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— Personne n’a jamais fait le lien entre tous ces faits ?

— À des milliers de kilomètres de distance ? Pour trouver l’aiguille, il faut la botte de foin.

Du temps des premiers incendies, Guillard avait découvert sa puissance : des milliers d’hectares grillés, des villages évacués. Puis il avait frappé d’une manière plus précise, mais aussi, d’une certaine façon, plus cosmique. En visant les maternités, il avait voulu frapper l’espèce humaine dans son développement même.

Cette psychologie grossière n’aboutissait qu’à une conclusion, terrifiante : Guillard allait faire cramer sa maison, et sa famille avec. Sans rien ni personne pour l’en empêcher. Même pas lui, qui s’était fait semer comme un bleu cet après-midi.

— T’as bien bossé, admit-il.

— Faut surtout remercier Serchaux.

— Et depuis son retour dans le 9–3 ?

— On s’en occupe. Comme je t’ai dit, on a d’autres dossiers à traiter.

— Et pour le reste ? Les prélèvements dans ma baraque ?

— Double zéro. J’ai les premiers résultats de Zacchary. On tombe toujours sur les mêmes empreintes. Les vôtres a priori. On attend les analyses ADN d’après les fragments organiques mais…

— Le porte-à-porte ?

— Que dalle. Personne a rien remarqué d’anormal.

Passan hocha la tête. Malgré l’absence de résultats, il se sentait réconforté par cette agitation. Ses gars ne l’avaient pas oublié.

— On a gratté aussi du côté de la famille de Marc Campanez. Ses trois enfants avaient l’air plutôt surpris qu’on se préoccupe à nouveau de la mort de leur père. Ils n’ont subi aucune agression, aucune menace. On a aussi interrogé le mec de Marie-Claude. Il est pas clair mais il n’a rien à voir avec tout ça.

Passan discernait, dans le foisonnement des faits, des feux, des mobiles, le sillage de la colère de l’homme-femme. Une ligne précise qui avait la densité et la netteté d’un rayon laser.

— Sur les gants, rien de neuf ?

— J’ai fait passer le message aux gars de Levy. Je crois qu’ils sont allés fouiller le terrain vague. Ils n’ont rien trouvé.

— Levy, il en est où ?

— Pas moyen de savoir.

Fifi fit un pas en arrière et parut tout à coup se rendre compte de l’état de son interlocuteur :

— Et toi, où t’étais ? T’as l’air de sortir d’une essoreuse.

— J’ai suivi une piste et c’était un cul-de-sac.

— Quelle piste ?

— Laisse tomber.

— Je vois que c’est la grosse transparence.

Passan ne releva pas. D’une manière intuitive, il sentait que son adjoint n’en avait pas fini.

— Et toi, t’es sûr que t’as rien d’autre à me dire ?

— Si. Y a un problème.

— Quel problème ?

— On t’attend à l’étage du dessus.

— L’IGS ?

— Non. Un expert psychiatrique.

— Envoyé par les bœufs ?

— Non.

— Si c’est l’avocat de Guillard, je…

— Non plus.

— Arrête de jouer aux devinettes.

— C’est l’avocat de Naoko, un dénommé Rhim. (Le punk hésita.) Il a ordonné une expertise psychiatrique dans le cadre de votre procédure de divorce et…

— QUOI ?

— Il paraît que c’est fréquent.

Passan avala la boule de rage qui lui obstruait la gorge.

— C’est un jeune, tenta d’atténuer Fifi. Plutôt sympa.

— Où il est ? demanda Passan d’une voix de matraque.

— Calme-toi. Il m’a dit que c’était simplement un rendez-vous préliminaire. Il…

— OÙ IL EST ?

— Calme-toi, putain. Là-haut. En salle de réunion.

49

Fifi n’avait pas menti : le psychiatre avait l’air sympa. Une trentaine d’années, un costume propret qui lui donnait l’allure d’un étudiant passant le grand oral. Mèche fauve, monture d’écaille, sourire spontané. En même temps, ses traits avaient quelque chose de laqué, d’ordonné, qui semblait ne rien laisser au hasard. Passan se dit que ce type-là aurait exactement la même tête dans trente ans.

Pour ne pas lui casser la gueule tout de suite, il avait pris le temps de se passer le visage sous l’eau froide dans les toilettes de l’étage. Il avait rajusté sa cravate, lissé son costume et ravalé sa colère. On peut y aller.

Le psychiatre, perdu dans la grande salle de réunion, se leva à son arrivée et s’avança, le bras tendu. Le flic avait les mains encore fraîches. Par contraste, celle de l’expert lui parut bouillante.

— David Duclos. Merci de me recevoir, commandant. Comme vous l’a sans doute dit votre collègue, il s’agit seulement d’un rendez-vous préliminaire.

Passan accentua son sourire :

— J’ai tout mon temps. Nous pouvons procéder à l’interrogatoire tout de suite.

Duclos agita les mains en riant :

— Il ne s’agit pas d’interrogatoire ! Simplement d’une conversation qui…

— Docteur, je suis flic depuis vingt ans. Je lisais des expertises psychiatriques de salopards qui violaient leurs enfants quand vous hésitiez encore entre droit et médecine, alors ne perdons pas de temps.

Le psychiatre ouvrit les bras, l’air de dire : « Comme vous voudrez. » Plutôt mince, l’homme avait une gestuelle accentuée. Ses mouvements soulignaient son vocabulaire, l’enveloppaient de chaleur et de conviction. Passan avait d’autres mots pour caractériser ce genre d’attitude, mais cela parlait de sodomie et de vaseline.

Ils s’assirent de part et d’autre de la longue table vernie. Le décor était au diapason des couloirs et des bureaux. Environnement neutre, sans charme ni chaleur, qui déteignait sur la vie des hommes : attitudes superficielles et pensées convenues.

— Vous voulez boire quelque chose ? s’enquit Passan, signifiant par là qu’il était l’hôte.

— Non, ça ira. Merci.

Le commandant attrapa un combiné posé au bout de la table et appela une secrétaire du deuxième étage. Il lui demanda, le plus gentiment possible, de lui apporter un café. Non pas le breuvage pisseux de la machine mais le nectar qu’elle préparait elle-même, à l’aide d’une petite cafetière italienne.

Finalement, il n’était pas mécontent de cette pause. Il était meurtri par la trahison de Naoko mais rouler ce blanc-bec allait le détendre. Après la course-poursuite du métro, son échec et sa conviction que Guillard n’en avait pas fini, il n’avait pas envie de se replonger aussitôt dans le cauchemar.

— Au risque de me répéter, commença Duclos, vous n’êtes pas obligé, aujourd’hui, de répondre à mes questions.

— Pourquoi ne m’avez-vous pas prévenu de votre visite ?

— J’ai appelé ce matin mais vous n’étiez pas là.

— Pour ce type d’expertise, on envoie un courrier des jours à l’avance.

— L’avocat de votre épouse, maître Rhim, est, disons, très efficace. C’est lui qui a tenu à accélérer le mouvement.

— Pour me cueillir par surprise ?

Duclos se contenta de sourire. Il sortit de son cartable un dossier relativement épais, fermé par une courroie de tissu. Passan se crispa : ce type, ou plutôt l’avocat de Naoko, enquêtait sur lui depuis un moment. Il se demandait ce qu’il pouvait y avoir dans un tel classeur : les évènements de sa carrière étaient strictement confidentiels.