre encore et Passan, sachant qu’il était déjà trop tard, l’agrippa par l’épaule. Il découvrit la gueule burinée d’un SDF sans âge. Sous la veste, il était vêtu d’un bleu de chauffe et d’une chemise hawaiienne décolorée. Guillard lui avait refilé son déguisement. Le clodo tenait encore le bifton de cinquante euros qu’il avait récolté.

Passan n’interrogea même pas le gars qui lui souriait de sa bouche édentée. Il recula et laissa échapper un rugissement vers le ciel. Au-dessus du brouhaha des voitures, le sifflement du métro aérien s’éloignait.

45

D’une manière ou d’une autre, il devait rattraper la rame. Réquisitionner un véhicule, armé de sa carte de flic ? Le meilleur moyen pour aggraver son cas. Il y avait une autre solution. Après quatre ans au commissariat de la rue Louis-Blanc, il connaissait le quartier. Ses rues, ses ethnies, ses réseaux. Il savait que la ligne 2 effectue ici une large boucle au-dessus de la place Stalingrad. Mieux : en prenant la rue Louis-Blanc, qui part de la place de la Chapelle pour rejoindre à l’oblique celle du Colonel-Fabien, il avait une chance de rejoindre la rame, deux stations plus loin. En piquant simplement un sprint.

Il s’élança vers la place de la Chapelle puis tourna sur la droite, à contresens du trafic. Il voyait défiler les boutiques. Les passants. Les feuilles des platanes qui brisaient la lumière du soleil en milliers de fragments éblouissants.

Au premier croisement, rue Perdonnet, il regarda vers la gauche. Il eut juste le temps d’apercevoir la fin de la rame qui disparaissait derrière les immeubles. Il repartit de plus belle. Deuxième croisement. Un pont, au-dessus des voies ferrées de la gare du Nord. À travers les grilles de la passerelle, la ligne s’était éloignée : cent cinquante mètres sur la gauche. Mais il gagnait du terrain sur la rame : il pouvait voir plusieurs voitures, blanc et vert, qui défilaient. Il baissa la tête et se concentra sur son souffle.