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— Vous avez… tout le temps de le chercher. »

Il secoua la tête. « Hélas non. Il nous faudrait des milliers d’hommes-années. Et nous ne les avons pas. La Patrouille souffre d’un manque criant de personnel. Nous sommes à peine assez nombreux pour assurer nos missions de routine, sans parler des cas d’urgence comme celui-ci. Tôt ou tard, voyez-vous, chacun de nos agents finit par atteindre la limite d’âge, quand il ne périt avant. L’affaire qui nous occupe doit être traitée en priorité. Nous devrons mobiliser toutes nos ressources pour la résoudre – si tant est que nous y parvenions.

— Pensez-vous que Luis retournera le chercher ?

— Peut-être. Mais je ne le crois pas. Il aura plus important à faire. D’abord se planquer pour panser ses blessures, et ensuite…» Le regard d’Everard se fit lointain. « Un homme intelligent, courageux, inflexible, équipé d’un scooter temporel… Il pourrait apparaître n’importe où, n’importe quand. Et causer des dommages irréparables.

— Oncle Steve…

— Je vous parie qu’il se tirera d’affaire. Je ne sais pas comment, mais il trouvera sûrement une idée. C’est un type solide et intelligent, lui aussi. Pas étonnant que vous soyez sa nièce préférée. »

Elle essuya une larme. « Non, je refuse de chialer ! Peut-être que… peut-être qu’on trouvera un indice quelconque. En attendant, y a… y a mon steak qui refroidit. » Elle se jeta dessus comme si c’était un ennemi.

Il se remit à manger lui aussi. Bizarrement, l’ambiance passa peu à peu de l’angoisse à la quiétude domestique. Au bout d’un temps, elle rompit le silence pour demander : « Et si vous me disiez toute la vérité ?

— Un résumé seulement, si vous le voulez bien. Rien que ça, je vais en avoir pour deux bonnes heures. »

Elle se retrouva affalée sur le sofa, les yeux écarquillés, pendant qu’il faisait les cent pas dans le salon. Il se tapa du poing sur la paume. « Une vraie situation à la Ragnarok. Mais pas désespérée pour autant. Quel que soit le sort de Stephen Tamberly, il n’aura pas vécu en vain, Wanda. Par l’entremise de Castelar, il vous a transmis deux mots : « Exaltationnistes » et « Machu Picchu ». Et je ne pense pas que Castelar les aurait lâchés de lui-même – étant donné les circonstances – si vous n’aviez pas tenté de le cuisiner en douce.

— Ce n’est pas grand-chose, protesta-t-elle.

— Une bombe non plus, mais elle peut faire pas mal de dégâts. Écoutez, les Exaltationnistes… je vous en dirai plus sur eux à loisir, mais sachez qu’il s’agit d’une bande de desperados originaires d’un lointain avenir. C’étaient déjà des hors-la-loi à leur époque ; ils ont volé plusieurs véhicules temporels et se sont planqués dans l’espace-temps. Nous avons déjà eu à traiter les conséquences de leurs actes – enfin, disons que j’ai « déjà » eu affaire à eux dans mon temps propre –, et ils ont « toujours » réussi à nous échapper. Bon, d’après ce que vous me dites, ils campent sur le Machu Picchu. Nous savons que les indigènes n’ont abandonné cette cité qu’après que les Espagnols eurent éliminé toute forme de résistance. Donc, d’après la description que vous a faite Castelar, les Exaltationnistes ont dû débarquer peu après. Cela devrait suffire à nos éclaireurs pour les localiser dans le temps.

» L’un de nos agents a « déjà » signalé la présence d’étrangers à la cour de l’Inca quelques années avant l’arrivée de Pizarro. Apparemment, ils ont cherché en vain à le persuader de prendre une décision de nature à empêcher le déclenchement de la guerre civile qui a tant facilité la tâche aux conquistadores. Vu ce que vous venez de m’apprendre, je suis sûr qu’ils s’agissait de nos Exaltationnistes tentant d’altérer le cours de l’histoire. Comme leur plan a capoté, ils se sont rabattus sur la rançon d’Atahualpa. Sa disparition aurait suffisamment bouleversé l’ordre des événements pour leur permettre de semer un peu plus la panique.

