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Dicken s’avança dans le couloir moquetté de gris, accompagné du docteur Denise Lipton. Petite, âgée d’une quarantaine d’années, celle-ci était belle quoique d’allure revêche, avec des yeux qui devaient cracher des étincelles quand elle était en colère. Dicken les présenta l’une à l’autre.

— Prête à voir nos volontaires, Ms. Lang ? demanda Lipton.

— Aussi prête que je le serai jamais.

Lipton eut un sourire sans joie.

— Elles sont plutôt malheureuses. Elles ont subi assez de tests ces derniers jours pour… eh bien, pour les rendre malheureuses.

Les femmes assises dans la salle levèrent la tête en les entendant. Lipton lissa sa blouse et poussa la porte.

— Bonjour, mesdames, leur lança-t-elle.

La rencontre se déroula plutôt bien. Le docteur Lipton escorta trois des femmes jusqu’à leurs chambres, laissant Dicken et Kaye s’entretenir avec la quatrième, la plus âgée des deux Noires, Mrs. Luella Hamilton, de Richmond, Virginie.

Mrs. Hamilton souhaitait boire un peu de café.

— On m’a tellement vidée. Quand ce n’est pas les prises de sang, c’est mes reins qui débloquent.

Dicken se proposa pour aller leur chercher du café et sortit.

Mrs. Hamilton se concentra sur Kaye et plissa les yeux.

— On nous a dit que c’est vous qui avez découvert cette saleté.

— Non, dit Kaye. J’ai écrit quelques articles sur elle, mais je ne l’ai pas découverte.

— Ce n’est qu’une petite fièvre. J’ai déjà eu quatre enfants, et voilà qu’on me dit que celui-ci ne sera pas un vrai bébé. Mais les docteurs ne veulent pas m’avorter. Laissons la maladie suivre son cours, qu’ils disent. Je ne suis qu’un gros cobaye, pas vrai ?

— On dirait. Êtes-vous bien traitée ?

— Je mange à ma faim, dit-elle en haussant les épaules. La bouffe est bonne. Je n’aime pas les livres ni les films qu’on nous propose. Les infirmières sont gentilles, mais ce docteur Lipton… c’est une dure à cuire. Elle parle gentiment, mais j’ai l’impression qu’elle n’aime personne.

— Je suis sûre qu’elle fait du bon travail.

— Ouais, eh bien, Miz Lang, imaginez-vous à ma place un moment et dites-moi que vous n’aurez pas envie de râler.

Kaye sourit.

— Et puis ce qui m’embête, c’est cet infirmier noir qui n’arrête pas de me traiter comme si j’étais un exemple pour les autres. Il veut que je sois forte, comme sa maman. (Elle regarda Kaye sans broncher et secoua la tête.) Je ne veux pas être forte. Je veux pleurer quand ils me font leurs tests, quand je pense à ce bébé, Miz Lang. Vous comprenez ?

— Oui, dit Kaye.

— Pour l’instant, je me sens comme quand j’ai eu les quatre autres. Je me dis que c’est peut-être un vrai bébé, qu’ils se sont trompés. Est-ce que je suis stupide de penser ça ?

— S’ils ont fait les tests, ils savent de quoi ils parlent.

— Ils ne veulent pas que je voie mon mari. Ça fait partie du contrat. C’est lui qui m’a donné la grippe, c’est lui qui m’a donné ce bébé, mais il me manque. Ce n’était pas de sa faute. Je lui parle au téléphone. Il a l’air de tenir le coup, mais je sais que je lui manque. Ça m’inquiète de ne pas être à la maison, vous savez !

— Qui s’occupe de vos enfants ?

— Mon mari. Ils les ont autorisés à me voir, eux. C’est bien. Mon mari les amène, ils viennent me rendre visite, et lui, il attend dans la voiture. Ça va faire quatre mois, quatre mois ! (Mrs. Hamilton tritura son alliance en or.) Il dit qu’il se sent seul et que les enfants sont parfois turbulents.

