Выбрать главу

— Je n’ai pas l’habitude d’être courtisée à coups de bouquets de roses et de boîtes de chocolats, croyez-moi, dit Kaye, les yeux fixés sur le tapis. J’aimerais savoir ce que la Brigade attend de moi avant de prendre une quelconque décision.

— Si vous m’accompagnez dans le bureau d’Augustine, il saura ce que je mijote. Je pense qu’il l’acceptera.

Surprise, Kaye s’entendit dire :

— En ce cas, j’aimerais vous accompagner à Washington.

— Vous le méritez, Kaye, dit Cross. Et j’ai besoin de vous. Ce qui nous attend n’est pas une partie de plaisir. Je veux les meilleurs chercheurs, la meilleure armure pour me protéger.

Dehors, la neige tombait en abondance. Kaye vit que le chauffeur de Cross s’était abrité dans la voiture et utilisait un téléphone mobile. C’était un autre monde, rapide, affairé, connecté, où l’on n’avait que peu de temps pour réfléchir.

Peut-être exactement ce qu’il lui fallait.

— Je vais appeler ce fameux avocat, dit Kushner. (Puis, s’adressant à Cross :) J’aimerais rester seule avec Kaye pendant quelques minutes.

— Bien entendu, dit Cross.

Une fois dans la cuisine, Judith Kushner empoigna le bras de Kaye et la fixa d’un air farouche que Kaye l’avait rarement vue arborer.

— Vous avez conscience de ce qui va arriver, j’espère.

— Quoi donc ?

— Vous allez devenir une marionnette. Vous allez passer la moitié de votre temps dans des salles de réunion, à parler à des gens au sourire plein d’espoir qui n’auront pas peur de vous dire exactement ce que vous souhaitez entendre, et qui vous dénigreront dès que vous aurez le dos tourné. On dira de vous que vous êtes une poupée de Marge, l’un de ses jouets.

— Allons, fit Kaye.

— Vous serez persuadée de faire de l’excellent travail et puis, un jour, vous vous rendrez compte qu’elle vous a amenée à faire ce qu’elle voulait et rien d’autre. Elle pense que ce monde lui appartient et que c’est elle qui en dicte les règles. Il faudra bien que quelqu’un vienne à votre secours, Kaye Lang. Je ne sais pas si ce sera moi, je n’en suis pas sûre. Et j’espère pour vous que ce ne sera pas un autre Saul.

— J’apprécie votre sollicitude. Et je vous remercie, dit Kaye sur un ton posé, où perçait néanmoins une certaine défiance. Je me fie à mes instincts, moi aussi, Judith. Et puis je veux percer le secret de la grippe d’Hérode. Ce ne sera pas une mince affaire. Je pense qu’elle a raison à propos du CDC. Et si nous parvenions à… finir notre travail avec Eliava ? Pour Saul. En sa mémoire.

L’intensité qui habitait Kushner sembla s’évanouir, et elle prit appui contre le mur, secoua la tête.

— D’accord, fit-elle.

— À vous entendre, Cross est le diable en personne.

Rire de Kushner.

— Non, ce n’est pas le diable. Mais ce n’est pas non plus ma tasse de thé.

La porte de la cuisine s’ouvrit sur Debra Kim. Elle jeta aux deux femmes un regard nerveux, puis supplia :

— Kaye, c’est vous qu’elle veut. Pas moi. Si vous ne montez pas à bord, elle trouvera un moyen de me larguer…

— Je vais le faire, dit Kaye en agitant les mains. Mais je ne peux pas partir tout de suite, bon Dieu. La maison…

— Marge s’en occupera pour vous, dit Kushner, comme si elle développait devant une étudiante un peu lente un sujet qu’elle-même n’appréciait pas.

— Mais oui, affirma Kim, soudain ravie. Elle est fantastique.

29.

Labo de primatologie de la Brigade, Baltimore
Février

— Bonjour, Christopher ! Comment se porte le Vieux Continent ?

