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— Merci, dit Ripper.

Champion parcourut le groupe du regard, hocha la tête avec solennité, puis plus vivement, signifiant qu’elle avait parlé et était prête à prendre congé. Elle regagna le haut de la falaise, guidée par le stagiaire chauve armé d’une lampe torche.

— Extraordinaire, dit Merton, les yeux brillants. Un dialogue privilégié. Peut-être même de la sagesse indigène.

— Ne vous emballez pas, dit Ripper. Sue est une brave fille, mais elle n’a aucune idée de ce qui se passe, pas plus que ma sœur. (Elle se tourna vers Mitch.) Bon Dieu, tu as l’air malade.

Mitch se sentait un peu nauséeux.

— J’ai vu des ministres qui avaient ce genre d’expression, remarqua Merton d’une voix posée. Des ministres détenteurs de secrets embarrassants.

37.

Baltimore

Kaye attrapa son sac de voyage sur la banquette arrière et glissa sa carte de crédit dans le lecteur du taxi. Puis elle pencha la tête en arrière pour admirer Uptown Helix, le nouveau complexe immobilier de Baltimore, trente étages posés sur deux larges rectangles de boutiques et de cinémas, le tout à l’ombre de la tour Bromo-Seltzer.

Il avait neigé dans la matinée, et quelques plaques de poudreuse maculaient encore le trottoir. Elle avait l’impression que cet hiver ne finirait jamais.

D’après ce que lui avait dit Cross, l’appartement du vingtième étage serait meublé, ses affaires y seraient soigneusement rangées, le réfrigérateur et le garde-manger seraient pleins, et un compte lui serait ouvert dans plusieurs restaurants du rez-de-chaussée : l’utile et l’agréable dans leur version intégrale, un domicile à trois pâtés de maisons du siège social d’Americol.

Kaye se présenta au gardien dans le hall. Il lui adressa un sourire de domestique stylé et lui tendit une enveloppe contenant sa clé.

— Je ne suis pas propriétaire, vous savez, dit-elle.

— Aucune importance pour moi, m’dame, répliqua-t-il avec la même déférence joviale.

Elle entra dans un ascenseur de verre et d’acier, traversant l’atrium du niveau commercial avant de gagner les étages résidentiels, tapotant la rambarde du bout des doigts. Elle était seule dans la cabine. On me protège, on me bichonne, on m’occupe avec toute une série de réunions, je n’ai plus le temps de réfléchir. Je me demande qui je suis à présent.

Sans doute aucun scientifique ne s’était-il jamais senti aussi bousculé qu’elle. La conversation qu’elle avait eue avec Christopher Dicken l’avait orientée dans une direction sans rapport avec la recherche d’un traitement à SHEVA. Une bonne centaine d’éléments issus de ses travaux universitaires avaient soudain refait surface dans son esprit, tels des nageurs exécutant un ballet aquatique riche en figures enchanteresses. Celles-ci n’avaient rien à voir avec la mort et la maladie, tout à voir avec les cycles de la vie humaine – ou de la vie en général, d’ailleurs.

Dans moins de quinze jours, les scientifiques de Cross présenteraient le premier candidat des douze vaccins potentiels – au dernier recensement – développés dans tout le pays, chez Americol et ailleurs. Kaye avait sous-estimé la vitesse de travail de l’entreprise… et surestimé la quantité d’informations que celle-ci lui transmettrait. Je ne suis qu’une marionnette, songea-t-elle.

Durant ces quinze jours, elle devrait préciser son analyse de la situation – identifier l’objectif de SHEVA. Déduire ce qui allait arriver à Mrs. Hamilton et aux autres volontaires de la clinique du NIH.

Elle arriva au vingtième étage, localisa l’appartement 2011, glissa la clé électronique dans la serrure et ouvrit la lourde porte. Elle fut accueillie par une bouffée d’air propre et frais, une odeur de meubles et de tapis neufs à laquelle s’ajoutait un parfum douceâtre. Plus une mélodie : Debussy, un morceau fort agréable dont elle ne pouvait se rappeler le titre.

