Nell dit : « La princesse Nell recourut à l’une des formules magiques enseignées par Pourpre pour faire de la lumière. »
La princesse Nell put constater que la cellule mesurait environ deux pas sur trois, avec le long d’un mur, un banc de pierre en guise de lit et un trou dans le sol en guise de toilettes. Sur le mur du fond, une minuscule fenêtre à barreaux donnait sur un puits d’aération. Celui-ci était bien sûr fort étroit et profond, et le cachot de Nell devait être situé presque tout en bas, car aucun jour n’y parvenait. Le soldat sortit de la cellule et referma la porte derrière lui ; ce qui permit à Nell de constater que le verrou monté sur celle-ci était extraordinairement volumineux : presque aussi gros qu’une boîte à biscuits en tôle, tout plein de rouages et muni d’une grosse manivelle qui pendait en son milieu.
La porte était équipée d’un petit guichet. En regardant par l’ouverture, Nell constata que le soldat n’avait pas de clef à proprement parler : à la place, il saisit un court tronçon de chaîne, à peu près long comme son bras, qui pendait d’un crochet près de la porte et qu’il inséra dans le verrou géant. Puis il se mit à tourner la manivelle. Les rouages cliquetèrent, la chaîne grinça et, au bout du compte, le pêne sortit et s’engagea dans le chambranle, bouclant la princesse Nell dans le cachot. Aussitôt après, la chaîne sortit du verrou et dégringola par terre. Le soldat la ramassa et alla la raccrocher au mur. Puis il s’éloigna en ferraillant pour ne reparaître que plusieurs heures plus tard, chargé d’une miche de pain et d’un cruchon d’eau, qu’il glissa par le petit guichet ouvert au milieu de la porte, juste au-dessus du verrou mécanique.
Il ne fallut pas longtemps à la princesse Nell pour explorer l’espace confiné de sa cellule. Dans un coin, enfoui sous la poussière et les détritus, elle trouva quelque chose de dur et de froid qu’elle tira pour mieux l’examiner : c’était un bout de chaîne, passablement rouillé, mais à l’évidence d’un type identique à toutes celles qu’elle avait vues partout à Castel Turing.
La chaîne était plate. Chaque maillon était muni d’une barrette : un tronçon de métal monté sur un axe, qui pouvait pivoter pour basculer et s’enclencher dans deux positions fixes : parallèle ou perpendiculaire à la chaîne.
Lors de sa première nuit de détention, Nell fit deux autres découvertes : tout d’abord, le verrou du portillon par lequel on lui avait fait passer la nourriture était en partie accessible de l’intérieur et, au prix d’un léger effort, elle réussit à le tordre pour qu’il ne puisse plus se verrouiller convenablement. Cela fait, elle était désormais en mesure de passer la tête par le guichet pour examiner les alentours, y compris le fameux verrou mécanique. Ou bien elle pouvait passer un bras par l’ouverture pour tâter le verrou, tourner la manivelle, et ainsi de suite.
La seconde découverte intervint au milieu de la nuit, quand elle fut réveillée par un fracas métallique venant de la petite fenêtre du puits d’aération. Elle tendit la main dans le noir et parvint à repérer à tâtons l’extrémité de la chaîne pendue au mur. Elle tira dessus et, après une résistance initiale, celle-ci vint sans peine. Bientôt, elle avait réussi à en tirer plusieurs mètres qui s’amassèrent sur le sol de la cellule.
Nell savait à peu près quoi faire de la chaîne. Commençant par un bout, elle examina les barrettes et entreprit de relever leur position (le Manuel lui fournissait toujours des pages de brouillon si nécessaire). Elle inscrivait une marque horizontale pour les verrous parallèles à la chaîne, et une marque verticale pour ceux qui lui étaient perpendiculaires, ce qui donna ceci :
II – IIIIIIIIIIIIIII – IIIIIIIIIIIIII – IIIIIIIIII – IIIIIIIIIIIIII – IIIIIIIIIIIIIIIIIIIII – IIIIIIIIIIIIIIIIII – – IIIIIIIIII – IIIII – – IIIIIIIIIIIIIIIIIII – IIIIIIIIIIIIIIIIIIIII – IIIIIIIII – IIIIIIIIIIIIIIIIIII – – – IIII – IIIIIIIIIIIIIIIIIIIII – III – – – – – IIIIIIIIIIIIIIIIIIII – IIIIIIIIIIIIIIIIIIIII – IIIIIIIIIIIIIIIIII – IIIIIIIII – IIIIIIIIIIIIII – IIIIIII –
Si elle comptait les marques verticales et les remplaçait par des chiffres, elle trouvait :
2 – 15 – 14 – 10 – 14 – 21 – 18 – –10 – 5 – –19 – 21 – 9 – 19 – – – 4 – 21 – 3 – – – – – 20 – 21 – 18 – 9 – 14 – 7 –
et si les chiffres correspondaient à des lettres de l’alphabet, les marques horizontales simples servant de séparation entre les lettres et les doubles marques horizontales indiquant les espaces, on obtenait :
BONJOUR JE SUIS – – – DUC – – – – – TURING
Peut-être que les marques horizontales multiples servaient de code pour les mots courants :
– – – le/la
– – – – (non utilisé : peut-être un/une ?)
– – – – – de
Si c’était le cas, alors le message devenait : BONJOUR JE SUIS LE DUC DE TURING, ce qui était intéressant, car le géant en armure s’était déjà également identifié sous ce nom, et Nell jugeait improbable qu’il ait décidé de lui envoyer un message par ce biais. Celui-ci devait donc émaner d’un autre individu qui se faisait lui aussi appeler le duc de Turing – peut-être un véritable être humain, bien vivant celui-ci.
Quelques années plus tôt, Nell aurait parié là-dessus. Mais les années passant, le Manuel était devenu bien plus subtil qu’au début et présentait quantité de pièges cachés : il n’était plus question de se reposer sur des suppositions faciles. Il était tout aussi possible que cette chaîne provienne directement de la salle du trône et que le duc mécanique, pour quelque obscure raison, cherche à la duper. Aussi, tout en étant ravie de répondre à ce message par la même méthode, Nell avait bien l’intention de rester prudente jusqu’à ce qu’elle ait pu établir si son auteur était un être humain ou une créature mécanique.
La suite du message était : DONNE – A – – – CHAÎNE – – – – SECOUSSE – – – – – – RÉPONDRE. En supposant que quatre marques horizontales correspondaient bien à un/une et six à pour, elle obtenait : DONNE À LA CHAÎNE UNE SECOUSSE POUR RÉPONDRE.
Nell se mit à faire basculer les barrettes des maillons, effaçant à mesure le message de ce personnage qui s’appelait le duc, pour le remplacer par : JE SUIS LA PRINCESSE NELL POURQUOI M’AVOIR EMPRISONNÉE. Puis elle imprima une secousse à la chaîne et, au bout d’un moment, celle-ci commença à se rétracter. Quelques minutes après, revenait le message :
BIENVENUE PRINCESSE NELL DÉCIDONS D’UN MOYEN DE COMMUNICATION PLUS EFFICACE