Marian Freedman tenait ouverte la porte en haut des marches de béton. Un vent glacial s’engouffrait dans l’allée. Tout en grimpant l’escalier, Dicken remonta son écharpe autour de son cou et se frotta ostensiblement les yeux.

— Je suis encore à l’heure de Genève. Ben Tice vous envoie ses amitiés.

Freedman se fendit d’un salut militaire.

— L’Europe est sur les dents, déclara-t-elle en forçant le ton. Comment va-t-il ?

— Il est mort de fatigue. La semaine dernière, ils se sont occupés des protéines membranaires. Moins évident qu’ils ne le croyaient. SHEVA ne se cristallise pas.

— Il aurait dû m’en parler.

Dicken ôta son écharpe et son manteau.

— Vous avez du café chaud ?

— Dans le salon.

Elle le guida le long d’un couloir aux murs de béton peints d’un orange des plus bizarres et lui indiqua une porte sur sa gauche.

— Comment est le bâtiment ? demanda-t-il.

— Nul. Les inspecteurs ont trouvé du tritium dans la plomberie, vous étiez au courant ? L’année dernière, ce lieu était un centre d’élimination de déchets médicaux, mais, Dieu sait comment, ils se sont retrouvés avec ce tritium dans les tuyaux. On n’a pas eu le temps de protester et de dénicher autre chose. La loi du marché ! Conséquence, il a fallu dépenser dix mille dollars pour installer des moniteurs et renforcer les mesures de sécurité. Il y a un gars du National Radiation Center qui se balade tous les deux jours dans l’immeuble avec son compteur Geiger.

Dicken s’arrêta devant le tableau d’affichage du salon. Il était divisé en deux parties d’inégale importance : une surface blanche et, sur la gauche, un petit carré de liège punaisé de notices. « Cherche à partager appartement moins cher que le mien. » « Quelqu’un peut-il aller récupérer mes chiens à la quarantaine de Dulles mercredi prochain ? Je suis de service toute la journée. » « Comment sont les crèches à Arlington ? » « Cherche voiture pour aller à Bethesda lundi prochain. De préférence quelqu’un du Métabolisme ou de l’Excrétion : de toute façon, il faut qu’on se parle. »

Ses yeux s’embrumèrent. Quoique épuisé, il était profondément ému de voir cette chose prendre vie, tous ces gens qui se rassemblaient, qui parcouraient le monde en faisant suivre leurs familles et leurs vies.

Freedman lui tendit un gobelet de café.

— Il est frais. Nous faisons du bon café, ici.

— Un excellent diurétique, commenta-t-il. Ça devrait vous aider à éliminer le tritium.

Freedman fit la grimace.

— Vous avez réussi à induire l’expression ? s’enquit Dicken.

— Non. Mais l’ERV simien dispersé est si proche de SHEVA question génome que c’en est proprement terrifiant. Nous sommes en train de prouver l’une de nos hypothèses de départ : ce truc est très ancien. Il a pénétré le génome simien avant que les cercopithèques et nous-mêmes ne soyons distincts.

Dicken avala son café et s’essuya les lèvres.

— Donc, ce n’est pas une maladie, déclara-t-il.

— Holà, ce n’est pas ce que j’ai dit. (Freedman lui reprit le gobelet des mains et le jeta dans une poubelle.) Ça s’exprime, ça se répand, ça infecte. C’est une maladie, d’où que ça vienne.

— Ben Tice a analysé deux cents fœtus avortés.

Chacun d’entre eux contenait une grosse masse folliculaire, similaire à un ovaire mais ne contenant qu’une vingtaine de follicules. Dans chacun des cas…

— Je sais, Christopher. Trois follicules brisés au plus. Il m’a envoyé son rapport hier soir.

— Marian, le placenta est minuscule, la poche amniotique ridicule, et, après la fausse couche, qui est incroyablement aisée – la plupart des femmes ne sentent strictement rien –, elles ne perdent même pas l’endomètre. Comme si elles étaient encore enceintes.

Marian commençait à s’agiter.