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— Vous n’avez plus de visa, hoqueta-t-il.

Les yeux dorés de Malko flamboyèrent.

— Mon ambassade m’en procurera un autre demain matin, répliqua-t-il froidement. Et je me plaindrai de cette embuscade.

Le sheikh Abu Sharjah éructa une phrase en arabe. Les deux géants firent un pas en avant. L’un d’eux étendit le bras, et la pointe de son cimeterre s’enfonça dans le smoking de Malko, à la hauteur de l’estomac. L’autre leva son arme à deux mains, comme un joueur de golf, les yeux inexpressifs fixant le cou de Malko. Ce dernier eut du mal à ne pas faire un saut en arrière. Ce qui eut été inutile et déshonorant.

— Vous allez quitter le Koweit, répéta le sheikh. Sinon !…

Cette cour sombre cernée de maisons noires était impressionnante. Malko hésita. Tout le poussait à ne pas défier son adversaire. Il était totalement à sa merci et… ce genre de promesse pouvait facilement se renier sans déchoir. Puis, brusquement, il eut honte de lui-même. Il avait toujours eu horreur des ivrognes. Sauf des Anglais qui savaient boire. Et tout son atavisme lui criait de ne pas se laisser humilier. Un proverbe arabe lui revint soudain en mémoire.

— Mieux vaut un lion mort qu’un chien vivant, dit-il lentement. Allez au diable.

La respiration bloquée, il attendit.

Un énorme éclat de rire rompit le silence. Le visage rebondi du sheikh Abu Sharjah était convulsé par une joie sincère. Son accès de fou rire dura au moins trente secondes. Puis il éructa un ordre, et les deux esclaves aux cimeterres s’écartèrent comme des automates bien huilés. Le Koweiti s’avança vers Malko, des larmes de joie dans ses gros yeux de crapaud, la main tendue.

— Vous n’avez plus besoin de visa ! Vous êtes mon ami ! J’aime les gens courageux.

Il avait une façon étrange de recruter de nouveaux amis…

— Que signifie tout ceci ? demanda Malko.

Le sheikh le prit par le bras, soudain mystérieux.

— Venez dans ma voiture. Je vais vous expliquer.

Malko monta dans la Buick rouge et eut l’impression d’entrer dans une distillerie, tant l’odeur d’alcool était forte. Les sièges étaient protégés d’un revêtement de plastique… Une bouteille ouverte de J & B était posée entre les deux sièges avant à côté d’un téléphone rouge à touches. Sur la banquette arrière, Malko aperçut deux objets dorés. Il lui fallut plusieurs secondes pour identifier des pistolets-mitrailleurs BRNO « Scorpion » plaqués or ! Le sheikh s’installa à côté de lui, prit des gobelets de carton, les remplit de scotch, en tendit un à Malko, leva le sien.

— Happy New Year !

— Happy New Year, répliqua poliment Malko.

Le sheikh avala d’un coup le liquide ambré et dit :

— Je savais qui vous étiez avant même que vous arriviez. Votre chauffeur travaille pour moi… Ce soir j’ai reçu de mon oncle, l’émir, l’ordre de vous faire expulser.

— Et si je n’étais pas sorti du Sheraton ?

— Nous serions venus vous chercher.

Silence. La situation ne s’améliorait guère. En dépit de l’amitié soudaine du sheikh Abu Sharjah. Malko lança un ballon d’essai.

— Vous saviez aussi pourquoi je venais ?

Le Koweiti éclata d’un rire sonore, montrant son stock d’or !

— Je m’en doute. M. Richard Green est très inquiet. Il me l’a dit.

Malko ne comprenait plus.

— Si vous êtes en bons termes avec Richard Green, pourquoi voulez-vous m’expulser ?

Le visage rond se rembrunit d’un coup.

— M. Green m’a pris pour un imbécile ! Il aurait dû me parler de votre arrivée. Je pensais qu’il allait le faire. Quand j’ai vu qu’il n’en était rien, j’ai décidé d’agir. Mais j’étais chez Sa Majesté, je ne pouvais pas partir plus tôt.

