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C’était la Californie arabe.

Au moment où il descendit de la Chevrolet, la porte de la maison s’ouvrit sur la silhouette verte d’Eleonore Ricord.

— Entrez vite, dit-elle.

La pièce immense, toute en longueur, disparaissait sous les coussins, les tapis profonds, les amoncellements de poufs. Au fond, il y avait un petit bar où Mahmoud officiait. La Noire s’excusa d’un sourire.

— Il faut que je me change. Ces paillettes me grattent.

Tournant le dos à Malko, elle se tortilla, ouvrit sa fermeture Éclair et se retrouva vêtue d’un minuscule slip de dentelles blanches, un petit tas vert à ses pieds. Mahmoud en avala un glaçon. Mais déjà, Eleonore Ricord enfilait une jupe de cuir et un pull Courrèges blanc, très moulant. Elle avait un corps musclé de sportive, à la poitrine haute, plutôt petite. La Noire se laissa tomber sur un pouf. Malko s’assit à côté d’elle. Mahmoud avait mis de la musique arabe et continuait à farfouiller dans le bar.

— Je suis contente que vous soyez arrivé, dit Eleonore, d’une voix soudain grave.

Malko était encore sur le coup de sa surprise.

— Je m’attendais à trouver Richard Green, remarqua-t-il.

Eleonore Ricord hocha la tête.

— Richard est à Dubaï jusqu’à demain. Il essaie d’empêcher l’émir d’acheter des Mirages aux Français… Nous n’avons qu’une seule ambassade pour les six émirats du golfe. Cela fait beaucoup de travail. D’ailleurs ce n’est pas mal que l’on nous ait vus ce soir avec Mahmoud. Il est architecte et, pour les Koweitis, vous représentez un groupe financier U.S. désireux de construire un complexe touristique au sud de Koweit-City.

— Vous avez confiance en lui ? demanda Malko.

— C’est mon amant, dit-elle. Mais je ne lui dis pas tout.

Elle déplaça ses jambes, montrant un peu plus de cuisse. Elle n’avait vraiment rien d’un diplomate traditionnel.

— Vous savez pourquoi je suis au Koweit ? demanda Malko.

Elle hocha la tête affirmativement :

— Bien sûr, Richard me laisse beaucoup de choses. J’ai parfois plus de succès que lui dans mes contacts. Les gens se méfient moins…

On ne pouvait les blâmer !

— Que suis-je censé faire ici ?

La musique arabe commençait à le bercer de sa monotonie, et il sentait qu’il allait s’endormir. Eleonore Ricord se rapprocha :

— Empêcher une catastrophe, dit-elle à voix basse.

Le regard de Malko fila vers le bar. Elle sourit.

— Mahmoud n’écoute pas. De toute façon, il vomit les Palestiniens et en a une frousse bleue. Il est sûr qu’un jour ils essaieront de s’emparer du Koweit…

— Revenons à nos moutons.

Le regard de la Noire s’assombrit.

— Henry Kissinger arrive ici dans dix-huit jours. À la demande de l’émir. De plusieurs côtés, la CIA a appris qu’un groupe de terroristes allait tenter de l’assassiner pendant les deux jours de son séjour ici. Un groupe mixte, palestinien-japonais. Le groupe « Armée Rouge », vous savez, ceux du massacre de l’aéroport de Lod.

— La police allemande avait retrouvé la trace d’un de ses leaders, une certaine Chino-Bu, ex-étudiante en sociologie. Ses complices ont dérobé la semaine dernière plusieurs pistolets-mitrailleurs et des grenades dans un dépôt de la Bundeswehr près de Frankfort Depuis, Chino-Bu et les armes ont disparu.

— C’est loin du Koweit, remarqua Malko.

— Attendez, fit Eleonore Ricord. J’avais un informateur ici, un cousin éloigné de l’émir. Jouisseur, corrompu, mais avec des contacts chez les Palestiniens. Je lui avais déjà acheté quelques informations : la semaine dernière, il m’a téléphoné : contre cinquante mille dollars, il offrait de me dénoncer un groupuscule palestinien qui se préparait à assassiner Henry Kissinger.