Kaye étreignit la main de Mrs. Hamilton.

— Je sais que vous êtes courageuse, Mrs. Hamilton.

— Appelez-moi Luella. Non, je ne suis pas courageuse. Quel est votre prénom ?

— Kaye.

— J’ai peur, Kaye. Quand vous aurez trouvé ce qui se passe, vous viendrez me le dire tout de suite, d’accord ?

Kaye prit congé de Mrs. Hamilton. Elle se sentait desséchée, glacée. Dicken l’accompagna au rez-de-chaussée puis devant l’entrée du centre. Il ne cessait de lui jeter des regards en coin quand il ne se croyait pas observé.

Elle lui demanda de faire une pause. Elle croisa les bras et contempla une rangée d’arbres, à l’autre bout d’une petite pelouse manucurée. Celle-ci était entourée de tranchées. Le campus du NIH était en grande partie un dédale de chantiers et de déviations, de trous d’où jaillissaient piliers de béton et tiges métalliques.

— Est-ce que tout va bien ? s’enquit Dicken.

— Non. Je suis retournée.

— Il faut qu’on s’y habitue. C’est la même chose un peu partout.

— Toutes ces femmes sont volontaires ?

— Bien sûr. Nous payons leurs frais médicaux et leur versons des émoluments. Nous ne pouvons contraindre personne, même en cas d’urgence nationale.

— Pourquoi n’ont-elles pas le droit de voir leurs maris ?

— En fait, c’est peut-être à cause de moi, admit Dicken. Lors de la dernière réunion, j’ai présenté des éléments tendant à prouver que la grippe d’Hérode conduisait à une seconde grossesse, sans activité sexuelle. Tous les chercheurs recevront mon rapport dès ce soir.

— Quels éléments ? Mon Dieu, êtes-vous en train de me parler d’immaculée conception ? (Kaye se retourna pour se planter devant lui, les poings sur les hanches.) Vous traquez cette saleté depuis que nous nous sommes rencontrés en Géorgie, n’est-ce pas ?

— Depuis bien avant. Je l’ai traquée en Ukraine, en Russie, en Turquie, en Azerbaïdjan, en Arménie. La grippe d’Hérode a commencé à frapper ces pays il y a dix ans, vingt ans peut-être, voire davantage.

— Puis vous avez lu mes articles, et toutes les pièces du puzzle se sont assemblées, c’est ça ? Vous êtes une sorte de chasseur de fauves scientifique ?

Dicken grimaça.

— Pas exactement.

— Suis-je le catalyseur ? demanda Kaye, incrédule.

— Ce n’est pas aussi simple que ça, Kaye.

— J’aimerais bien être tenue informée, Chris !

— Christopher, s’il vous plaît.

Il semblait mal à l’aise, contrit.

— J’aimerais bien que vous me teniez informée. Vous vous conduisez comme une ombre, toujours à la traîne, alors que je suis persuadée que vous êtes un des membres les plus importants de la Brigade.

— Merci, c’est une erreur fort répandue, dit-il avec un sourire ironique. Je m’efforce d’éviter les ennuis, mais je ne suis pas sûr d’y parvenir. Il arrive parfois qu’on m’écoute, quand mes éléments sont probants – ce qui est le cas ici : des rapports provenant des hôpitaux arméniens, et même de deux ou trois hôpitaux de New York et de Los Angeles.

— Christopher, la prochaine réunion est dans deux heures. Ça fait quinze jours que je suis coincée à faire des conférences sur SHEVA. Ils pensent avoir trouvé ma niche écologique. Un coin peinard où je m’occuperai à chercher d’autres HERV. Marge m’a préparé un chouette petit labo à Baltimore, mais… je pense que la Brigade n’a plus envie d’utiliser mes services.

— Votre association avec Americol a irrité Augustine, dit Dicken. J’aurais pu vous prévenir.

— Donc, je dois me concentrer sur mon travail pour Americol.