Au sommet de l’étagère de l’entrée, plusieurs douzaines de roses jaunes débordaient d’un vase en cristal.

L’appartement était séduisant et bien éclairé, rehaussé de plusieurs éléments en bois, meublé de deux sofas et d’un fauteuil en suède et en tissu doré. Et n’oublions pas Debussy. Elle posa son sac sur un sofa et se dirigea vers la cuisine. Réfrigérateur en acier inox, four, lave-vaisselle, comptoir de granite gris bordé de marbre rose, éclairage coûteux projetant dans la pièce des éclats de diamant…

— Nom de Dieu, Marge, souffla-t-elle.

Elle apporta son sac de voyage dans la chambre, l’ouvrit sur le lit, en sortit sa robe, ses jupes et ses chemisiers, ouvrit le dressing et resta interdite devant son contenu. Si elle n’avait pas déjà rencontré deux des séduisants assistants de Cross, elle aurait été persuadée que celle-ci avait des intentions malhonnêtes à son égard. Elle passa rapidement en revue robes, tailleurs, chemisiers en soie et en lin, considéra les huit paires de souliers en tout genre – dont des chaussures de marche – et finit par craquer.

Kaye s’assit au bord du lit et poussa un lourd soupir. Elle était complètement dépassée, tant sur le plan social que sur le plan scientifique. Elle jeta un coup d’œil à la reproduction de Whistler accrochée au-dessus de la coiffeuse en érable, au parchemin oriental dans son splendide cadre d’ébène rehaussé de cuivre placé au-dessus du lit.

— Une serre au cœur de la grande ville pour abriter une fleur précieuse.

Elle sentit la colère déformer ses traits.

Son téléphone mobile se mit à sonner. Elle sursauta, se rendit dans le séjour, ouvrit son sac à main et répondit.

— Kaye, ici Judith.

— Vous aviez raison, dit Kaye à brûle-pourpoint.

— Pardon ?

— Vous aviez raison.

— J’ai toujours raison, ma chère. Vous le savez.

Judith marqua une pause appuyée, et Kaye comprit qu’elle avait quelque chose d’important à lui dire.

— Vous m’aviez demandé des précisions à propos de l’activité des transposons dans mes hépatocytes infectés par SHEVA.

Kaye se raidit. Cette idée lui était venue à l’esprit deux jours après sa conversation avec Dicken. Elle avait consulté la littérature à ce sujet et s’était plongée dans une douzaine d’articles parus dans six publications différentes. Elle avait fouillé ses carnets de notes, où elle avait l’habitude de gribouiller ses spéculations les plus audacieuses.

Saul et elle faisaient partie des biologistes soupçonnant les transposons – les fragments d’ADN mobiles à l’intérieur du génome – d’être bien plus que de simples gènes égoïstes. Dans ses carnets de notes, Kaye avait rédigé une douzaine de pages où elle supputait qu’ils agissaient comme régulateurs du phénotype, qu’ils étaient altruistes plutôt qu’égoïstes ; dans certaines circonstances, ils pouvaient guider la transformation des protéines en tissu vivant. Altérer la façon dont les protéines créaient une plante ou un animal. Les rétrotransposons étaient fort semblables aux rétrovirus – d’où le lien génétique avec SHEVA.

Bref, peut-être étaient-ils les serviteurs de l’évolution.

— Kaye ?

— Un instant. Laissez-moi reprendre mon souffle.

— Excellente idée, Kaye Lang, ma chère, ma très chère ancienne élève. L’activité des transposons dans nos hépatocytes infectés par SHEVA est légèrement augmentée. Ils se mélangent sans effet apparent. Ce qui est déjà intéressant. Mais nous sommes allés plus loin que les hépatocytes. Nous avons fait des tests sur des cellules souches d’embryons pour le compte de la Brigade.