— Je ne pouvais pas débloquer une somme pareille sans le feu vert de Langley. J’ai tergiversé. Finalement on m’a laissé les mains libres. J’ai prévenu mon informateur.

— Nous avons pris un rendez-vous. Et je suis arrivée trop tard. On l’a sauvagement assassiné. Avant qu’il ne parle.

Il y eut un long silence, rompu par Malko.

— Vous pensez que les Palestiniens veulent vraiment assassiner Henry Kissinger ?

Eleonore but une gorgée de son J & B.

— Pas tous. Nous avons des informateurs dans certains groupes. Les Koweitis aussi. Mais certains groupuscules refusent toute négociation entre les Arabes et Israël… Pour eux, Kissinger, l’homme du rapprochement, est l’homme à abattre… Il y a un risque suffisant pour qu’on ne puisse pas le prendre… Vous connaissez ces terroristes. Ils sont capables de tout. De TOUT, répéta-t-elle.

— Impossible de remettre la visite ?

Elle secoua la tête :

— Le State Department en ferait une maladie. C’est l’émir qui prendrait cela comme un affront. Il faut qu’Henry Kissinger passe deux jours en paix ici. Ensuite, il va à Ryad. Mais ce n’est plus notre problème.

Malko ne put retenir un demi-sourire.

— Au fond, tout ce que vous demandez, c’est qu’il ne se fasse pas trucider dans les eaux territoriales koweitis.

La vice-consul sursauta, choquée :

— Mais, je n’ai pas dit cela !

— Je plaisantais, rectifia Malko. Mais, dites-moi, Henry Kissinger doit être mieux gardé que Nixon et Brejnev réunis ?

— Bien sûr, approuva Eleonore Ricord. Près de cent agents du Secret Service. Mais vous savez bien qu’on ne peut pas tout prévoir. Et ici, nous ne sommes pas aux U.S.A. Les Koweitis sont très jaloux de leurs prérogatives. Par exemple, près de l’aéroport, il y a une ferme collective palestinienne. Nous avions demandé à ce qu’elle soit évacuée le jour de l’arrivée du Secrétaire d’État. Les Koweitis ont refusé. Ils ne veulent pas vexer les Palestiniens… Ici, l’assassinat politique est le moyen normal d’hériter ou de monter sur un trône… Alors, un étranger, et un Juif de surcroît…

— Il a quand même eu le Prix Nobel de la Paix, soupira Malko, mi-figue, mi-raisin.

— Les Palestiniens sont des martyrs aux yeux du monde arabe, continua Eleonore Ricord. Intouchables… Bien sûr, les Koweitis feront tout pour empêcher un attentat. Mais personne ne peut arrêter un commando-suicide. Il faut agir avant.

— Comment ?

— En les éliminant physiquement, dit la vice-consul presque sans bouger les lèvres.

Ses beaux yeux marron n’avaient pas cillé.

Malko ne dissimula pas sa réticence. Jamais encore la CIA ne l’avait utilisé comme tueur à gages.

— Il y a des hommes de main, pour cela, dit-il.

— Avant de les tuer il faut les trouver, soupira la Noire. Vous pourriez au moins servir à cela.

Les yeux dorés de Malko virèrent au vert.

— Qu’avez-vous comme indices ?

Elle le fixa candidement.

— Rien.

— Rien ?

— Absolument rien. Il y a ici deux cent cinquante mille Palestiniens avec des permis de séjour renouvelés tous les trois mois. Sans compter ceux qui se promènent avec des faux passeports délivrés par la Libye, l’Irak ou les émirats. Même les Arabes ne s’y reconnaissent pas.

— Vous n’avez pas infiltré les groupes d’action du F.P.L.P. ou du Fath ?

— Si, mais ce ne sont pas ceux-là qui nous intéressent.

Malko se laissa bercer quelques minutes par la musique arabe. Cela ressemblait fort à une mission suicide. Les Palestiniens traitaient le meurtre avec la charmante légèreté des ballets russes. Et un agent de la C.I.A, même authentique prince autrichien, faisait une cible parfaite…