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Des idéogrammes japonais, à la verticale.

Passan ne les comprenait pas mais ce qu’il comprenait enfin, c’était que toute cette histoire n’avait rien à voir avec Guillard ni aucun coupable qu’il avait jadis arrêté.

Le cauchemar était lié à Naoko.

En un fragment de seconde, il imagina le scénario. Sandrine et Naoko surprises par l’agresseur. La première est tuée. La seconde réussit à se jeter par la fenêtre. Le temps qu’il rejoigne l’étage, le meurtrier inscrit son épitaphe sanglante. Il remarqua qu’un kimono traînait à terre, maculé, comme si on l’avait utilisé pour essuyer l’arme du crime.

Il était monté par l’escalier et l’ascenseur était en panne. Donc soit l’assassin avait fui vers les étages supérieurs, soit il était encore dans l’appartement. Il se rua dans chaque pièce, arme au poing. Personne. Il gagna la cage d’escalier et découvrit une véritable mêlée. Des voisins se tenaient sur leur palier, d’autres descendaient voir ce qui se passait.

Rengainant son arme, il se pencha par-dessus la rambarde. Des cris, des mains sur la rampe, des bruits de pas dans le puits de résonance, qui ressemblait maintenant à l’œil d’un cyclone.

Il dévala les marches, bousculant les locataires qui s’apostrophaient d’un étage à l’autre. Instinctivement, il cherchait du regard le tueur. Avec un temps de retard, il se souvint que Naoko avait dit : « Elle est là-haut. » De qui parlait-elle ? De Sandrine ? De l’assassin ?

Au rez-de-chaussée, le Samu et un fourgon de bleus étaient arrivés. Naoko était sous une couverture de survie, une minerve autour du cou. Il rejoignit les deux gars qui s’apprêtaient à la placer sur une civière. Un troisième homme l’examinait — sans doute l’urgentiste.

— Ça va aller ? demanda Olivier.

— Qui êtes-vous ? rétorqua l’autre sans le regarder.

— Son mari.

Le médecin ne répondit pas. Il fit un signe aux infirmiers qui s’emparaient de Naoko. En un seul mouvement, ils la soulevèrent et la déposèrent sur le brancard.

Passan empoigna le toubib par le col de sa blouse et le retourna avec brutalité :

— Ça va aller ou non ?

L’urgentiste ne broncha toujours pas — il en avait vu d’autres :

— Calmez-vous. Sa blessure est sans gravité mais elle a perdu pas mal de sang.

Le flic l’écarta et suivit des yeux Naoko qu’on emportait vers l’ambulance. Avec sa minerve et sa couverture argentée, elle lui rappela Patrick Guillard après le flag manqué de Stains.

— Où l’emmenez-vous ?

— Aucune idée.

— Vous vous foutez de ma gueule ?

— On va chercher un lit quelque part. Pour en savoir plus, appelez le central dans une demi-heure.

Passan n’insista pas. C’était la procédure normale. Il avait vécu mille fois cette scène, le fait que la victime soit sa femme n’y changeait rien. Il courut vers l’ambulance pour lui dire un mot mais les portes étaient déjà closes.

Tout ce qu’il vit, ce fut un fourgon vitré qui brûlait de la gomme en démarrant, sirène hurlante. L’image lui tordit l’estomac. Pas le moment de s’effondrer. Le meurtrier ou la meurtrière était toujours dans les parages. Il revint au pas de charge auprès des flics qui tentaient de canaliser les curieux.

— Personne ne sort de l’immeuble ! cria-t-il en brandissant sa carte. Périmètre de sécurité autour du bloc.

Les gars acquiescèrent sans savoir à qui ils avaient affaire. Dans la police, on salue tout ce qui est tricolore, on soupçonne les autres.

Il s’adressa à deux plantons qui transpiraient sous leur casquette :

— Venez avec moi. Je ne veux plus voir personne dans les escaliers ! Chacun chez soi !