— Mais dans quel but ? murmura-t-elle.

— Anéantir l’avenir, évidemment. Devenir les maîtres du monde, en commençant par l’Amérique. Ni vous ni moi n’aurions jamais vu le jour, pas plus que les États-Unis, les Danelliens et la Patrouille du temps… à moins qu’ils n’en aient fondé une à leur goût, pour protéger l’histoire pervertie qu’ils auraient engendrée. Mais je ne pense pas que leur règne aurait été durable. Les tyrans égoïstes dans leur genre finissent toujours par s’entre-déchirer. On aurait assisté à des batailles dans le temps, à des altérations chaotiques… Difficile de dire si le continuum peut absorber une variation de flux trop importante. »

Elle blêmit et laissa échapper un sifflement. « Nom de Dieu, Manse ! »

Il cessa d’arpenter la moquette, se pencha vers elle, lui glissa un doigt sous le menton pour lui relever la tête et, avec un sourire en coin, lui lança : « Quel effet ça fait de savoir qu’on a peut-être sauvé l’univers tout entier ? »

15 avril 1610

Le spationef était noir comme la nuit, de crainte que sa proie ne l’aperçoive depuis la Terre, étoile filant dans le ciel à l’aube ou au crépuscule, et ne se sache observée. Mais un hublot en verre traité y laissait entrer la lumière. Il survolait la face diurne lorsque Everard arriva à son bord, découvrant des océans bleus mouchetés de blanc où s’enchâssaient les masses ocre des continents.

Son scooter se matérialisa dans la baie prévue à cet effet et, contrairement à son habitude, il en descendit sans prendre le temps d’admirer la vue. La gravité artificielle lui conférait son poids normal. Il se hâta vers la passerelle. Trois Patrouilleurs l’y attendaient, qu’il connaissait bien en dépit des siècles séparant leurs dates de naissance.

« Nous pensons avoir déterminé le moment, lui dit Umfanduma de but en blanc. Voici les images. »

C’était le bâtiment commandant leur escadrille qui les avait prises. Everard était accouru dès qu’un message transmis via l’espace puis le temps l’en avait avisé. Ces images dataient de quelques minutes à peine. Elles étaient plutôt floues, du fait de l’amplification et de la transmission atmosphérique. Mais lorsqu’il en stoppa le déroulement pour mieux les étudier, il vit qu’un éclat métallique émanait de la tête et du torse de l’un des sujets. Il était accroupi non loin d’un scooter temporel, un autre homme à ses côtés, sur une vaste plate-forme de laquelle on avait vue sur la cité déserte et les montagnes alentour. Tous deux étaient cernés par des hommes et des femmes de noir vêtus.

Il opina. « C’est sûrement ça. Nous ne savons pas quand Castelar débutera sa tentative d’évasion, mais ce devrait être dans les deux ou trois heures suivant cet instant. Nous devons attaquer les Exaltationnistes tout de suite après. »

Pas avant, car cela n’est jamais arrivé. Nous n’osons même pas corriger cette séquence interdite. L’ennemi, lui, ose tout. C’est pour cela que nous devons le détruire.

Umfanduma se renfrogna. « Ça ne sera pas facile, dit-elle. Leur camp est survolé en permanence par un scooter équipé de détecteurs. Ils sont prêts à filer en un clin d’œil.

— Mouais. Sauf qu’ils n’ont pas assez de véhicules pour les transporter tous simultanément. Ils doivent faire plusieurs navettes. Mais, tels que je les connais, ils préféreront abandonner ceux qui auront la malchance d’être trop loin des scooters. On n’a pas besoin de leur envoyer une armée. Commençons à préparer l’offensive. »

Durant le laps de temps qui suivit, les spationefs virent débarquer plusieurs scooters armés. De nombreux messages furent échangés par faisceau cohérent. Everard mit son plan au point, donna ses instructions.