— Tu les as trouvés ? demanda Mitch, la gorge serrée.
Packer acquiesça.
— SHEVA est bien présent dans tes échantillons. Et ce n’est ni toi ni tes compagnons qui l’y ont introduit par contamination. Mais le virus est vraiment dégradé. J’ai utilisé les sondes antibiotiques envoyées par Bethesda : elles s’attachent aux protéines associées à SHEVA. Il existe une hormone folliculostimulante typique de l’infection par SHEVA. Il y a concordance à soixante-sept pour cent, ce qui n’est pas mal étant donné l’âge des échantillons. Ensuite, j’ai fabriqué des sondes un peu plus efficaces en m’appuyant sur la théorie de l’information, au cas où SHEVA aurait muté ou présenterait d’autres types de différences. Ça m’a pris deux jours, mais j’ai obtenu un taux de quatre-vingts pour cent. Par acquit de conscience, j’ai fait un Southwestern Blot sur l’ADN du provirus de la grippe d’Hérode. Il y a bel et bien des fragments de SHEVA activés dans tes spécimens. Les tissus provenant du mâle en regorgent.
— Tu es sûr que c’est bien SHEVA ? Ça tiendrait devant un tribunal ?
— Compte tenu de la provenance de ces échantillons, ça ne survivrait pas devant un tribunal. Mais s’agit-il bien de SHEVA ? (Sourire de Packer.) Oui. Ça fait sept ans que je suis dans cette unité. Nous disposons du meilleur équipement sur le marché, et de certains des meilleurs scientifiques désireux de l’utiliser, tout cela grâce à trois jeunes millionnaires de chez Microsoft. Mais… assieds-toi, s’il te plaît, Mitch.
Mitch leva les yeux de la sortie d’imprimante.
— Pourquoi ?
— Assieds-toi.
Mitch s’exécuta.
— J’ai un bonus pour toi. Karel Petrovich, de l’unité d’anthropologie, a demandé à Maria Konig, sans doute notre meilleur élément, de travailler sur un très vieil échantillon de tissu. Devine d’où venait cet échantillon.
— D’Innsbruck ?
Packer tendit un nouveau feuillet.
— Ils ont demandé à Karel de nous contacter. Que veux-tu, nous avons une réputation. Ils voulaient que nous cherchions des marqueurs bien précis, ainsi que des combinaisons d’allèles utilisées le plus souvent pour déterminer une filiation. L’échantillon qu’on nous a fourni pesait environ un gramme. Ils voulaient du travail précis et rapide. Mitch, tu dois me jurer le secret absolu.
— Je le jure, dit Mitch.
— Par curiosité, j’ai demandé les résultats à l’un des analystes. Inutile que je rentre dans les détails. Le tissu provient d’un nouveau-né. Il est vieux de dix mille ans, au bas mot. Nous avons trouvé les marqueurs demandés. Et j’ai comparé plusieurs allèles avec tes échantillons.
— Ça concorde ? demanda Mitch, la voix nouée par l’émotion.
— Oui… et non. Je ne pense pas qu’Innsbruck serait d’accord avec moi ni avec ce que tu sembles insinuer.
— Je n’insinue pas. Je sais.
— Oui, bon, je suis intrigué, mais, devant un tribunal, je dégagerais ton mâle de toute responsabilité. Pas de pension alimentaire préhistorique à payer. Quant à la femelle, c’est une autre histoire. Les allèles concordent.
— C’est la mère du bébé ?
— Sans le moindre doute.
— Mais lui n’est pas le père ?
— J’ai dit que je ne pourrais pas en jurer devant un tribunal. Il y a des trucs bizarres côté génétique. Des trucs que je n’avais jamais vus, à vous faire dresser les cheveux sur la tête.
— Mais le bébé est comme nous.
— Mitch, s’il te plaît, ne t’emballe pas. Je ne vais pas t’appuyer sur ce coup, je ne vais pas t’aider à écrire quoi que ce soit. J’ai une unité à protéger et une carrière à défendre. Tu es mieux placé que quiconque pour comprendre cela.