Et se tournant vers le seul gradé du groupe :

— Appelez du renfort. Appelez aussi le proc et la Crime de Paris.

Il y eut un flottement puis, au bout de quelques secondes, les gars s’animèrent. Ils expulsèrent ceux qui n’habitaient pas là, refoulèrent les autres. On y vit plus clair. Les portes claquaient. Les paliers se vidaient. Passan suivait le mouvement, remontant chaque étage, l’image monstrueuse du corps de Sandrine lui revenant au fil des marches. Une femme pouvait-elle vraiment avoir fait ça ?

Il décida que oui. Elle avait pu monter dans les étages quand il s’était arrêté au deuxième, puis descendre tranquillement alors qu’il découvrait le cadavre de Sandrine. Ou alors se planquer dans une des pièces avant de s’enfuir. Mais alors, les badauds devant l’immeuble l’auraient repérée. Elle était donc encore ici. Quelque part entre ces murs.

Il grimpa jusqu’au cinquième, mettant en route son sonar personnel, en quête d’ondes négatives. Aucune présence suspecte. Le silence revenait dans la cage d’escalier. Il chercha et trouva sans difficulté une échelle de service pour accéder au toit-terrasse.

Il ouvrit le vasistas d’un coup de coude et se hissa en une traction. La toiture était plate comme un terrain de basket, plantée de cheminées et de boîtes de ventilation, creusée de flaques miroitantes. Au loin, c’était la plaine parisienne, ceinturée par le boulevard périphérique. Tout était brouillé par une buée de chaleur plutôt surprenante en ce mois de juin pourri. Cette vision lui rappela l’époque où il souffrait de vertige, ressentant la moindre hauteur, le moindre vide comme une force magnétique irrésistible. Ce temps était révolu et, malgré lui, il en éprouva une satisfaction réflexe. Maintenant, les démons étaient bien réels : ils tuaient à l’arme blanche et laissaient des idéogrammes sanglants sur les murs.

Tous sens en alerte, il dégaina et s’avança vers les blocs de ciment en répétant à voix basse : « Sandrine est morte… Sandrine est morte… » comme pour s’en convaincre. La meurtrière se cachait-elle derrière une cheminée ? Il progressait à pas prudents, faisant crisser malgré lui les cailloux sur le sol, les deux poings serrés sur la crosse de son Glock. Il contourna la première cheminée : personne. Une deuxième : idem. Et ainsi de suite. Il regarda sa montre : une demi-heure s’était écoulée depuis la chute de Naoko.

L’assassin était loin.

Il reprit l’échelle et une idée lui vint. Il essaya d’ouvrir la porte de l’ascenseur au cinquième étage. Bloquée. Comme au quatrième et au troisième. Au deuxième et au premier : même chanson. Au rez-de-chaussée, il considéra le panneau « En panne » et saisit la poignée.

La porte s’ouvrit sur la cabine plongée dans la pénombre.

Il cracha un « merde » sonore. Dans la panique qui avait suivi la découverte du corps, la meurtrière n’avait eu qu’à s’y planquer.

Personne n’avait songé à fouiller de ce côté-là.

67

Tout s’était inversé. C’était maintenant lui qui faisait les cent pas face au lit de Naoko. Le CHU avait changé — l’hôpital pédiatrique Robert-Debré — mais la chambre n’était pas plus accueillante ni mieux équipée que la sienne. Comme lui l’avant-veille, Naoko avait le privilège d’être seule. Pour le reste, la routine : murs beigeasses, odeurs de morgue, chaleur malsaine…

16 heures. Fifi était allé chercher Shinji et Hiroki au centre équestre. Il n’avait pu les ramener à Suresnes. Encore moins chez Sandrine. Ils avaient déjeuné au McDo puis s’étaient engouffrés dans un cinéma comme dans un abri anti-atomique. Fin du programme à 18 heures : on aviserait ensuite.