— Richard Green n’est pas au Koweit, plaida Malko.

Le Koweiti balaya l’objection.

— Miss Ricord est là. Elle était même avec vous…

De nouveau, il avait repris son ton buté. Malko sentait pourtant que le Koweiti ne lui disait pas tout. Que toute cette mise en scène avait une raison. En dehors de la fureur d’avoir été tenu à l’écart…

— Je suis désolé de ce malentendu, dit-il, s’installant à l’aise sur le plastique froid. Je crois que nous avons intérêt à le dissiper. Et que nous pourrions collaborer. Il ne serait pas bon pour l’image de marque du Koweit qu’Henry Kissinger soit assassiné ici…

Malko sentit qu’il avait touché une corde sensible. Les traits de son voisin se détendirent. Il se servit une nouvelle rasade de scotch.

— Je dois être très prudent, expliqua-t-il. Nous, les Koweitis, on ne nous aime pas. Les Irakiens surtout. Parce que nous sommes trop riches. Pourtant les Palestiniens sont plus heureux ici que n’importe où ailleurs ! Mais ils nous jalousent. S’ils savaient que je collabore avec vous, cela serait un scandale terrible. La presse est entre leurs mains. Sa Majesté serait obligée de me désavouer.

Malko saisit la perche tendue.

— Si je peux vous aider, le Koweit en bénéficiera, remarqua-t-il.

Le sheikh Abu Sharjah soupira.

— Bien sûr, bien sûr. Vous avez les mains plus libres que moi. Même si je suspectais des Palestiniens, je ne pourrais pas grand-chose…

Il guignait Malko du coin de l’œil soudain plein de ruse.

Ce dernier comprit soudain le pourquoi de toute cette mise en scène. Le chef du Mahabet avait envie d’un coup de main discret de quelqu’un sur qui il puisse compter. Il avait testé Malko à sa façon… Celui-ci continua, renvoyant l’ascenseur.

— De toute façon, sans votre aide, je ne peux rien faire dans ce pays. Sans trahir un secret, je peux vous assurer que Richard Green n’a aucune piste.

Le sheikh s’appuya sur la banquette, flatté. Malko en profita pour pousser son avantage. Au risque d’être imprudent.

— Connaissez-vous les assassins du prince Saïd Al Fujailah ? demanda-t-il à brûle-pourpoint.

Le Koweiti ne dissimula pas sa surprise.

— Pas encore. Ce sont des étrangers, des Palestiniens probablement. Ils ont parlé du Fath. Pourquoi ?

— Le prince Saïd était un informateur de la CIA, annonça Malko. Il allait donner les noms de ceux qui se préparent à assassiner Henry Kissinger.

Abu Sharjah en eut un hoquet de surprise, cracha par la fenêtre ouverte, alluma une cigarette.

— Je me doutais d’une histoire comme ça, dit-il…

— Vous allez laisser ce meurtre impuni ?

Le Koweiti secoua la tête.

— Dans sa très grande sagesse, mon oncle, l’émir, m’a conseillé de ne pas provoquer les Palestiniens. Le prince Saïd n’était pas populaire. Et même si nous arrêtons les coupables, il sera difficile de les juger.

Il soupira.

— Maudit pétrole ! Avant, nous étions maîtres chez nous. Trop pauvres pour qu’on nous envie. Ces chiens auraient eu la tête coupée. C’était le bon temps.

— Vous n’avez aucune piste ? insista Malko. Cela s’est passé en plein jour.

Le sheikh jeta sa cigarette. La braise éclaira des silhouettes dans la cour.

— Son domestique, Jafar. Un Palestinien. Il est probablement dans le coup. Il a prétendu ne rien savoir.

— Où est ce Jafar ?

— Sûrement dans le palais de son maître.

Malko fit grincer le plastique en se tournant vers le sheikh.

— Si Henry Kissinger est tué au Koweit, ce sera une honte ineffaçable pour votre pays, dit-il. C’est votre hôte… Nous pourrions peut-être interroger ce Jafar officieusement.

Le sheikh le fixa en silence de ses bons gros yeux ronds. Dessaoulant à vue d’œil.