— Je sais, je sais, dit Mitch. Mais je ne peux pas agir seul.
— Je vais te donner quelques indices. Tu sais que l’Homo sapiens sapiens présente une remarquable uniformité sur le plan génétique ?
— Oui.
— Eh bien, je ne pense pas qu’on puisse en dire autant de l’Homo sapiens neandertalensis. C’est un miracle que je puisse t’affirmer ça, Mitch, j’espère que tu en as conscience. Il y a trois ans, il nous aurait fallu huit mois pour faire cette analyse.
Mitch plissa le front.
— Je ne te suis plus.
— Le génotype du nouveau-né est très proche du tien et du mien. C’est quasiment un bébé contemporain. L’ADN mitochondrial des tissus que tu m’as fournis concorde avec celui d’échantillons osseux neandertaliens. Mais, à condition de ne pas y regarder de trop près, je dirai que le mâle et la femelle d’où proviennent tes échantillons sont ses parents biologiques.
Mitch fut pris de vertige. Il se pencha en avant et se prit la tête entre les mains.
— Seigneur, fit-il d’une voix éteinte.
— Une nouvelle candidate au rôle d’Ève. (Packer leva la main.) Regarde-moi. Voilà que je tremble.
— Qu’est-ce que tu peux faire, Wendell ? demanda Mitch en le regardant droit dans les yeux. Je suis assis sur la plus grande découverte scientifique des temps modernes. Innsbruck va étouffer l’affaire, j’en suis sûr.
Ils vont tout nier en bloc. C’est la solution de facilité. Que dois-je faire ? Qui dois-je voir ?
Packer s’essuya les yeux et se moucha le nez.
— Des gens qui n’ont pas l’esprit foncièrement conservateur. Des gens qui n’appartiennent pas au milieu universitaire. Je connais certaines personnes au CDC. Je discute assez souvent avec une amie qui travaille aux labos d’Atlanta, l’amie d’une ancienne copine, en fait. Nous sommes restés en bons termes. Elle a fait pas mal d’analyses de tissu cadavérique pour un chasseur de virus du CDC nommé Dicken, qui fait partie de la Brigade de la grippe d’Hérode. Il cherchait à déceler SHEVA dans des tissus de cadavres, ce qui n’a rien de surprenant.
— Des cadavres venant de Géorgie ?
Packer ne comprit pas tout de suite.
— D’Atlanta, tu veux dire ?
— Non, de République géorgienne.
— Euh… oui, en effet, c’est bien ça. Mais il cherche aussi des traces de la grippe d’Hérode dans les archives. De ce siècle et des précédents. (Packer posa une main sur celle de Mitch.) Peut-être qu’il aimerait savoir ce que tu sais.
33.
Il y avait quatre femmes dans la salle brillamment éclairée. Celle-ci contenait deux canapés, deux fauteuils, une télévision avec magnétoscope, des livres et des magazines. Kaye se demanda comment les designers d’hôpitaux s’y prenaient pour créer invariablement ce genre d’atmosphère stérile : meubles couleur frêne, murs blanc cassé, affiches pastel de plages, de forêts et de fleurs. Un monde aseptisé et apaisant.
Elle observa brièvement les femmes par la porte vitrée tandis qu’elle attendait que Dicken et la directrice du centre la rejoignent.
Deux Noires. La première, corpulente et proche de la quarantaine, assise bien droite sur sa chaise, regardait distraitement la télévision, un numéro d’Elle ouvert sur ses genoux. L’autre, âgée d’une vingtaine d’années ou moins, maigre, avec des petits seins pointus et de courtes nattes sur le crâne, se tenait sur le canapé, le menton calé dans la main, et regardait dans le vide. Deux femmes blanches, la trentaine, la première teinte en blonde et l’air hagarde, la seconde vêtue avec goût, le visage inexpressif, toutes deux en train de lire de vieux numéros de People et de Time.