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— Ma femme est au courant ou c’est une initiative personnelle de son avocat ?

Nouveau sourire. Passan connaissait par cœur cette expression : « Les questions, c’est moi » — il l’utilisait chaque jour face aux suspects et aux témoins.

Le psy posa son téléphone portable au milieu de la table :

— Ça ne vous dérange pas que j’enregistre notre conversation ?

Olivier accepta d’un signe de tête, sans cesser d’observer les gestes de son interlocuteur. Son dossier contenait plusieurs chemises de papier bourrées de liasses. Première chemise, frappée des initiales de la Préfecture de Police. Il avait donc eu accès aux archives de la Boîte. Comment ? Grâce à qui ?

— J’ai vu vos états de service, fit l’expert en feuilletant les pages. C’est impressionnant.

— Laissez tomber la pommade.

— Vraiment. Vous êtes un héros comme on n’en fait plus.

Il ne releva pas. L’autre continuait à faire semblant de lire les PV d’audition, les rapports, les coupures de presse. Les techniques du psy s’apparentaient aux méthodes des flics. Endormir la méfiance de l’adversaire pour mieux attaquer.

Le premier assaut ne tarda pas :

— Pour en arriver là, vous avez dû parcourir une longue route.

— Vous faites allusion à ma folle jeunesse ?

Rajustant ses lunettes, Duclos ouvrit la deuxième chemise. Passan tressaillit : c’étaient des extraits de son dossier de l’Aide sociale à l’enfance. Comment ce débutant avait-il pu se les procurer ? Il serra les poings sous la table. Pas le moment de s’énerver.

— Foyers. Familles d’accueil. Centres d’observation. Pas mal d’ennuis avec les forces de l’ordre quand vous étiez encore mineur.

— Il y a eu amnistie.

Duclos leva les yeux au-dessus de ses verres :

— Dans mon domaine, il n’y a jamais d’amnistie.

Une phrase d’intimidation. Une formule de flic. Passan se demanda soudain si ce gars était bien envoyé par l’avocat de Naoko. Il n’avait exigé ni papier ni document officiel. À l’idée de le faire maintenant, une immense lassitude s’abattit sur lui : il préférait encore se laisser porter.

On frappa à la porte : son café arrivait. Passan le but directement, en se brûlant la gorge.

— Après cette période… tourmentée, reprit l’autre, vous faites votre droit puis entrez dans la police. Vous adoptez alors une attitude exemplaire.

— C’est une expertise ou une psychanalyse ?

— Comment expliquez-vous ce revirement ?

— Disons que j’ai trouvé ma voie.

Le binoclard écrivit sur son bloc. Pas un mot : un sigle, un gribouillis. Troisième chemise. Même à l’envers, il reconnut les documents. Son « dossier scolaire ». C’était ainsi qu’il appelait l’ensemble des évaluations, bilans médicaux et psychiatriques, commentaires signés par ses supérieurs. La Boîte fonctionnait comme dans l’enseignement, avec notes, appréciations, bons points. Un système qu’il n’avait jamais supporté.

— Durant votre passage à la BRI, vous avez plusieurs fois fait usage de votre arme.

— J’ai abattu deux hommes pendant des opérations, si c’est ce que vous voulez dire.

— Qu’avez-vous ressenti à ce moment-là ?

Passan éclata de rire :

— Vous arrivez après la bataille, mon vieux. Ça remonte à dix ans. J’ai subi des tests, des interrogatoires, des évaluations. Vous les avez d’ailleurs sous les yeux. On m’a même envoyé à l’enterrement d’un des salopards pour me mettre à l’épreuve. Ne vous en faites pas, j’ai eu mon compte. Tout est digéré.

Le psychiatre demeurait imperturbable — il prenait de l’assurance au fil des questions :

— Mais vous, qu’avez-vous éprouvé… sur l’instant ?

Olivier se pencha au-dessus de la table.

— Quand j’ai prêté serment, j’ai accepté de courir de tels risques. C’était dans le cahier des charges, capisce ? Je fais mon métier, un point c’est tout.

L’expert, impassible, prit encore quelques notes. Il désigna l’arme fixée à la ceinture de Passan :

— Vous la portez en permanence ?

— Comme vous voyez.

— Ce n’est pas la règle à la Brigade criminelle.

— Chacun sa règle.

— Quel calibre ?

D’un geste, Passan sortit le flingue et le posa sur la table. Le Px4 Storm SD, bien qu’en polymère, produisit un bruit menaçant. Un objet qui appartenait à un autre monde, où les gestes pesaient plus lourd.

— Beretta. Calibre .45. Un des plus puissants du marché. Celui de Leonardo DiCaprio dans Inception.

Il vit l’autre déglutir. Le psy paraissait se concentrer pour ne manifester aucun signe de crainte.

Il se racla la gorge et continua :

— Cela vous donne un sentiment de puissance ?

— Je vais avoir droit au chapitre de la substitution phallique ?

— Vous considérez-vous comme violent ?

— Mon métier est violent. J’ai choisi ce boulot pour lutter contre cette violence. Pas parce que j’aime ça. Je n’ai jamais levé la main sur quiconque en dehors de mon travail.

L’expert prit encore des notes. Il donnait l’impression de remplir un quizz. Olivier vit jaillir des ordonnances. Jusqu’où avait fouillé cette bleusaille ? Qui lui avait fourni ces documents confidentiels ? Soudain, il comprit et son ventre se déchira : Naoko. Ces papiers provenaient directement de ses archives personnelles. Il ne pouvait croire qu’elle ait livré de telles munitions à son avocat.

— Je vois que vous avez suivi un traitement d’antidépresseurs.

— Et alors ?

— Que vous est-il arrivé ?

— Un passage à vide, fit Passan d’une voix rauque.

— Cette période… était-elle liée aux actes de violence que vous aviez dû commettre ?

— Non. Regardez les dates. Ça n’a rien à voir. C’était en 98.

— L’inconscient ne connaît pas les dates. Vous…

Passan leva la main :

— Gardez votre bullshit de psy !

Duclos se recula et mais soutint son regard.

— Pourquoi ce traitement ?

— Je sais pas…, grogna Olivier. Je tenais plus le coup.

— Dans votre boulot ?

— Dans mon boulot… Et aussi dans ma vie. Je ne me sentais plus capable d’assumer tout ça. Une baisse de régime. Ça arrive à tout le monde.

La défense sonnait pauvre.

— Vous avez suivi une psychanalyse pendant huit ans.

— Exact.

— Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?

— J’ai arrêté depuis cinq ans. Tout va bien.

L’autre se tut mais son silence signifiait : « Chacun ses illusions. » Les psys, au contraire des médecins généralistes, s’évertuent à vous convaincre que vous n’êtes pas guéri — que vous ne le serez jamais. Ce qui pose la question métaphysique de leur utilité.

Mais pour l’instant, la seule interrogation d’Olivier était : pourquoi Naoko lui faisait-elle ce coup en vache ? Pour obtenir la garde exclusive des enfants ? S’approprier la maison ? L’hypothèse la plus probable était la pire : elle avait, réellement, peur de lui. Peur de sa violence. De sa psyché torturée. De ses réactions imprévisibles. Elle voulait être sûre qu’il était capable de s’occuper des garçons.

Cette idée lui serra la gorge. Il était un simple tueur, perdu pour la cause, qui n’avait rien à faire dans le monde des gens sains et normaux.